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EL DJAZAÏRIA EL MOSSILIA

L'hommage à Sid Ali Ben Merabet

L'auditorium du Palais de la culture a abrité, jeudi dernier, un somptueux et non moins émouvant hommage à celui qui a su donner des assises pérennes à la doyenne des associations de musique classique algérienne.

A Sid Ali Ben Merabet plus précisément que l'association El Djazaïria El Mossilia a tenu à honorer, à sa manière, à l'effet de rappeler au bon souvenir d'une assistance des grands jours les efforts titanesques d'un homme qui n'aura reculé devant aucun sacrifice pour réconcilier le patrimoine musical classique avec son lustre d'antan. Un lustre qui faisait dire au début du vingtième siècle à l'esthète Omar Racim qu'Alger et sa musique savante n'étaient pas sans rappeler les splendeurs de Grenade, la merveilleuse cité andalouse. Bien qu'honoré par les grandes instances du pays à l'issue d'une cérémonie expéditive où un diplôme fut remis à sa famille, Sid Ali Ben Merabet méritait plus d'égards que symbolise merveilleusement bien la reconnaissance de ses élèves qu'il avait longtemps couvés, protégés et fait bénéficier des services des meilleurs professeurs. Parmi ces compétences, il est aisé de citer Zoubir Karkachi, Hadj Abdelkrim M'hamsadji, Hamidou Djaïdir et le grand maître Sid Ahmed Serri. Une merveilleuse épopée que ces moments inoubliables qui auront scellé, des années durant, une magnifique collaboration entre Sid Ali et Sid Ahmed amplifiée, on s'en doute, par les succès retentissants engrangés à l'intérieur comme à l'extérieur de nos frontières. En cela, le mérite du président de l'association chère aux frères Mohammed et Abderezzak Fakhardji est grand. Il a su maintenir, contre vents et marées, la mission qu'il s'est assignée nonobstant quelques récriminations haineuses à l'encontre de la citadinité et l'indifférence totale des clercs. Il a su surtout éviter les méandres du confusionnisme à l'honneur au niveau de la manipulation de certains concepts, à plus forte raison lorsque des esprits chagrins ne parvenaient pas, loin s'en faut, à faire la différence entre citadinité et bourgeoisisme. Bien qu'issu d'une famille aisée, ce président modèle recrutait ses élèves en milieux populaires.

L'indifférence totale des clercs
Mieux, il les considèrera comme ses propres enfants veillant à leurs études comme à leur ascension sociale. Cette conception altruiste, Sid Ali la doit à son père Mohammed qui fut parmi les membres fondateurs de Nadi Et-Taraqi (ou Cercle du Progrès) dont la création par la bourgeoisie citadine algéroise remonte au mois de mars de l'année 1927, bien avant donc la naissance de l'Association des Oulémas en 1931. Du reste, le rôle joué par Nadi Et-Taraqi dans l'émergence de la structure chère à Omar Smaïl, Mouloud Hafiz et cheikh Abdelhamid Ben Badis a été déterminant à plus d'un titre. Il procédait d'une dynamique impulsée le plus souvent par les vieilles familles du terroir, les adeptes du soufisme, les écoles libres et l'imprimerie des frères Rhodouci. Sid Ali Ben Merabet en gardait d'ailleurs des souvenirs impérissables. Il accompagnait son père à toutes les réunions et manifestations abritées par le Cercle du Progrès où avait élu domicile le doyen des clubs algériens, le Mouloudia d'Alger qui comptait parmi ses dirigeants un grand sportif et mécène, Mahmoud Bensiam pour ne pas le désigner. C'est, du reste, ce club de la rupture qui recommandera aux dirigeants du cercle cheikh El Okbi qu'ils feront venir de Biskra, à la faveur d'une prise en charge totale, à l'effet d'impulser une dynamique certaine aux activités de leur association. Une structure dont la création répondait aux aspirations des vieilles familles algéroises qui voulaient en découdre avec le phénomène de la naturalisation en vogue alors et le charlatanisme tout en assurant, de l'avis même de Nacim El Okbi, «une éducation intellectuelle, économique et sociale des musulmans d'Algérie». Nadi Et-Taraqi étendit vite son audience et le discours réformiste prôné par cheikh El Okbi galvanisait les foules parallèlement à celui des courants séparatistes et progressistes. Notamment à la veille de la création, en 1931, de l'association des Oulémas à un moment où cohabitaient tous les courants de pensée et toutes les associations sportives et culturelles de rupture. C'est au niveau de cet espace civilisationnel que verra le jour, le 27 janvier 1930 et en pleine célébration du Centenaire, la société musicale El Djazaïria qui eut comme présidents Mohammed Bentefahi (1930-1933), Mahmoud Bensiam (1933-1936), Mamed Bestandji (1936-1948) et Rachid Kasdali (1948-1964). Un véritable défi à la caste coloniale dont les fêtes étaient conçues pour consacrer le triomphe de la civilisation usurpatrice et l'humiliation de trop par ce rappel de la défaite infligée au peuple algérien. A un moment où les élus autochtones étaient de leur côté fort gênés soulignera l'historien Mahfoud Kaddache dans La Vie politique à Alger de 1919 à 1939: «Condamner le Centenaire, c'était condamner la conquête et donc le colonialisme; se taire c'était, pour ceux qui avaient gardé des contacts avec les masses, une lâcheté.» Entre les partisans de l'assimilation et les tenants de la pusillanimité, les vieilles familles d'Alger ont choisi, comme le Mouloudia, l'option de la rupture, à plus forte raison lorsque la société musicale naissante n'était composée que de musulmans contrairement à El Moutribia largement dominée, depuis sa création en 1911, par des Algériens de confession israélite, même si elle fut présidée, après le départ d'Edmond Nathan Yafil, par Mahieddine Bachetarzi. Sid Ali Ben Merabet ne pouvait pas échapper à ce bouillonnement et à cette confrontation saine des idées. Il ne pouvait en être autrement, surtout que la boutique paternelle se trouvait non loin de Nadi Et-Taraqi, à Zniqet laârayess, l'actuelle rue Bouzrina que les vieux Algérois connaissent sous le nom de la rue de la Lyre. Mu par une ferveur et une disponibilité à toute épreuve, il se laissera guider par son père et adhèrera vite à son intention de le confier au muphti Baba Ameur qui, dès l'année 1925, le familiarisera très tôt aux qassayed et au chant andalou. Il faut souligner ici que les imams de l'époque avaient de larges connaissances tant de la musique andalouse que de la poésie.

Les vieilles familles du terroir
De quoi provoquer l'ire des wahhabites dont l'extrémisme et la paresse intellectuelle leur ont vite fait oublier que la musique andalouse elle-même doit son sauvetage au rôle joué au XVIIIe siècle par la mosquée et la zaouïa. Mahieddine Bachetarzi me l'a confié de son vivant: «Selon de vieux Algérois qui ont eux-mêmes servi de relais à leurs anciens, l'histoire de la musique classique algérienne fut marquée par un événement d'une importance capitale au 17ème siècle. De nombreux mélomanes constatèrent à une certaine époque que la musique classique perdait de plus en plus ses chanteurs musulmans connaissant bien le répertoire, et que la plus grande partie de celui-ci se trouvait entre les mains de chanteurs israélites d'Alger ne connaissant pas l'arabe classique. Devant la menace qui planait sur cette musique, qu'il connaissait et aimait, le mufti hanafite de l'époque convia tous les moudjaouidine (lecteurs du Coran de la capitale) à une réunion. Ils étaient une centaine, possédant de puissantes et belles voix.» A l'époque, souligna le ténor du Vieil Alger, les moudjaouidine connaissaient en général tous les modes de notre musique et n'avaient pas besoin d'un instrument pour distinguer un araq d'un zidane, un moual d'un djarka, ou un sika d'un raml maïa. Ils avaient tous une vaste culture musicale: «Dans le but de trouver un moyen qui consolida la musique et lui assura une conservation fidèle, le mufti suggéra à ses interlocuteurs d'adapter le plus souvent possible les airs des noubas aux paroles des cantiques qu'ils psalmodiaient dans les mosquées.» Baignant dans un milieu familial notablement mélomane, Sid Ali Ben Merabet fera preuve d'un intérêt manifeste pour la musique classique algéroise grâce au phonographe, à la grande diva de la chanson citadine Maâlma Yamna Bent Hadj El Mahdi et au Caruso du Vieil Alger Mahieddine Bachetarzi. Sa famille, à l'instar des grandes familles d'Alger et des grandes villes d'Algérie, avait pour habitude, soulignera au Palais de la culture l'animateur de la soirée, d'inviter les artistes de renom pour animer les mariages, les baptêmes et autres soirées de Ramadhan et de circonstances. Bien qu'il fréquente à l'époque de nombreux musiciens, la boutique de son père se trouvant à une centaine de mètres de Nadi Et-Taraqi, son géniteur s'opposait fermement à ce qu'il s'adonne à la pratique musicale. Une insoutenable frustration que voici, mais qui sera sensiblement atténuée par la proximité des grands maîtres parmi lesquels il est aisé de citer Mohammed Benteffahi, Ahmed Sebti, Mahieddine Lakehal sans oublier les frères Mohammed et Abderezzak Fakhardji. Les concerts donnés par El Djazaïria et les trois associations musicales créées à l'initiative du Mouloudia d'Alger, à savoir El Hayat, El Mizhar et Gharnata, contribuèrent pleinement à son épanouissement musical. Créée en /1932, El Mossilia ne sera pas du reste, surtout qu'elle compta parmi ses membres fondateurs des transfuges de la doyenne des associations musulmanes de musique classique algéroise. Du reste El Djazaïria et El Mossilia fusionneront le 15 octobre 1951 avec, au départ, Abderezzak Fakhardji comme professeur qui sera remplacé en 1953, après son recrutement par le conservatoire municipal d'Alger, par Sid Ahmed Serri L'Indépendance nationale acquise, Sid Ali Ben Merabet piaffait d'impatience et parvenait difficilement à calmer son ardeur. Il lui fallait rattraper le temps perdu, s'adonner enfin à la pratique musicale pour mieux se retrouver. Hmida Kateb, un conservateur d'une fine intelligence, était particulièrement sensible à l'état d'esprit du fils de son ami, à sa fougue et surtout à sa volonté de servir autrement une association dont la fusion n'a pas été sans quelques altérations. Il profitera de son poste de secrétaire général pour proposer sa candidature à la succession de Rachid Kasdali alors président de la doyenne des associations. De 1964 à 1998, année de sa disparition, en véritable manager, il sera un président exemplaire, dynamique, passionné et dévoué, toujours au service de la musique et de l'association qu'il a su gérer comme une entreprise, soulignera l'animateur de la soirée: «Il a pu «convaincre» et réunir autour de lui, toute une équipe de musiciens et professeurs, anciens élèves de l'association, pour former de nouvelles générations de musiciens. La formation des élèves sera toujours confiée à des musiciens confirmés, issus du vivier de l'association.» C'est le moment que Sid Ali Ben Merabet choisira pour prendre une sacrée revanche sur le sort qui lui a été imposé des années durant. Il se consacrera corps et âme à sa muse, en commençant tout d'abord par devenir un élève assidu en grattant d'abord une guitare avant de se mettre à l'archet à l'aide d'un violon alto de rêve et d'opter définitivement pour un majestueux r'beb hérité d'ailleurs d'un grand musicien juif, je veux parler de Maâlem Mouzino. Son instrument de prédilection qu'il adopta le jour où il assista au concert donné par la Slam de Tlemcen. Plus précisément à l'occasion du 1er Festival national de musique andalouse (1966-1967) et à la faveur d'une soirée inoubliable, notablement marquée par le retentissant succès remporté par la touchia El Kamel magistralement portée par le r'beb de Mustapha Belkhodja.

Un véritable défi à la caste coloniale
Mélomane et insatiable collectionneur, il possédait, nous apprend la même source, de nombreux objets ayant appartenu à de célèbres musiciens algérois, comme il était en possession de nombreuses archives constituées d'enregistrements sonores, de photographies et d'écrits. C'est d'ailleurs par lui que le scandale arriva, le jour où il décida d'intégrer les jeunes filles dans les différentes classes que comptait son association: «Ma mère, née en 1878, jouait du piano, toutes mes soeurs ont appris à en jouer. Nous avions aussi des instruments, dont une kouitra que j'ai donnée à ma fille Sabeha.» La levée de boucliers n'aura cependant pas eu raison d'un tel défi qui engrangera des échos favorables sur toute l'étendue du territoire national. Un juste retour des choses, puisque dans toutes les médinas du pays, les femmes avaient accès le plus naturellement du monde à l'art musical. Il n'y a qu'à revisiter pour cela les miniatures de Mohammed Racim pour en avoir le coeur net. Cette intrusion pour les uns et ce bienfait pour tant d'autres de la gent féminine contribua pour beaucoup à la réhabilitation du costume traditionnel citadin. Toujours soucieux de l'avenir de cette musique, nous apprend l'animateur de la soirée, il méditait pour mettre en place de nouvelles orientations pour l'association El Djazaïria El Mossilia: «C'est ainsi qu'il a été à l'origine durant les années 70 de la reprise des q'ssayed et de la réouverture du mausolée de sidi Abderahmane pour abriter les chants religieux durant El Mawlid Ennabaoui.» Il faut dire que la restauration dans ses droits du patrimoine liturgique algérois a été le cheval de bataille du président d'El Djazaïria El Mossilia et du professeur Sid Ahmed Serri dont les appels à la prière continuent même de nos jours à émerveiller et à émouvoir. Les deux amis voulaient coûte que coûte renouer avec les Mouloudiate des muphtis Sidi Ammar, Sidi Ben Ali, Ben Echahed...mais surtout concrétiser le voeu le plus cher de Mahieddine Bachetarzi qui m'avait confié un jour: «Il est regrettable que cette tradition, enracinée en Algérie depuis près de trois siècles et qui s'est maintenue même durant la nuit coloniale, se soit perdue depuis une vingtaine d'années. Est-ce le manque d'adeptes ou la pénurie de jolies voix?» L'amertume du ténor du Viel Alger est justifiée. Pour mieux le comprendre, il faut remonter aux moudjaouidine d'antan et à leur désarroi lié au fait qu'ils ne trouvaient plus de qassida à adapter: «C'est alors que les muftis d'Alger se sont mis à écrire des mouloudiate à leur tour. Et c'est ainsi que les moudjaouidine, que nous appelâmes par la suite qassadine, se trouvèrent en possession d'un répertoire de mouloudiate composé entièrement par des poètes algériens, presque tous musicologues et même musiciens, tels Cheikh Sidi Ammar, Cheikh Sidi Benali, Cheikh Menguellati, Mohammed Ben Echahed, tous muftis d'Alger, Cheikh El-Mazouni, Cheikh El Aroussi, Cheikh Benmerzoug et bien d'autres encore. Cette tradition, dont le berceau était Alger, s'est étendue à Blida, Médéa et Miliana tout d'abord, ensuite jusqu'à Constantine.» Encore jeune vers 1920, nous apprend l'un des pères du théâtre populaire algérien, il eut souvent le privilège, à l'occasion des fêtes du Mawlid Ennabaoui, d'assister aux mausolées de sidi Abderrahmane et de sidi M'hamed à la venue des qassadine de Constantine avec à leur tête le Cheikh Abdelhamid Ibn Badis lui-même (en 1921 et en 1924).» Sid Ali Ben Merabet s'est éteint un dimanche 26 juillet 1998. De l'avis même de ses élèves et de ceux qui l'ont connu et apprécié, ses obsèques montrèrent à quel degré d'estime il était porté. Il laissa, nous apprend l'animateur de la soirée, une oeuvre monumentale que son fils Nacer Eddine perpétue merveilleusement bien pour que le lustre de la doyenne des sociétés musicales ne soit jamais démenti.

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