Actuellement présent à Ouaga, où il présente son film documentaire Zinet, Alger, le bonheur, à la 29e édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision d'Ouagadougou (Fespaco), Mohamed Latrèche est en compétition dans le cadre de la Semaine de la critique, une catégorie nouvelle pour ce festival. Ainsi, ce documentaire qui part à la trace du réalisateur du célèbre père de la Casbah, poursuit son petit bonhomme de chemin dans les festivals, après avoir été présenté notamment, à El-Gouna (Égypte), Oran, San Francisco, Barcelone, St Louis en Sénégal, Tarifa, Montpellier, Tunis, Montréal, etc. Né à Sidi Bel-Abbès en 1973, Mohammed Latrèche a réalisé deux fictions, Rumeur, Etc. et L'aide au retour, ainsi que des documentaires, notamment À la recherche de L'Émir Abd El -Kader et Boudjemaâ Et la Maison cinéma. Rappelons que Zinet, Alger, le bonheur est coproduit par Sb Films, Vivement Lundi et le Cadc. Il est soutenu par le ministère de la Culture et des Arts. Dans cet entretien qui porte sur son «attachant documentaire», Zinet, Alger, le bonheur Mohamed Latreche revient sur sa passion pour Zinet et ce film» qu'il espère projeter en plein air, à Alger. Il lève le voile sur la genèse et fabrication de ce film, non, sans nous confier son point de vue sur le 7e art algérien et son avenir en Algérie....
L'Expression: Dans votre documentaire, vous tentez de réhabiliter la figure de Mohamed Zinet, de raviver sa mémoire. On vous sent presque habité par cet homme. Qu'est-ce qui justifie cette passion pour cet homme? Que représente-t-il pour vous?
Mohamed Latreche: Quand j'ai commencé à faire du cinéma il y a vingt ans, j'ai cherché à me situer dans l'histoire du cinéma algérien. Tahya ya Didou est vite devenu un repère, une boussole, car ce film incarne un cinéma viscéralement libre, audacieux, novateur.
Mon attachement à Mohamed Zinet tient autant à son talent qu'à son courage et à sa fragilité. Entre la France et l'Algérie, il a passé sa vie à osciller, laissant derrière lui des rêves inaccomplis, des promesses suspendues, des braises sous la cendre. Lui consacrer un film, c'était une évidence. Alors, réhabiliter Zinet? Non, car il n'en a pas besoin. Raviver sa mémoire? Oui, entre autre.
Votre rencontre avec mes P'tit Redouane, est très émouvante, mais il semble désabusé?
Je profite de cette occasion pour le remercier pour la confiance qu'il m'a accordée. Il m'a ouvert son coeur. Redouane est épanoui dans sa vie familiale et professionnelle. Mais mon tournage a ravivé en lui des souvenirs douloureux, ancrés dans son enfance et Ya son adolescence. Après Tahya ya Didou, il s'imaginait, à juste titre, poursuivre une carrière d'acteur. Le monde du cinéma algérien lui a tourné le dos. Pendant longtemps, il a aussi eu du mal à comprendre l'exil de son oncle, Mohamed Zinet. Ce sont ces blessures du passé qui ont refait surface. Mais aujourd'hui, Redouane est un homme apaisé.
Comptez-vous toujours projeter votre film à la Casbah. Si Oui quand? Et pourquoi cette obsession de le projeter à nouveau aujourd'hui?
Oui, je tiens absolument à projeter Tahya ya Didou à la Casbah. Comme je le dis dans mon documentaire, il s'agit de rendre Zinet à Alger. Il a fait ce film pour les gens de la Casbah. Aujourd'hui, il est essentiel de restaurer sa mémoire en montrant Tahya ya Didou à ceux pour qui il a été conçu et leurs descendants, là où il doit vivre encore.
Comment s'est précisé la forme finale de Zinet, Alger, le bonheur»?
J'ai vu plusieurs fois Zinet en rêve, j'entretenais donc avec lui un dialogue direct. Et j'avais envie de lui donner des nouvelles à la fois de la Casbah, du pays, mais aussi de son film qui a été retrouvé, restauré et l'amour que portent les gens à son film cinquante ans après son tournage. Donc le récit devait inéluctablement avoir une essence intime, prendre la forme d'un journal intime. Ceci dit j'avais une hésitation car les consultants en scénario notamment me poussaient à faire un choix, à trancher. Soit faire un biopic sur Zinet ou un film consacré uniquement à mon rapport à Tahya ya Didou. Mais je ne les ai pas suivis. Pour moi, il était possible, nécessaire même de croiser les deux axes. Pour le tournage, j'ai associé un ami photographe, Youcef Krache, je lui ai demandé de faire le maximum de photos dans la perspective de les mélanger avec mes prises de vues vidéo. Restait Redouane, le neveu de Zinet qui est le seul acteur vivant du film et qui incarnait dans Tahia ya didou l'espoir, l'avenir, la relève. Je n'étais pas sûr qu'il accepte de témoigner et nous ouvre sa maison et son coeur comme il le fait dans le film. Cet entretien m'a bouleversé. Après cette rencontre, il est devenu évident que Redouane allait être le centre du film.
Enfin que pensez-vous de l'avenir du cinéma algérien, eu égard aux dernières assises sur le cinéma qui se sont tenues au mois de janvier dernier, à Alger?
Le cinéma algérien survit avant tout grâce à l'acharnement des réalisatrices et des réalisateurs. Je dis bien «acharnement», car nous faisons nos films dans un climat souvent hostile, avec des obstacles à chaque étape. Heureusement, contre toute attente, dans le même temps, nous trouvons parfois des alliés là où on ne les attend pas.
Concernant les assises, leur point fort réside dans l'engagement clair du président de la République en faveur du cinéma. Il y a une volonté politique, et c'est essentiel. Mais pour qu'une véritable réforme aboutisse, il faut une ingénierie administrative capable de traduire ces intentions en mesures concrètes. Ce n'est pas gagné: c'est un chantier long et semé d'embûches.
On parle de développer une industrie cinématographique sur le modèle du Nigeria. Curieuse idée, mais pourquoi pas? Mais le cinéma algérien qui brille aujourd'hui sur la scène internationale est avant tout le fruit d'un artisanat. À court comme à long terme, cet artisanat doit être sérieusement soutenu.