Loi, famille et chari’a
Les islamistes algériens ont sorti la grosse artillerie, à la limite du terrorisme intellectuel, pour imposer leur vue sur la famille et exiger un code en décalage par rapport à la réalité sociale du pays. De fait, depuis des semaines que l´on s´éreinte sur le sujet, il n´y a pas eu de vrais débats et confrontation d´idées donnant aux uns et aux autres, d´exposer leurs arguments pour le pour et le contre. Or, cette question de l´organisation de la famille va engager durablement la société algérienne pour le meilleur et pour le pire. Et le pire nous le vivons depuis l´adoption du code de la famille de 1984 qui ne répondait déjà pas aux besoins d´une société qui aspire à aller de l´avant. De fait, vingt ans après, en 2004, l´Algérie a évolué et a changé tant au plan social que celui de la démographie, dès lors, il est légitime que les lois conduisant la société soient révisées. De fait, celui qui n´évolue pas régresse et c´est ce que semble faire l´Algérie. Il est aussi curieux à ce propos que les Algériens qui ont écrit l´Appel du 1er-Novembre, en 1954, soient plus en avance sur leur temps que ne le sont des Algériens de 2004. Or, le code de la famille qui est une oeuvre humaine n´est ni la Sunna, et encore moins le Coran, et est donc éligible à révision et amendement autant que le nécessite sa conformité avec le vécu social. Certes, une abrogation pure et simple de l´actuel texte de loi serait encore la meilleure option, mais les choses étant ce qu´elles sont, le code doit à tout le moins faire l´objet d´un correctif afin d´en éliminer les imperfections et tout ce qu´il peut avoir de suranné tant pour ce qui est de la personne humaine, que pour la famille et la femme et plus généralement l´organisation de la société pour l´adapter au vécu algérien. Le code de la famille est donc une loi, et comme telle il arrive toujours un moment où cette loi ne répond plus de manière pertinente aux objectifs qui lui ont été tracés. Et ce moment est arrivé, et le moins qui puisse être dit est que l´actuel code de la famille se trouve aujourd´hui en décalage par rapport aux vrais besoins de la famille algérienne. Le tutorat sous quelque forme qu´il est présenté n´a plus lieu d´être dans ce pays. Aussi, l´Algérie se trouve à la croisée des chemins, elle qui a vécu une décennie rouge et le forcing islamiste voulant imposer au peuple sa conception étroite de l´Islam. Or, alors que l´on pouvait, à la limite, s´attendre de la part des islamistes à des arguments convaincants pouvant justifier leur thèse sur cette question, ils se suffisent du seul a priori de la chari´a ne tenant pas ainsi compte des réalités de ce pays. En fait, les oukases et les pressions n´ont jamais constitué un argumentaire probant ni de nature à enrichir le débat sur un dossier qui ne saurait être du seul ressort des islamistes qui se présentent en l´occurrence, comme de nouveaux inquisiteurs. L´importance du thème en question, la famille et son organisation, appelait en fait les islamistes à un véritable effort d´ijtihad conforme aux préceptes de l´Islam qui recommande de telles réflexions pour l´enrichissement de la pratique sociale. Or, les islamistes ont de loin préféré la facilité de s´arc-bouter sur une loi, la chari´a, promulguée dans des temps aujourd´hui révolus sans commune mesure avec notre temps et le vécu du musulman. Il faut savoir en effet, que la chari´a qui n´est pas la sunna, ni le Coran, est une loi humaine promulguée par des hommes dans les conditions particulières qui étaient celles d´un peuple tribal, celui du Hedjaz (péninsule arabique, l´actuel royaume wahhabite) près d´un siècle après la disparition du Prophète. Une loi, il ne fait pas de doute, qui était excellente pour les tribus vivant à cette époque dans un pays très peu peuplé où toutes les personnes se connaissaient. La chari´a promulguée dans un contexte précis d´une époque donnée, -vers 730 après JC- peut-elle être appliquée de la même manière en 2004 plusieurs siècles après? Certes non, et il appartenait aux musulmans de faire cet effort d´ijtihad, - effort d´interprétation du Coran et des traditions du Prophète (QLSSSL) - à la lumière des évolutions sociales que connaît le monde généralement, la Oumma musulmane singulièrement. Au premier siècle de l´Hégire des législateurs tirant la quintessence des dits de la sunna et des versets du Coran ont formalisé des lois, la chari´a, organisant la vie en société de la communauté musulmane. Quels efforts ont été fait depuis, pour approfondir la cohésion sociale et conformer la chari´a au vécu des musulmans, en tenant compte dans le même temps des avancées sociales et du respect des traditions qui organisent l´assise de la société musulmane?. En fait, les islamistes ont une vision réductrice de la société en général, de la femme en particulier maintenue dans un statut de mineure, alors que rien dans la tradition n´assujetti cette partenaire à part entière de l´homme. De fait, si certains interdits décrétés par la chari´a peuvent s´expliquer, sinon se justifier, pour une époque donnée, et uniquement pour cette époque, il est aberrant de prétendre que ces lois (humaines, insistons sur ce point) soient valables dans tous les temps et en toute circonstance comme si, pour elles, le temps s´est figé pour l´éternité et, ce qui était acceptable il y a quinze siècles puissent l´être encore en ce début de troisième millénaire, ou avoir la même sagesse qu´elles avaient lors de leur promulgation. Et la chari´a, oeuvre humaine ne peut être soumise aux mêmes règles que le Coran et la sunna. Et si la sunna encourage l´ijtihad, c´est justement dans la perspective de donner aux musulmans d´avancer avec leur temps et contribuer à la construction de sociétés fortes comme ont pu en édifier les Etats abbasside, omeyyade et andalou qui encouragèrent moralement et financièrement la science et les créations de l´esprit. Cet âge d´or musulman a produit penseurs, médecins, mathématiciens musulmans qui, à un degré ou un autre, ont révolutionné, en leur temps, la pensée scientifique, cela en adéquation avec les recommandations du Coran qui encourage la recherche scientifique et le savoir. Aussi, c´est sur le champ de la qualité de leur ijtihad que sont attendus ceux qui se réclament de l´Islam.