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Sommes-nous des écrivains infidèles à nos mères ?

« J’écris en français mais je pleure en Kabyle » (Jean Amrouche).

Souvent je me sens comme un étranger qui m’habite ! Je ne suis pas moi-même ! Je suis un autre !
Je ne rêve pas en langue d’El Mutanabbi.
Je ne rêve pas non plus en langue de Molière ou de Voltaire, peu importe.
Je rêve dans la langue de ma mère ? Les beaux rêves sont faits dans la langue de yemma.
J’aime aller à l’école. Mais la langue de ma mère, celle de la rêverie, d’amour et du plaisir, est interdite dans mon école. Une fois sur le banc d’école, on m’a demandé d’arracher ma langue, celle de ma mère, et de la remplacer par une autre en grammaire et en conjugaison compliquées et des mots contournés. Dès que je quitte l’école je me hâte de reprendre la langue de ma mère. Je la trouve douce, facile, claire et transparente.
La langue de ma mère est faite pour la vie, dans la vie et pour la liberté, celle de l’école est faite dans les règles et les interdictions.

Pour quelle raison on remplace une langue par une autre ?
On nous envoie à l’école coranique à partir de trois ans, puis à l’école républicaine obligatoire, de six à 16 ans, puis à l’université gratuite, et tout ce parcours d’enseignement c’est pour oublier la langue de nos mères inoubliable ! Pour assassiner la langue des mères sur nos langues. Une situation absurde !
Dans cette même école nationale on nous enseigne, dans d’autres langues, que l’amour des mères est une partie de la foi ! Mais on n’oublie que la langue de ma mère est une partie de son âme, de sa foi et de son être.
On nous demande d’omettre la langue de nos mères, de la nier, et on nous apprend que « le paradis est sous les pieds des mères » ! Quelle logique folle, mortifère et abjecte !
On nous dit que le respect des mères est la première règle pour une bonne éducation, et on nous demande de ne pas apprendre la langue des mères. Comment respecter une mère sans le respect et sans l’apprentissage de sa langue qui est le moyen de communication majeur avec elle ?
Parce que les mères sont l’amour. On ne connait le premier amour, celui de la cousine, qu’avec la langue de nos mères.

J’aime les langues étrangères mais par-dessus tout j’aime la langue de ma mère.
Toutes les langues sont étrangères exceptée la langue de ma mère. L’école et les institutions institutionnalisées ont banni la langue de ma mère afin de faire de nous les enfants d’autres mères, les enfants d’autres pays, les enfants d’autres langues.
On tète la langue maternelle du sein de nos mères.
Dans l’acte de l’écriture, en arabe officiel ou en français, nous ne faisons que nous traduire ! Et traduire c’est trahir a dit quelqu’un. Dans l’écriture, en français comme en arabe scolaire, nous passons notre temps à traduire en train la langue de ma mère qui nous habite dans une autre que nous habitons.
Nous vivons dans une langue, avec une langue, et nous écrivons dans une autre inconnue et étrangère à nos mères. L’écrivain algérien, celui qui écrit en arabe officiel comme celui qui écrit en français, est un être schizophrène.
Tout ce que nos doyens littéraires ont écrit, en français ou en arabe classique, est une tentation de traduire les voix absentes de leurs mères fidèles à leurs langues.
Certes nous avons une si belle littérature algérienne, et nous sommes fiers, des beaux romans et des beaux poèmes, ceux de Kateb Yacine, de Mohammed Dib, de Mouloud Mammeri, de Mouloud Feraoun, d’Assia Djebar, de Rachid Boudjedra, de Tahar Djaout, de Boualem Sansal, de Malek Alloula, de Mustapha Benfodil, d’Adlène Meddi, El-Mahdi Acherchour, de Maïssa Bey, de Lynda Chouiten, de Moufdi Zakariya, de Tahar Ouettar, d’Abdelhamid Benhadouga, d’Ahlam Mosteghanemi, de El Habib Sayeh, de Rabia Djelti, de Bachir Mefti, de Saïd Khatibi, de Mohamed Sari, de Hamid Abdelkader, de Hamida Ayachi…

Ainsi, nous traversons la vie exilés dans une ou plusieurs langues étrangères.
La majorité de ces écrivaines et écrivains ont rendu hommage à leurs mères mais dans des textes faits dans d’autres langues que celle des mères. Un malentendu historique et ontologique.
Je suis sûr et certain qu’aucune maman de ces écrivaines et écrivains n’a lu ces beaux textes. Ce n’est pas parce qu’elles sont analphabètes, mais parce qu’elles appartiennent à une autre langue qui fait le sens de leur existence.
Nous sommes, par notre rapport aux langues d’usage littéraires, les faiseurs d’une longue narration de la trahison langagière et discursive.
Nos mères se trouvent chassées, en dehors de nos textes. On écrit en fermant les portes de nos mots aux mères et on tire le rideau sur leurs mémoires attristées. C’est dramatique et c’est affreux. Nous sommes les blessés ou les condamnés de l’Histoire.
Seule la littérature dite populaire, echchier achchaâbi ou el melhoune, celle créée dans le génie de la langue du peuple, a su comment célébrer le mérite de la langue des mères. Les mères écoutent avec jubilation les textes de Benguitoune, Benmsayeb, d’El Khaldi, de Benkriou, de Cheikh Ezzine, Bouguitat, Aïn Tadlès, de Rabeh Sebaâ….
Seule la littérature écrite en tamazight, avec toutes ses variantes ; kabyle, targuie, chaouie ou mozabite, est une littérature qui dégage l’odeur sacrée du lait maternel, et célèbre majestueusement les mères de ce pays. Les mères comprennent pieusement la sagesse poétique de Cheikh El Hasnaoui, de Si Mohand Ou Mhand, d’Aït Menguellet, de Matoub Lounès ou les textes romanesques d’Amar Mezdad, de Rachid Aliche, de Dihya Lwiz, de Lynda Koudache, de Zohra Aoudia, de Djamel Laceb ….
On ne peut pas être fidèle à la patrie tout en trahissant la langue de la mère. Le traitre est d’abord celui qui méprise la langue de sa mère. Celui qui trahit la langue de sa mère est prêt à trahir son pays. Celui qui n’aime pas la langue de sa mère est incapable d’aimer sa terre natale et sa patrie.
Nous tous, écrivaines et écrivains, nous sommes des infidèles à nos mères, même si on les adore, même si on les vénère ?

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