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Chems Eddine Chitour*, Professeur émérite, à L'Expression

«On assiste à la naissance de l'Opep du gaz»

Le professeur émérite Chems Eddine Chitour est un expert reconnu en matière de questions énergétiques. Ancien ministre de l'Enseignement supérieur, il a également été le premier ministre de la Transition énergétique et des Energies renouvelables de l'histoire du pays. Dans cet entretien, le professeur à l'École Polytechnique d'Alger nous parle des enjeux du7ème Sommet des chefs d'État et de gouvernement du Forum des pays exportateurs de gaz (GecfF). Il aborde le contexte spécifique du marché du gaz et évoque les possibilités qui peuvent découler de cette réunion qu'il qualifie d'historique. Néanmoins, le professeur Chitour rappelle qu'au-delà de ce forum, l'Algérie ne doit pas oublier l'enjeu de la transition énergétique, qui presse de plus en plus. Appréciez plutôt...

-L'Expression: Bonjour professeur, l'Algérie s'apprête à accueillir le 7ème Sommet des chefs d'Etat et de gouvernement du Forum des pays exportateurs de gaz (Gecf. Quelles sont les enjeux de cette rencontre?
Professeur émérite Chems Eddine Chitour: Le sommet d'Alger revêt une importance capitale dans le contexte actuel, où le gaz naturel est devenu une option plus écologique. Bien qu'il émette environ la moitié des polluants du charbon et deux tiers de ceux du pétrole, il reste significatif par rapport aux énergies renouvelables. Toutefois, des considérations économiques et sociales ont nécessité sa ´´verdisation´´, en en faisant un enjeu stratégique majeur pour de nombreux pays, intégré dans leur mix énergétique. Selon l'Agence internationale de l'énergie, le gaz naturel est la source d'énergie fossile qui a le plus progressé ces 45 dernières années dans le mix énergétique mondial, représentant 24,7% de la demande énergétique mondiale, après le pétrole (31,2%) et le charbon (27,2%). Sa croissance est particulièrement marquée dans la production d'électricité, dépassant le charbon dans les pays développés et déjà dominant en Afrique, où son utilisation est favorisée pour son moindre impact environnemental. Aux États-Unis, bien que l'électricité renouvelable soit en plein essor, le gaz conserve une part importante, juste après elle et bien avant le charbon, soulignant son importance à l'échelle mondiale.

Donc le gaz occupe encore une place prépondérante dans le mix énergétique mondial. Mais qu'en est -il des prix?
Justement, j'allais arriver à ce point. En 2021, avec la crise ukrainienne, la demande de gaz a explosé. Mais depuis, les choses ont évolué. La consommation a diminué en Occident. Par exemple, j'ai lu récemment qu'en France la consommation du gaz naturel a atteint en 2023 son niveau le plus bas depuis 30 ans. Une tendance qui se confirme à travers le monde. Cela est, notamment, dû à des hivers de plus en plus doux. Il y a aussi un changement d'habitude de consommation chez les Occidentaux depuis la pandémie de la Covid-19 et la crise de la Crimée, le recours à d'autres énergies mais aussi des stratégies d'efficacité énergétique qui ont porté leurs fruits. A cela, il faut ajouter une diminution de l'activité en Chine, le plus grand consommateus au monde de cette ressource. Ce qui fait que malgré la place qu'occupe cette énergie dans le mix énergétique mondial, les prix restent encore très bas, et le marché est de plus en plus«sur-approvisionné». Les prix ont chuté d'environ 30% jusqu'à présent en 2024. Ils ont atteint leur niveau le plus bas depuis trois ans et demi revenant presque à leur niveau d'avant crise ukrainienne.À¨ cela, il faut ajouter le fait que les prix du gaz sont calculés à partir de contrats spot. Il s'agit de contrats de gré à gré indexés sur le pétrole. Ils s'étendent sur plusieurs années, voire parfois plusieurs décennies. Ce qui fait que même dans leur plus haut niveau, les pays producteurs n'ont pas profité de la situation. D'où l'importance cruciale et stratégique du rendez-vous d'Alger qui se présente comme le lieu de naissance d'une OPEP, mais du gaz...

Comment ça l'équivalent d'une «Opep du gaz»?
Comme l'ont fait les pays de l'Opep il y a 60 ans, ceux de ce forum veulent reprendre les rmines du gaz en décidant des prix, de la production et des mécanismes. Un «Cartel» qui dicte sa loi sur le marché, se réunit et décide des niveaux de production pour empêcher un «sur-approvisionnement» comme c'est le cas actuellement. Il va donc discuter naturellement des prix, de la solidarité, arriver à faire un peu ce que faisait l'Opep, c'est-à-dire agir en cartel, augmenter, diminuer les quantités de telle façon à stabiliser un prix. Le Forum des pays exportateurs de gaz regroupe actuellement un peu plus de 40% du gaz mondial avec 12 pays membres, en plus des 7 observateurs. Le grand enjeu de ce rendez-vous sera de mettre en place une union et une parole commune, comme l'a fait l'Opep en devenant sa grande force. Cela afin de décider des mécanismes pour favoriser le commerce du gaz. Il devrait aussi y avoir des réformes avec comme ligne de mire les «fameux» contrats de long terme. Car, comme je l'ai déjà dit, le marché spot n'est pas du tout approprié pour ce qui est du gaz proprement dit. Pourquoi? Parce que l'investisseur, le producteur est obligé d'investir des sommes importantes. Aujourd'hui, les coûts ont diminué, les investissements ont été rentabilisés mais la rentabilité n'est pas au rendez-vous, à cause de ces contrats de long terme. Ce qui fait que ces derniers sont la principale cible de ce forum. Les pays membres ne veulent plus brader leur gaz. Surtout qu'il s'agit, aujourd'hui, d'une énergie aux multiples usages.

Que signifie une énergie aux multiples usages?
Avant, on ne connaissait que le gaz naturel au sens propre du terme. C'est -à- dire un usage simple. On l'appelait même comme une énergie fatale. Or, aujourd'hui, on a découvert que l'on peut tout faire avec ce gaz naturel. On peut chauffer. On peut faire de la pétrochimie. On peut l'utiliser aussi pour produire de l'électricité. Et on peut, évidemment, l'utiliser comme carburant. Bref, il y a mille et une possibilités. Néanmoins, contrairement au pétrole, les coûts sont plus élevés, notamment en ce qui concerne son transport, particulièrement en ce qui concerne le transport par pipeline. L'Algérie a réussi à réduire ses coûts en recourant au gaz naturel liquéfié (GNL). Elle a enregistré, en 2023, d'excellentes performances en matière d'exportation du GNL, devenant leader en Afrique. L'Algérie a exporté en 2023 un total de 13 millions de tonnes de GNL, chiffre le plus élevé depuis 2010, contre 10,2 millions de tonnes exportées en 2022 soit un taux de croissance annuel de 26,1%, le taux le plus élevé à l'échelle arabe en 2023. Toutefois, demeure le problème de l'importation de nos ressources en état. Car, ce GNL contient un trésor caché, à savoir 8 à 10% de méthane. Or, il s'agit d'un élément important dans la pétrochimie. Dans les années 1970, feu Houari Boumédiene avait une vision d'ensemble avec toute une chaîne de valeurs pour ne pas vendre nos ressources naturelles à l'État brut. Chose qu'a adoptée le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, qui a instruit le gouvernement à vendre notre gaz et notre pétrole en produits finis. Or, le gaz contient la matière essentielle pour l'industrie de la pétrochimie mais que l'on brûle aujourd'hui, et qui s'évapore dans l'air. Il est essentiel pour notre pays de revoir cette vision, et de tirer profit de tout ce que peut nous apporter le gaz, particulièrement en matière de pétrochimie. Il est aussi important de penser à développer réellement les énergies renouvelables, et prendre le train de l'hydrogène vert. Celui-ci nous permettra de pouvoir transporter ces ENR et les exporter vers l'étranger afin de nous assurer des entrées en devises, du fait que nos réserves en énergies fossiles ne suffiront pas, à partir de 2030, à satisfaire la consommation interne.

Donc je comprends que vous affirmez que la production actuelle de l'Algérie en gaz ne suffit qu'à couvrir la demande interne?
La consommation de gaz dépasse largement un milliard de mètres cubes par semaine, une quantité considérable comparée à celle des pays voisins, qui est vingt fois moindre. Il est impératif de rationaliser cette consommation pour garantir un avenir viable aux générations à venir. À ce rythme, d'ici 2030, notre production de gaz actuelle risque de ne plus suffire à couvrir nos besoins internes. C'est pourquoi il est crucial que ce forum en Algérie serve de catalyseur pour lancer une nouvelle stratégie énergétique axée sur les énergies renouvelables et la transition énergétique, qui jusqu'à présent n'a pas atteint la vitesse souhaitée et nécessite donc un effort accru. Bien que notre capacité en énergies renouvelables soit d'environ 2000 mégawatts, il est impératif d'accélérer ce processus et d'améliorer nos performances. Parallèlement, il est essentiel de définir une stratégie claire à l'horizon 2035, comprenant un mix énergétique bien défini, afin de fournir au président Tebboune les orientations nécessaires pour mener à bien cette transition. Nous devons passer de l'ébriété énergétique à la sobriété énergétique (al kanaâ de nos aînés). Chaque jour qui passe réduit nos options et il est donc urgent d'agir dès maintenant....

* Ancien ministre de la Transition énergétique et des Énergies renouvelables

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