Croc-en-jambe au juge
Que s’est-il passé, il y a une vingtaine d’années, dans le cervelet de ce juge poursuivi en criminelle pour «faux en écriture publique», au point de ne pas se présenter face à ses pairs ?
Ali I. est victime d’escroquerie face au président-directeur général d’une entreprise publique. Le jour du procès, le 4 octobre 2004, une des deux parties est absente. Le juge du siège, un très grand magistrat, avocat auparavant, très cultivé, auteur de plusieurs ouvrages sur la justice, son esprit et son attachement à la déontologie, décida de renvoyer les débats au 25 octobre 2004, avec citation de l’inculpé. Donc, l’affaire était censée être toujours au rôle.
Le jour «J» donc, le magistrat du siège, fraîchement suspendu, arriva et est saisi par une catastrophique info. En effet, le juge de l’audience venait d’être informé par le greffier de l’audience qu’il ne présidera désormais que la section «Statut personnel» à la suite d’une décision de répartition pour l’année judiciaire 2004-2005. Il a, cependant, toujours en tête l’affaire du P-DG de l’entreprise. Selon le greffier, le juge avait pris la chemise de l’affaire, avait barré la mention «renvoi» au 25/10/2004, et «bêtement» transcrit «délibéré» ou, si vous voulez, «mise en examen» et, à droite, le verdict annonçant la relaxe de l’inculpé.
Le P-D-G, c’est ce qu’on appelle en jargon de la justice un «faux en écriture». Et un faux commis par un magistrat va droit dans le solide mur des circonstances aggravantes.
Les articles 214-215 du code pénal sont on ne peut plus clairs. Et c’est la porte largement ouverte à la «crim’» ! Et c’est en filigrane la «perpète» car il s’agit d’un magistrat qui ne bénéficiait pas de circonstances atténuantes et, surtout pas, d’intime conviction en de pareils cas. Et Aïssa Mim d’ouvrir l’audience avant de la renvoyer pour la prochaine session, car le juge accusé ne s’était point présenté. Me Med Aïchouche, l’avocat de la victime, a réussi à calmer son jeune et longiligne client qui gigotait et qui voulait vider son cœur, son crâne et ses tripes : «Vous vous rendez compte, il m’a volé la vérité et, pire, a voulu m’incarcérer le même jour. Puis il parla, parla...» Ali I. commerçant à Blida, et criant sur tous les toits être victime face au juge accusé de faux en écriture publique, il avait le regard rivé vers Amara Boumadani, le procureur général de l’audience du jour. Ali avait l’œil fixé au loin, derrière Mim en revoyant les faits vécus le 25 octobre 2004, des faits qui avaient vu la victime, surprise d’abord, puis scandalisée par le verdict annonçant la relaxe du P-DG poursuivi pour escroquerie. «Monsieur le président, puis-je vous poser une question ?» dit, le front haut et le visage défait par le premier jour de Ramadhan 1424, correspondant au 25 octobre 2004, et par le verdict inattendu, la victime. «Oui, vous avez l’autorisation du tribunal», répondit le juge, un sourire en coin. «Un joueur professionnel doit, avant d’être recruté dans un club qui le désire, être d’abord essayé, testé, sous les yeux de dirigeants, des supporters et l’opinion sportive en général.» Pour toute réponse, le président héla un policier pour qu’il embarque la victime, coupable d’outrage à ses yeux. C’est alors que la victime, ayant deviné qu’elle allait vivre les affres d’une injuste détention préventive, et un procès qui ne doit pas se tenir, déserta, subitement, en courant dans la salle d’audience du tribunal de Blida en direction de la cour, à une cinquantaine de mètres de là, pour se retrouver, essoufflée, devant le très jeune Krimo, le secrétaire du procureur général, ébahi devant l’audace de la victime qu’avait vu et entendu, le regretté Tahar Lamara-Mahamed, alors procureur général près la cour de Blida.
La victime était alors, pour reprendre ses esprits, invitée à s’asseoir et à poser la problématique de cette intrusion dans le bureau du premier responsable du ministère public de Blida.
Le défunt procureur général donnera le temps à la victime de souffler, juste après qu’elle eut dit la moitié des faits : «Monsieur le procureur général, je suis victime face au P-D-G, qui se trouve être un compatriote du même bled que le juge, qui veut m’incarcérer pour ‘’outrage au tribunal’’, alors que je n’avais répliqué que la pure vérité ! Nous nous sommes présentés tous les deux à la barre pour être entendus pour la première fois et voilà que le délibéré, jamais annoncé, a pondu la ‘’relaxe’’ de mon adversaire ! Et lorsque j’ai protesté, le juge a ordonné, contre toute logique, mon interpellation à l’audience», avait soufflé la victime qui a, alors, été autorisée à se reposer, alors que le phone du procureur général était entré en jeu pour mettre en marche la lourde et inexorable machine judiciaire et punir l’indélicat, mais tout de même, excellent juge.