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Mohamed Aouine, poète, à L’Expression

«Je suis façonné par notre langue amazighe»

Mohamed Aouine est poète, auteur de nombreux livres dont le dernier, «Les étoiles s’allument la nuit», vient de paraître aux éditions de La Vina. Originaire d’Azeffoun, il vit à Grenoble où il gère une librairie qui abrite régulièrement des cafés littéraires. Le dernier a été dédié à Tahar Djaout.

L'Expression: Vous venez de publier un nouveau recueil de poésie, confirmant ainsi que vous demeurez fidèle à votre passion qui remonte à votre tendre jeunesse, pouvez-vous nous dire pourquoi vous demeurez tant attaché à la poésie, malgré tout?
Mohamed Aouine: Cela faisait cinq ans que je n'avais rien publié. C'est vrai! Mais je n'ai pas cessé de produire pour autant ni cessé de vivre en poète. Il m'arrive d'écrire, puis de jeter. Parfois, des poèmes s'élaborent dans ma tête. Je leur attribue toutefois une tout autre forme qu'écrite. Disons que je ne ressens pas toujours le besoin d'écrire ou de publier. Et puis, comment vous dire, avec la poésie, c'est viscéral. Je suis totalement présent au monde. En permanence! Je mourrai poète. Il me semble être façonné par notre langue amazighe et ce qui gravite autour. Elle a traversé des siècles entiers pendant que d'autres langues puissantes, qui l'ont côtoyée, sont éteintes. tamazight, en la pratiquant ou même en entendant quelqu'un la parler, j'ai comme l'impression qu'elle me susurre, à l'oreille, la conduite à suivre pour ne pas dévier du chemin de «la poésie véritable». Celle qui vous confère la capacité de demeurer serein lorsque le monde entier s'agite. Celle qui vous donne le pouvoir de rester juste et droit quand le monde entier s'égare ou s'agenouille. Je suis impressionné par la quantité de poèmes exquis, souvent produits de manière anonyme, qui s'échangent encore chez nous. Il suffit de tendre l'oreille pour les écouter. Dans tous les milieux et au quotidien! Ces paroles poétiques se sont sans nul doute semées dans mon être profond, moi aussi, tout petit dans mon village de Kabylie, et elles ont germé. Définitivement. Je demeurerai attaché à la poésie jusqu'à ma fin ici-bas.

Pouvez-vous nous parler de ce nouveau livre?
Ce nouveau livre est un miracle! Je pensais avoir tout dit avec les précédents et qu'il était temps, pour moi, de cesser de publier parce que je considère que, quand on n'a rien à dire de mieux que le silence, on garde le silence! Mais non! Des textes ont commencé à venir, espacés parfois de six mois, voire plus. Petit à petit, ils ont formé ce nouveau recueil. Il faut avouer que j'ai été beaucoup encouragé par mes lecteurs, qui trouvent du sens dans mes poèmes. «Les étoiles s'allument la nuit» est un ouvrage polythématique. S'il invite à penser notre rapport au monde et aux autres êtres vivants, il ausculte aussi des sujets universels, tels que l'exil au sens large, le passage du temps, notre condition et le mystère de la vie. J'utilise, comme tout poète digne de ce nom, la poésie comme arme pour dénoncer, combattre la violence et l'injustice d'où qu'elles viennent. Il ne faut pas oublier qu'un poème, un simple poème peut faire trembler toute une dictature, parce que la poésie est indestructible et c'est ce qu'il y a de plus pure. On peut aisément jeter en prison un poète; la poésie, elle, est insaisissable. Elle ne connaît pas les murs, les barreaux ou les frontières. Elle n'en érige jamais. Elle jette des ponts.

«Les étoiles s'allument la nuit», pourquoi ce titre qui aurait pu être pris pour un pléonasme si vous n'étiez pas poète?
Justement, c'est en poète que je me suis permis de l'utiliser. «Les étoiles s'allument la nuit», ça peut paraître une évidence, simple comme titre. Mais les choses les plus évidentes, les plus simples ont souvent le don de nous échapper. La poésie est là pour leur faire toute la place qu'elles méritent. Il est, par exemple, difficile pour un être humain d'être simple... Au-delà de l'intention esthétique, j'ai toujours essayé de mettre un peu de poésie dans les titres qui coiffent mes livres. Tous mes livres. Je considère que le titre est un premier poème, qui doit donner envie d'ouvrir le livre pour lire les autres. Pour réussir un poème, un tout petit poème, il faut traverser des nuits entières, c'est-à-dire souffrir. Une fois trouvé, ce poème, ce tout petit poème peut éclairer des vies entières et leur éviter de maudire l'obscurité. Quand une personne chère quitte notre monde pour un autre, que ce soit vers l'au-delà ou vers l'exil, un voile noir se déploie dans nos têtes. Mais, passé le deuil, l'image de cette personne disparue momentanément ou à jamais luit. Elle devient une étoile dans la nuit sombre. Je peux multiplier les exemples. Mais je m'arrête là. C'est du noir que jaillit la lumière. Toujours. Vous voyez, c'est tout un ensemble de mécanismes qui se mettent en mouvement dans la tête d'un écrivain avant de choisir un titre, parfois même avant de choisir un mot car les mots, chez lui, ont un sens!

Quels sont les thèmes qui reviennent le plus dans vos textes poétiques? Pourquoi?
Je considère qu'il n'y a pas une grande révolution sur le plan thématique dans mes textes. On aborde, nous les poètes d'aujourd'hui, pratiquement les mêmes sujets que nos prédécesseurs! C'est la façon de les traiter qui évolue, change. Je parle, entre autres, d'exil parce que je suis concerné. J'ai quitté l'Algérie seul, sans le sou, à seulement 24 ans. Cela fait presque 20 ans! Et ces 20 années sont passées à la même vitesse que 20 secondes. Elles sont passées vite. Elles ont été éprouvantes. Mais elles m'ont appris le sens de la vie sous tous ses aspects. J'en parle dans mes textes. Je parle aussi de l'enfance, de l'importance de la nature, de l'insecte le plus minuscule qui soit, du pouvoir des livres, de l'art, de la culture en général, des choses qu'on ne voit pas ou qu'on refuse de voir. Je dénonce l'arbitraire. Je parle de la nécessité d'aller vers ceux qui sont différents de nous pour grandir. J'essaie de comprendre ce qui se cache derrière ce grand théâtre que l'on appelle communément la vie. Pourquoi nous venons? Pourquoi nous finissons toutes et tous par la quitter à un moment ou à un autre? Vers où allons-nous? Comme bon nombre de poètes, j'essaie, à chaque fois, d'aller là où il n'est pas facile de se rendre pour revenir avec de la beauté ou des bouts de réponses. Des bouts seulement car aucun poète ne détient toute la vérité.

Quels sont les poètes que vous admirez le plus, voire qui vous inspirent et vous influencent quand vous écrivez?
Aucun poète ne m'inspire quand j'écris. Simplement parce que, quand j'écris, j'essaie de dire ce qu'ils ont oublié ou n'ont pas voulu dire ou ce qu'ils n'ont pas exprimé comme je l'aurai souhaité. Ceci dit, nombre d'entre eux m'ont nourri et me nourrissent toujours, en images comme en émotions. Citer des noms, c'est en oublier d'autres... Parmi les poètes que j'aime lire et/ou écouter, je peux citer Mahmoud Darwich, Richard Brautigan, Jean-Pierre Siméon, Matoub Lounès, Emily Dickinson, Youcef Sebti, Joséphine Bacon, Thomas Vinau, Alexandre Romanès... et le poète au verbe acéré Kader Rabia. Il mérite d'être publié en Algérie, son pays, et d'être lu largement. Ses poèmes sont magnifiques.

Etes-vous le même poète que celui d'il y a vingt ans, celui que nous avons connu à Tizi Ouzou?
Toujours le même. Avec les mêmes valeurs. Le même attachement à ma terre natale et à mon peuple. Les mêmes principes, avec un grand penchant pour l'humour, mais aussi la beauté des choses et des coeurs. Lorsqu'on est poète, on ne change pas tellement. On reste cet enfant qui, à tout moment, peut marquer un arrêt intempestif pour admirer un caillou, s'émerveiller devant une fourmille ou changer, sans trop réfléchir, de direction...

Il y a quelques jours, vous avez rendu hommage à Tahar Djaout. Pouvez-vous nous en dire plus?
Tahar Djaout est quelqu'un de ma famille. Au-delà de ce lien familial qui nous unit, je partage, avec lui, toutes ses idées car elles sont nobles. Aux côtés de Mouloud Feraoun, il est, selon moi, l'un des meilleurs auteurs que l'Algérie a enfantés. Alors des hommages, je lui en rends tous les jours dans la librairie que j'ai créée et que je dirige à Grenoble, en vendant ses livres et en parlant de son parcours à mes clients. Récemment, j'ai accueilli, en effet, une soirée spéciale où l'on a parlé de son oeuvre et de son parcours, avec la complicité de Marie-Thérèse Lloret. Des comédiens de la compagnie Prenez place & Cie ont lu de larges extraits de ses romans et déclamé ses poèmes. Il y avait énormément de gens, venus de tous les horizons. Ma librairie n'avait pas pu tous les contenir. Preuve qu'on ne peut pas faire oublier des hommes de sa trempe en les liquidant physiquement... Tahar Djaout sera toujours là pour aider à s'élever ceux qui le souhaitent et pour rappeler aux médiocres leur petitesse.

Vous êtes originaire d'Azeffoun, terre ayant donné une infinité d'artistes. Pouvez-vous en dire un mot?
C'est la ville des Tahar Djaout, Bachir Hadj Ali, Issiakhem, Fellag, Iguerbouchène... La liste est longue! C'est la ville où je suis venu au monde, moi aussi. Elle rayonne au niveau mondial mais, au même temps, elle vit dans un grand dénuement culturel et artistique par manque, de volonté politique, de structures associatives fortes, de salles dignes de ce nom, de musées et de manifestations culturelles. C'est sa contradiction dont, j'espère, elle saura se départir. Malgré tout, je reste très attaché à Azeffoun. Je trouve que c'est l'une des plus belles régions d'Algérie.

Que peut un poète dans le monde d'aujourd'hui envahi et dominé par les réseaux sociaux?
«La poésie sauvera le monde, si rien ne le sauve», martèle à qui veut l'entendre Jean-Pierre Siméon. Je suis d'accord avec lui. Ce que peut un poète, dans un monde noyé dans les nouvelles technologies, c'est de semer ses mots, même sur les réseaux sociaux, s'il le peut, pour que poussent ou repoussent un peu d'humanité chez les gens, un peu de douceur, un peu de beauté et beaucoup de résistance. Lorsqu'on sauve son monde intérieur, on sauve le monde dans son ensemble. Il ne faut pas oublier que le poète est en situation d'insurrection permanente. Il ne divertit pas. Il éveille les consciences et montre toujours le chemin vers ce qui est juste, capital, ce qui est merveilleux. Je termine en citant, un autre grand poète de la fin du XXe siècle, Georges Perros, qui a écrit cette formule qui résume tout: «Le plus beau poème du monde ne sera jamais qu'un pâle reflet de ce qu'est la poésie: une manière d'être, d'habiter, de s'habiter». C'est-à-dire que la poésie est une éthique de vie. Elle a davantage besoin du réel que du virtuel où les mots être et lien sont bannis. La poésie est vitale dans chaque communauté humaine. Un peuple qui ignore ses poètes encourt le risque de perdre son âme. La responsabilité n'incombe donc pas qu'au poète, mais elle est partagée. 

De Quoi j'me Mêle

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