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Transition énergétique

Des challenges à réussir

Nous publions une série de trois articles du professeur Chitour, ancien ministre de la Transition énergétique, dans lesquels, il nous explique la plus-value de cette transition et les défis qui attendent l’Algérie

Souvenons- nous, la révolution du 24 Février 1971 a donné à l'Algérie l'ambition de ne plus vendre de pétrole mais des produits raffinés et des produits pétrochimiques. L'essentiel de l'outil de raffinage actuel et de pétrochimie date de cette époque 70-79. De même l'essentiel des complexes pétrochimiques, engrais, méthanol, formol date de cette époque. C'est aussi un défi du futur de ne plus vendre du pétrole mais des produits dérivés. Depuis, malgré quelques efforts, nous sommes redevenus un réservoir de matières premières sans création de richesses issues de notre savoir- faire. 50ml de parfum Chanel n° 5 coûte plus qu'un baril de pétrole, soit 159 litres, même à ce prix le pétrole est bradé! Savons- nous qu'un baril de pétrole de 100$ donne lieu à un baril de produits pétroliers de 250 $ (essences, kérosène, gaz oil, fuel et résidu pouvant servir par combustion dans les centrales thermiques au lieu du gaz naturel). Savons- nous qu'avec 100 litres d'essence, on peut fabriquer les fibres polyester, le nylon, les matières plastiques, les engrais avec des valeurs ajoutées encore plus importantes. Tout ceci nous incite à ne vendre que des produits finis.

Que devons- nous faire?
Nous gaspillons d'une façon irrationnelle l'énergie. Un milliard de m3 de gaz consommé par semaine, c'est 1 milliard de dollars au prix actuel! Si seulement nous faisons 10% d'économie c'est 100 millions de m3/ semaine de gaz épargné et près de 5 milliards de dollars! rien que par des gestes écocitoyens Il est important qu'une ressource aussi rare, aussi vitale soit utilisée avec des garde- fous. Il faut savoir par exemple que l'Algérie consomme en gaz naturel huit fois la consommation du Maroc et de la Tunisie réunis et ces pays arrivent à vivre sans gaz mais en faisant appel aux économies d'énergie et aux autres sources d'énergie comme le bois. Le modèle énergétique piloté par le Haut Conseil de l'énergie a été un évènement de la prise de conscience de la nécessité de savoir où doit aller le pays.
Dans ce cadre, la mise en place d'un Haut Conseil de l'énergie, boussole d'aide à la décision, permettra la mise en place d'un modèle énergétique flexible qui fait l'inventaire de toutes les énergies disponibles fossiles (uranium) et renouvelables (solaire, éolien, géothermie, bois...). Tenant compte constamment de ce qu'il se passe dans le monde, il nous indiquera l'effort à faire en termes de rationalisation de la consommation d'énergie.
À titre d'exemple en ce qui concerne la géothermie, 280 sources ont été recensées et un grand nombre d'entre elles possède un fort potentiel énergétique qu'il s'agit de mobiliser. De plus, l'apport du bois devrait être mise en oeuvre car dans tous les pays le bois fait partie du modèle énergétique. La filière bois - prise en charge sans tarder, notamment par la plantation d'arbres à croissance rapide - aura toute sa place dans le bouquet énergétique à 2030. Une étude pour la plantation d'un milliard d'arbres en dix ans soit 100 millions d'arbres a été réalisée. Ce bouquet, outre les énergies fossiles (pétrole, gaz) comprendra aussi les énergies fissiles (uranium) et renouvelables (biomasse, bois, biocarburant), mais aussi solaire, éolien, géothermie. Ce modèle à 2030 sera élaboré dans l'optique du développement durable, c'est-à-dire de laisser un viatique aux générations futures

Un geste écocitoyen
Les Algériens sont convaincus que la rente ne va pas durer pour deux raisons, les réserves sont sur le déclin et la tendance mondiale est à aller vers la neutralité en 2050. Le citoyen devrait avoir en tête que l'énergie sera de plus ne plus chère et rare, d'où l'absolue règle d'économiser chaque goutte de pétrole et chaque bulle de gaz.
En décembre, le m3 de gaz avait atteint 1$! Chaque m3 de gaz naturel épargné est une richesse pour les générations futures l'étape la plus importante en termes d'immédiateté est de gagner en sobriété énergétique et de lutter contre le gaspillage. Tout le monde le sait: l'urgence est de commencer à consommer l'électricité que nous produisons de manière efficace et rationnelle, en particulier dans le résidentiel, le tertiaire, en mettant en oeuvre des mesures pour les économies d'énergie Pour le résidentiel, il s'agit de privilégier les matériaux et les équipements non énergivores pour la construction de nouveaux logements et de recourir aux isolants tels le double vitrage et la laine de verre pour la réhabilitation du vieux bâti. Un cahier des charges devait être mis en oeuvre à terme et que les nouvelles habitations ne soient plus réceptionnées avant un diagnostic énergétique. Dans le tertiaire, les administrations sont rappelées au fort potentiel dont elles disposent en matière d'économies d'énergie.
Il en est de même pour les lieux de culte où la priorité, dans les mosquées et les salles de prière, est à la réduction de la consommation pour soulager les APC qui en payent la facture. Outre le projet de construction d'une «mosquée verte» à Sidi Abdellah, proposée pour donner l'exemple d'une mosquée sobre en énergie.Parmi les préoccupations du pays la nécessité de la mise en place d'une politique des transports pérennes. Le remplacement progressif de l' essence par le sirghaz fut une réussite du fait que l'État prenait en charge la moitié de l'installation de sirghaz. Mais ceci n'est pas suffisant. Au titre de la nécessité de la rationalisation de la consommation de carburants, une véritable hémorragie est à signaler. Il faut savoir que le prix de l'essence au litre au Maroc est de 1,365$ (14,76DM) en Tunisie (0,76 $) et en Algérie 0,31$ soit quatre fois et deux fois moins cher. Même la moyenne mondiale se situe à 1,33$. S'agissant du diesel l'écart est encore plus grand. Il en est de même au Mali ou le prix est de 1,378 $. Même dans les pays pétroliers en Arabie saoudite, il est pratiquement deux fois plus cher 0,62$ et 0,898 $ aux Emirats.
Pouvons- nous continuer à subir cette hémorragie qui fait que les wilayas des frontières, malgré des efforts ne peuvent pas tout contrôler. Aussi à l'instar de ce qu'il se fait dans les pays développés, la mise en place d'une carte carburant qui limite le parcours moyen à une distance moyenne de 20000 km/an dont le carburant est déterminé à un prix administré suffisamment dissuasif contre les excès. En cas de consommation excédentaire, il sera fait appel au prix réel. C'est la seule façon de moraliser la consommation. Cette maîtrise de la consommation permettra alors la mise en place de moyens de transport beaucoup plus démocratiques.

Une politique des transports
Il sera même possible dans le cadre d'une stratégie tournée vers la production d'essence de vendre de plus en plus d'essence et de gasoil au lieu de vendre du pétrole, sachant qu'un baril de produit pétrolier est beaucoup plus cher qu'un baril de pétrole brut. Ceci dans la perspective de la mise en place d'une stratégie globale pour les transports sachant bien que les carburants fossiles seront de moins en moins utilisés à partir de 2030 au profit de la locomotion électrique. Justement la locomotion électrique est une nécessité. Les carburants devraient être abandonnés à partir de 2035 au plus tard. Il serait inutile de tenter d'assurer une industrie des véhicules thermiques, alors que nous avons toutes les chances de démarrer avec des partenaires qui ont fait leur preuve dans ce domaine comme la Chine. La sortie des carburants permettra de réserver graduellement ces carburants à l'exportation. C'est un chantier créateur de richesses, notamment dans l'installation des bornes électriques...

Le Plan hydrogène vert
Quand monsieur le président de la République avait décidé de la mise en place d'un ministère dédié à la Transition énergétique, il a compris que le moment était venu de sortir par le haut de l'ébriété énergétique; en misant sur la sobriété énergétique qui est la seule voie de salut. Il est hautement souhaitable de ne pas baisser la garde. L'hydrogène pourrait remplacer le gaz naturel sur le déclin après 2030, il serait largement rentable autour de 2$ le kg. Il peut aussi donner lieu à une pétrochimie verte avec la production d'ammoniac vert qui permet la production d'urée verte et même être utilisé comme vecteur énergétique plus maniable que l'hydrogène.
On sait que le Plan hydrogène vert fait partie de la plupart des stratégies des pays développés et en développement. Toutes les conférences sur le climat ont invité les pays à investir dans l'hydrogène vert. Il faut savoir qu'un 1 kg équivaut 2 à 3 fois plus d'énergie que le gaz naturel, l'essence ou le pétrole. L'hydrogène peut être converti en énergie propre, respectueuse de l'environnement, C'est le vecteur de l'énergie de demain. L'Algérie est bien placée pour développer le Plan hydrogène vert avec un ensoleillement exceptionnel, nous pouvons développer avec des coûts faibles qui nous permettra de mettre en oeuvre une vraie sécurité énergétique qui est la première des sécurités. La production de l'hydrogène vert nécessite de disposer de l'électricité verte produite par les panneaux solaires. Les rendements du solaire saharien sont parmi les plus importants au monde. Une centrale solaire de 1000 MW permet d'épargner l'équivalent de 200 millions de m3 de gaz. Le gaz naturel qu'on ne consommera pas pourra aussi contribuer au financement du Plan solaire.
Encore une fois nous avons en priorité la mise en place d'une industrie du renouvelable: Plan solaire, éolien géothermie et hydrogène vert. Nous devons profiter de cette conjecture de pénurie de gaz en Europe pour demander à nos partenaires avides de gaz, un accompagnement pérenne dans la mise en place du Plan solaire éolien géothermique sans oublier le Plan hydrogène vert pour lequel l'Allemagne, mais aussi la Chine et l'Italie seraient des locomotives à la fois pour la mise en place d'une industrie pérenne. Si on met le Plan Marshall en marche, ce sont des milliers d'ingénieurs et de techniciens qu'il faut recruter. (Pour 1MW, il faut au moins 4 employés). C'est aussi l'assurance de garantir l'après- 2030 quand nous aurons en face de nous une situation où il nous faudra choisir ente exporter ou consommer. Le bon sens commande de développer à la marche forcée le renouvelable, notamment dans sa version production d'hydrogène. Il serait utile que tout ce qui a été investi lors de la création du Mteer soit optimisé. Il y a donc urgence de donner suite aux premières actions du Mteer en -2020/ 2021, à savoir des cahiers des charges avec l'habitat et le transport pour rationaliser la consommation. Dès 2020, le Mteer avait lancé une campagne de réduction de 10% de la consommation. S'agissant des 1000 MW, nous devons rapidement répondre et faire l'ouverture de l'appel d'offres. Il serait indiqué de définir toutes les missions du renouvelable en termes d'efficacité et d'économie d'énergie et de protection de l'environnement par l'utilisation de carburants alternatifs.

Conclusion

Quand il s’agit de l’avenir du pays, nous avons le devoir de tout faire pour le protéger. Chacun à son niveau. Pour le bien de ce pays, disons ce que nous croyons être raisonnable. Une réalité : de par le monde les énergies fossiles sont sur le déclin, les quantités découvertes seront de plus difficiles à produire. Les changements climatiques sont là, ils sont dangereux, ce qui va imposer qu’on le veuille ou non une transition vers le renouvelable qui sera d’autant plus brutale que l’on s’y prenne tard. Nous devons tourner le dos à la fatalité. Il y a 50 ans que feu le président Boumediene avait annoncé à la face du monde : «Qararna taemime el mahrouqate» (Nous avons décidé – souverainement — de la nationalisation de nos ressources en hydrocarbures). 50 ans après le 24 Février 1971, c’est une autre révolution qu’il nous faut mener avec des idées nouvelles et en déprogrammant mentalement cet atavisme rentier qui a installé l’Algérie dans les temps morts. L’Algérie du million de martyrs n’a pas dit son dernier mot. Le moment est venu d’inventer le futur et c’est une transition énergétique réussie et déterminée qui sera la locomotive des autres secteurs, notamment de l’industrie mais aussi des possibilités énormes de création de microentreprises, notamment dans la rénovation du vieux bâti, la généralisation du Sirghaz, applications de domotiques d’économie d’énergie et de diagnostic énergétiques et d’application de kits solaires…
La transition énergétique est nécessaire si nous voulons sortir en bon ordre de l’addiction à la rente qui nous fait différer les échéances chaque fois que le baril grimpe et nous tenir le ventre chaque fois qu’il dégringole. Elle devra entraîner une modification de nos modes de production et donc aussi de nos habitudes de consommation de l’énergie. Nous ne pouvons pas continuer à naviguer à vue.

En ordre de marche
Investir des dizaines de milliards dans le développement des champs pétroliers est de la plus haute importance. Le Haut Conseil de l’énergie pourrait animer les arbitrages et mérite un débat dans une conjoncture marquée par l’urgence climatique qui fait que les pays développés mettent en œuvre des stratégies de neutralité carbone au plus tard en 2050. De plus, pour avoir une idée du Plan renouvelable, les calculs montrent que l’installation de 22000 MW prévus nécessite globalement un financement de près de 20 milliards de dollars sur dix ans, sachant bien que progressivement le solaire installé permettra de ne pas utiliser le gaz naturel. Pour chaque 1000 MW installé, c’est 1,5 milliard de m3 de gaz épargné qui peuvent contribuer au financement de la centrale solaire et payer totalement la centrale au bout de quelques années. Au- delà l’électricité solaire est gratuite. Par la suite nous pouvons produire l’hydrogène qui sera une rente durable, car il pourra remplacer graduellement le gaz naturel dont les quantités sur le déclin.
Il reste que pour mettre en ordre de marche cette œuvre déterminante pour la pérennité du pays, la formation des jeunes est déterminante pour prendre en charge ce Plan Marshall qui nécessite des milliers de diplômés. C’est à l’école que nous devons former l’écocitoyen de demain en lui inculquant la notion de bien commun, d’environnement à protéger, d’économie d’énergie à faire, de nouvelles énergies à inventer. Ceci se poursuivra dans les lycées où nous devons sans tarder mettre en place un baccalauréat du développement durable. La continuité se fera d’abord dans les instituts de la formation professionnelle qui doivent habiliter les jeunes diplômés aux métiers du développement durable. Ensuite dans toutes les universités qui devraient mettre en place une filière renouvelable en plus des recherches appliquées. Dans ce cadre, le plan proposé, il y a deux ans par l’Institut de la transition énergétique (Iter) prévu à Sidi Abdallah devrait être opérationnel. Une promotion de la post graduation que j’avais lancée termine en juin 2022. Dans cet institut, la mise en place de la formation et la recherche sur l’hydrogène et des autres spécialités devraient être pour nous un objectif que l’on peut atteindre en nous arrimant à des locomotives sans perdre de temps. Tout le secret de la réussite de la transition énergétique est justement de mobiliser le plus grand nombre autour d’une utopie seule capable de donner une visibilité scientifique technologique économique de l’Algérie quand la rente ne sera plus là. Notre pays doit pouvoir prendre, à temps, les virages rendus nécessaires par l’évolution du monde. Je pense profondément que nous devons mettre en oeuvre une nouvelle révolution basée sur le renouvelable.
J’ose espérer que ce plaidoyer pour une Algérie de nos rêves rencontrera l’approbation de nos autorités. Je suis d’une génération du Service national qui a écouté religieusement « Qararna taemime el Mahroukate » sur la place d’armes à l’EMIA de Cherchell. Un mois plus tard nous étions sur le front du développement. L’Algérie était un immense chantier, Barrage vert, transsaharienne, mille villages agricoles, bases pétrolières. Écoles des Cadets de la Révolution. Bref, nous avions le feu sacré avec l’ambition de servir le pays. Il nous faut retrouver ce feu sacré pour développer le pays. Nous pouvons réussir en mobilisant le plus grand nombre. Parce que le monde n’a que faire de nos états d’âmes. Il faut nous battre avec les armes du savoir et ne compter que sur nous- mêmes. Modestement, cela fait plus d’un quart de siècle que je forme la «crème» de ce pays en organisant chaque année à la date de youm el Ilm une Journée sur l’énergie où les élèves ingénieurs viennent exposer leur vision généreuse du futur. Il reste à trouver le moyen de les garder en leur proposant une utopie mobilisatrice. La transsaharienne électrique, la plantation d’un milliard d’arbres, l’exploitation de 280 sources d’énergie, le Plan hydrogène la pétrochimie verte, la locomotion électrique. Je suis sûr qu’ils seront emballés de montrer leur talent.
À l’instar de la révolution de 1971, la réussite de la transition énergétique restera dans l’Histoire. Malgré toutes les contraintes, il nous faut concrétiser les engagements de monsieur le Président et rendre irréversible la transition énergétique qui déboucherait sur une loi sur la transition énergétique. C’est notre devoir et l’effort à mettre en œuvre pour assurer la sécurité du pays et partant celles des générations futures.

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