Les ruades d'une audience
La juge avait, ce lundi, un rôle pas possible, pour ce qui est de la quantité. De là où nous nous trouvions, nous avons pu noter que deux grosses piles de plus d'une centaine de dossiers, reposaient sur le côté droit du pupitre.
La 1ère affaire a vu deux adultes s'avancer prudemment vers la juge et s'arrêter net, devant la barre, à proximité de leurs conseils, prêts à en découdre. Ils sont tous les deux tendus et prêts à exploser. Ils évitent de se regarder à vingt centimètres, l'un de l'autre.
La présidente sent que la mèche est près du détonateur: «Vous, les deux adversaires d'un dossier d'association flouée, qui a flopé, à cause du dinar, n'êtes pas encore prêts à vous expliquer! Alors, comme je ne peux pas évoluer dans un climat bouillant, où une tension explosive, risque de changer les inculpations, je décide de renvoyer les débats sous quinzaine, à condition de vous présenter, avec vos conseils, dans cette même salle, détendus, et je dirais même souriants, sous un ciel clément!
Le prochain dossier avait trait au non-paiement de la pension alimentaire. Là, la juge est plus qu'expéditive: «Si Abdelaziz.H. Avez-vous réglé votre ex? Oui ou non? Et pas de bavardages, car la dernière fois vous avez assez tripoté avec le temps!», lance la magistrate, qui reçoit en plein figure: «Vous ne m'avez pas accordé la liberté provisoire, pour que je puisse me déplacer, et ramasser la somme due!» L'ex. intervint sans l'autorisation de la juge:
«Je l'ai toujours dit depuis cinq ans: Mme la présidente, il ne paiera pas! Il n'a aucun compte à la banque, ni au CCP. Il ne travaille pas. Et il ne paiera pas, parce que personne ne sera là, pour l'aider, car il est
en...
-Bon, bon, nous avons compriss! Vous resterez en détention jusqu'à ce que vos enfants soient réglés! Affaire suivante!»
Le prochain inculpé se lève péniblement, et dit: «Mme la juge, je ne me sens pas en forme pour rendre compte de mes actes! Et puis, mon adversaire n'est pas venu, et devrait m'affronter! Je... -Ça va, ça va, vous n'allez tout de même pas occuper le siège! Rendez-vous le 16 septembre 2022, pour être jugé autour des coups et blessures volontaires!
La suite est ensuite réservée aux détenus. En effet, le brigadier de service est arrivé dans la salle, et à son seul regard, il signifie la disponibilité des détenus de ce jour. «L'audience est levée», lance, entre les dents, la magistrate qui se lève, aussitôt suivie de l'assistance, du procureur et de la greffière. La reprise est laborieuse.
Le 1er détenu demande un renvoi pour pouvoir constituer un conseil. Le deuxième affirme avoir un léger malaise et est donc indisponible. Akila. F. l'inculpée d'escroquerie, décide, contre toute attente, de reconnaître les faits, demande pardon à sa vieille adversaire, et s'excuse auprès de la justice pour les désagréments causés!
La juge la fixe bien au fond des yeux: «Les fêtes de l'Aïd Esseghir, vous ont mieux raisonnée que ne l'aurait fait le tribunal!», marmonne la juge qui appelle six personnes à la barre, en vue de passer au jugement de «coups et blessures ayant entrainé une cessation d'exercer de dix sept jours, sauf complications.» Les deux détenus, Osmane.J. et Terzi. H. deux frangins au regard de feu, arrivent des geôles, le regard hagard, et surtout confus, car ils ont aperçu les enfants du quartier, venus en curieux, se délecter devant ces dangereux frères qui font la loi dans la cité. Un avocat s'avance vers la magistrate et demande tout de suite un report des débats, «car, mes clients sont indisponibles, à la suite des graves blessures reçues au couteau pour au moins, vingt cinq jours», dira le conseil, qui entendra la date du procès. «J'espère de tout coeur qu'il sera là, car nous sommes au 3ème report.»
-Si mes clients se relevaient des coupss!», enchaine l'avocat que la juge plante par une sèche réplique, une réplique comme seuls les magistrats endurcis et chevronnés, peuvent en fabriquer! «Coups ou pas, blessures ou pas, vous devez être là dans huit jours!
La dernière affaire a trait à l'émission de chèques en bois, mais l'inculpé est absent. «Me, dites à votre client qu'il a quinze jours pour se présenter et rendre compte à la justice!», balance la juge du siège, qui arrive en fin de rôle, les yeux cernés et la mine quasi défaite. Elle lèvera l'audience à 17 heures précises dans une salle pratiquement vide.
