Du cheval de Troie au cheval de Lalla Fatma N’Soumer!

Le cheval est une créature de noblesse, un être façonné d'élégance et de fierté, qui traverse les âges entre mythe et histoire, du légendaire cheval de Troie au cheval de la résistante Lalla Fatma N'Soumer. Mon père était un cavalier passionné. Il aimait les chevaux, les montait, les élevait, les comprenait. Il ne se lassait jamais de parler d'eux, d'écouter des poèmes à leur gloire, d'entendre les récits de leurs exploits. Pour lui, la chevalerie n'était pas qu'une simple affaire de virilité, c'était un art de vivre, fait de loyauté, de délicatesse et d'amour.
Loyauté envers ma mère, tendresse envers mes sept soeurs, générosité envers le voisin et bienveillance pour la voisine. Depuis mon plus jeune âge, notre maison n'a jamais été privée de la présence d'un cheval. Mon père considérait qu'une maison sans cheval était dépourvue de toute bénédiction, une demeure sans lumière, un lieu où l'hospitalité s'éteignait. Même la plus puissante des voitures ne saurait remplacer un cheval, fût-elle dotée d'un moteur de mille chevaux! Voyager en train est agréable et confortable, mais cela n'égale pas la beauté et la majesté de l'équitation.
Un cheval est porteura d'histoire et de civilisation
L'avion vole et réduit les distances, mais rien n'égale la course effrénée d'un cheval à travers les plaines, galopant comme s'il volait, sans ailes.Les Arabes ont aimé les chevaux, les ont élevés et traités comme leurs propres enfants. Ils ont développé une race reconnue mondialement: le pur-sang arabe. Leurs poètes leur ont consacré de nombreux et magnifiques poèmes, leurs géographes ont parcouru de longs voyages à leur dos, et leurs guerriers ont mené d'innombrables batailles où les épées ont brillé. À dos de cheval, les amants envoyaient leurs lettres à leurs bien-aimées, et les messagers propageaient leur foi aux peuples lointains. Les Amazighs d'Afrique du Nord ont également honoré les chevaux et les ont élevés avec soin et savoir. Ils ont donné naissance à une race prestigieuse, enregistrée dans les encyclopédies mondiales: le Barbe. C'est à dos de ces chevaux qu'ils ont bâti leur gloire et diffusé leur culture. Grâce à eux, ils ont traversé la mer pour atteindre l'Andalousie au nord, et les vastes étendues du sud jusqu'aux terres africaines profondes. C'est à leur dos que Lalla Fatma N'Soumer, El Mokrani, Cheikh El Haddad, l'émir Abdelkader et Cheikh Bouamama ont combattu le colonisateur. Le cheval est un livre, gardien de l'âme et de l'identité. Celui qui aime et respecte les chevaux aime et honore les femmes, chérit et sert sa patrie. L'Arabe, l'Amazigh et d'autres peuples tiennent à préserver la pureté du sang de leurs chevaux, car c'est un élément essentiel de leur identité. Ce n'est pas du racisme, mais une spécificité culturelle qui enrichit l'humanité.
Tout peut être hybridé: la culture, la langue, l'orange, l'amande, la figue, l'olive, les abeilles et les chèvres... sauf le cheval et la patrie, qui doivent rester purs comme du miel authentique.
Depuis des siècles, le cheval a été notre porte et notre chemin vers l'Autre.
Le cheval, dernier
confident de mon père!
«Dans le toupet des chevaux réside la bénédiction», disait-on jadis. Mon père y croyait fermement, et c'est pourquoi il a passé sa vie en compagnie des chevaux. Il n'aimait pas seulement les monter - bien qu'il participât aux festivités de fantasia - mais il leur parlait. Son fusil de cavalier et sa poudre noire étaient toujours accrochés au mur, à côté d'un simple tapis de prière. Mon père comprenait le langage des chevaux. Je le voyais leur murmurer des mots et les chevaux lui répondaient par leur hennissement. Ils écoutaient sa voix douce, lui qui récitait le Coran à la manière andalouse et l'apprenait par coeur. Chaque fois qu'il croisait un cheval, il tremblait d'émotion, s'approchait pour le toucher, lui parler, s'inquiéter de son bien-être de sa nourriture et de son eau. Le cheval ressemble à son maître dans sa douceur, son courage, sa patience et sa loyauté.
Un cheval ne se vend pas, il se mérite. Je ne me souviens pas que nous n'ayons jamais vendu un cheval qui était entré chez nous. Où sont-ils partis? Je ne saurais le dire.
Une histoire vraie
Peu avant sa mort, j'ai proposé à mon père une balade en voiture, espérant ainsi alléger ses souffrances. Sur la route, nous avons croisé un cheval debout devant une ferme. Dès qu'il l'aperçut, mon père tressaillit, puis me demanda de m'arrêter. Il descendit avec peine, s'appuyant sur sa canne. Il s'approcha du cheval, le regarda longuement. Le cheval le regarda aussi. Puis, il hennit doucement, comme s'il l'avait reconnu. Mon père posa sa main sur sa crinière, lui caressa le front. Le cheval baissa la tête, en signe de salut. Mon père revint vers moi, le regard pétillant d'émotion, les yeux brillants d'une larme cachée. Alors que nous repartions, le cheval nous observait encore, jusqu'à disparaître dans le lointain.
Le choc
J'étais étudiant à l'université d'Oran lorsque j'ai vécu un choc terrible. Un jour, en me promenant au marché célèbre La Bastille, j'ai remarqué quelque chose d'étrange: une boucherie chevaline! J'ai vu de mes propres yeux un boucher vendant de la viande de cheval! Je n'y croyais pas. Pris d'un profond chagrin, j'ai précipité mes amis hors du marché. Cette nuit-là, j'ai dormi en entendant le hennissement de notre cheval dans la cour, et la voix de mon père me revenait en écho: «Le cheval rêve.»
La relation entre le cavalier et son cheval, entre le poète et son cheval, révèle l'évolution de la raison et du sentimental dans le monde arabe et en Afrique du Nord: d'une mentalité primitive, à une mentalité chevaleresque, puis utilitariste, civilisationnelle et enfin une quête esthétique...