{{ temperature }}° C / {{ description }}

Cité introuvable.

MADJID BENCHIKH À COEUR OUVERT À L'EXPRESSION

"Nous assistons à une mobilisation de la dignité"

Madjid Benchikh, doyen de la faculté de droit d'Alger durant les années 70, est l'auteur de plusieurs ouvrages, notamment «Les organisations internationales et les conflits armés», «Droit international public» et «Algérie un système politique militarisé». C'est à lire! Bref, Dans un entretien à coeur ouvert, le vieux doyen a piqué un éclat de rire: «Soyons sérieux, on ne va pas dire du jour au lendemain au commandement qui est le centre du système, c'est bon, retirez-vous du champ politique. Au contraire, c'est aux décideurs de prendre contact avec l'ensemble des organisations autonomes.» Il explique: «Le rôle des militaires est très important. Ils peuvent être garants du respect des engagements pris, dans les formes appropriées acceptables en vue d'une transition démocratique véritable. Chacun sait que le commandement militaire a une emprise forte sur le système politique depuis l'indépendance.» Délire: «Je ne vois pas, comment quelqu'un qui arrive comme ça à dire: l'armée va partir demain, ça ne se passe pas comme ça. Seule institution solide et organisée, l'armée, détentrice du pouvoir décisionnel, est plus que jamais interpellée.»



L'Expression: Au nom de la Constitution, le président du Sénat Bensalah est désigné comme chef d'Etat intérimaire à la suite de la vacance du pouvoir, par conséquent, l'élection présidentielle est prévue dans 90 jours, soit le 4 juillet, cela dit, les jeux sont corrects sur le plan juridique. Juriste que vous êtes qu'en est-il de votre analyse?
Madjid Benchikh:
De quel chef d'Etat intérimaire vous parlez: d'un Bensalah? De quelle Constitution, de quelles institutions vous parlez? Ce qui est important dans ce soulèvement en Algérie, que moi j'appelle un soulèvement populaire pacifique, c'est qu'il demande le départ du système, pas seulement de telle ou telle personne, parmi les principaux responsables. Je trouve que c'est normal, il faut aller plus loin: la dissolution de l'APN, du Conseil de la nation, du Conseil constitutionnel et le départ du gouvernement. Certains vont dire qu'il y aura un vide attaché à ces institutions, le peuple vient de dire qu'il n'est pas attaché à ces institutions; il ne se reconnaît pas dans ces institutions, comment voulez-vous qu'ils se reconnaissent dans un Sénat nommé par un chef d'État que le peuple a obligé à démissionner? Comment voulez-vous que le peuple se reconnaisse dans un Bensalah quand le peuple réclame son départ et que lui-même est nommé au Sénat par le chef de l'État qui vient d'être écarté? Comment peut-on être attaché à une Assemblée nationale dont on a vu les pratiques qui consistent à comploter pour défaire son président et mettre un autre? Comment voulez-vous être attaché à une institution dont on a défoncé les portes? Cela touche profondément les populations; le peuple se sent piétiné, humilié par de tels comportements de la nomenklatura; dans ces conditions, le peuple algérien ne peut pas être attaché à ces institutions; il ne peut pas ressentir du vide s'ils quittent la scène politique. Au contraire, il ressentira de la fierté, il se mobilisera mieux et construira mieux ses futures institutions. De toute façon, il n'y a pas de vide parce que ces institutions ne font rien, elles agissent sur ordre. Comment voulez-vous parlez de vide quand on dégage une Assemblée nationale de ce type? Quand cette Assemblée n'a jamais fait une enquête crédible, n'a jamais voté une loi qui rende l'espoir? Je ne parle même pas du Sénat, ce Sénat n'aurait jamais dû exister. Comment parler du vide du Conseil constitutionnel? Non, le système aujourd'hui n'a aucun argument juridiquement correct. Cette Constitution même est violée. Personne n'a bougé quand Bouteflika a dit j'annule l'élection et que c'est contre la Constitution, sa Constitution. Il viole sa propre Constitution et après on vient nous sortir tel ou tel article pour le présenter comme obstacle devant le peuple? C'est entièrement inacceptable!
Le peuple ne peut pas accepter des élections organisées dans le cadre de ce système. Je sais que les élections du système sont une vaste tromperie. Bensalah ne peut pas être le coordinateur de ces élections dont on attendrait la liberté et l'honnêteté. Ce n'est pas possible, ce n'est pas une, deux ou trois élections qui ont été truquées en Algérie. Ce sont toutes les élections législatives et présidentielles qui n'ont rien à voir avec des élections libres et honnêtes. Donc on ne peut pas imposer cela au peuple algérien qui sort dans la rue et qui lutte tous les jours et marche chaque vendredi.

Il se dit par-ci par-là que le risque d'un dérapage lors des grandes manifestations que le peuple organise régulièrement est une menace à prendre au sérieux. Qu'en est-il de votre lecture?
Si jamais un jour il y a des dérapages, comme il se dit par-ci par-là, surtout par les médias, il faut dire qu'ils ne peuvent en aucune manière être imputés aux populations. Et si jamais il y a dans l'avenir des dérives, des violences cela ne pourrait être que le fait des adversaires du peuple. Le peuple algérien est désormais tourné résolument vers la voie pacifique. Il l'a montré depuis maintenant deux mois. Nulle part, le peuple algérien n'a eu recours à la violence: ni dans un village ni dans une rue ni dans une grande ville ou dans la capitale. La volonté du peuple algérien s'exprime pacifiquement pour revendiquer ses libertés, ses droits et dénoncer le système. Moi personnellement je suis contre ce rappel constant de l'éventualité d'un dérapage qui pourrait se produire. Car de tels rappels ne servent qu'à faire peur aux manifestants.

Nombre d'observateurs relèvent que l'armée algérienne demeure «le coeur du système», et démilitariser le système reste un long chantier qui n'est pas à l'ordre du jour. Qu'en est-il de votre analyse?
L'ampleur des évènements que traverse le pays, depuis le 22 février à ce jour, a fait comprendre au Commandement militaire que s'il continue à soutenir Bouteflika cela lui coûtera cher et risque de lui faire perdre beaucoup de plumes. C'est ainsi que le Commandement militaire avait décidé de faire appel à l'application de l'article 102 de la Constitution pour lâcher Bouteflika qu'il avait pourtant soutenu des années durant. En appliquant l'article 102 cela permet de voir exactement la place qu'occupe le Commandement militaire dans le système.
Cela fait comprendre surtout qu'il n'est pas seulement un acteur au moment des crises du système, mais il est plutôt le centre, la pièce maîtresse du système. Le fait que le Commandement militaire a dû intervenir pour pousser dehors le chef d'Etat, Abdelaziz Bouteflika, qu'il avait lui-même intronisé et maintenu des années durant contre la volonté du peuple, montre toujours que le commandement militaire veille à la sauvegarde du système.
Le Commandement militaire décide en même temps qu'on continuera avec les règles du système en appliquant l'article 102 sans craindre que l'appel à Bensalah pour devenir le chef d'Etat intérimaire soit quelque chose d'absolument insupportable pour le peuple algérien. Car il s'agit du maintien du système avec un homme qui ne peut pas être accepté par le peuple algérien. C'est dans ce sens que le recours à l'article 102 aggrave la crise de l'Etat. La décision d'appliquer l'article 102 aggrave la crise du système parce que la situation politique et les rapports de force entre le peuple et les gouvernants ont changé. Les hommes du système sont devenus clairement anachroniques et incapables de répondre aux demandes du peuple. Ils ne sont plus en phase par rapport aux demandes de la population. Le commandement militaire n'a fait par conséquent qu'aggraver la crise, aggraver le blocage du système en recourant à l'article 102. Il faudrait abandonner l'article 102 et les conceptions qui le sous-tendent pour dégager une solution politique avec les acteurs du soulèvement populaire. Telle me semble être la voie à suivre.

Le chef d'état-major, Gaïd Salah, ne se retrouve-t-il pas aujourd'hui dans la même situation où s'est retrouvé Khaled Nezzar après l'arrêt du processus électoral et la démission du président Chadli Bendjedid en 1992?
Il faut dire que les situations sont différentes. En 1992, il y avait des manifestations, qui ne sont pas de la même nature avec ce qui se passe aujourd'hui en Algérie. En 1988, également, la situation n'est pas comparable à ce qui se passe aujourd'hui. Aujourd'hui, on assiste à une mobilisation qui fait honneur au peuple algérien et elle est saluée de par le monde. C'est une mobilisation de la dignité de l'homme et de la femme qui manifestent par millions chaque vendredi et dans la semaine. Et cette mobilisation n'a qu'un mot d'ordre «système dégage!».

Le peuple réclame des têtes et au fur et à mesure que les événements évoluent, des têtes tombent, cela µsignifie-t-il que le système s'effrite?
Que tel parte ou reste, le problème n'est pas là. Il ne faut pas perdre la réalité de vue. Ce sont des millions d'Algériens qui crient dans les monts, les plaines, les villes et le désert, et avec quelle manière, pacifiquement et avec maturité: un seul mot d'ordre «système dégage». Le monde entier est resté admiratif, c'est extraordinaire ce qui se passe! Par contre, l'état-major de l'armée a clairement indiqué sa position quant à son choix: il maintient le «Système». Pour sauver le système nul n'est indispensable. Je ne pense pas que Gaïd Salah, le chef d'état-major, soit le seul décideur.
Je ne pense pas aussi que le fait de relever Gaïd Salah à la tête de l'état-major changera les choses et que les problèmes soient réglés ensuite. Par contre, il faut dire qu'il est normal pour le peuple de réclamer des têtes. C'est un procédé classique dans les mouvements populaires, c'est connu. Cela dit, c'est normal si le peuple réclame et exige encore le départ de Bensalah, de Bedoui, comme il réclame aussi assez souvent le départ de Gaïd Salah. Mais ce qu'il y a d'extraordinaire aujourd'hui en Algérie, c' est que le peuple dit, comme un seul homme, «système dégage!»

Puisque la chute des têtes ne suffit pas pour la chute du système, le peuple exige sa chute de suite. Qu'en est-il de la solution?
Chacun veut des solutions tout de suite. Il n'y a pas de solution tout de suite pour tout, parce qu'il faut du temps pour construire des institutions à partir des transitions. S'il y avait comme sur un plateau d'argent, des solutions prêtes pour tout pays, il y aurait longtemps qu'on aurait dit tel pays a fait comme ça et tel autre a fait comme ça. Non, le soulèvement populaire s'est fait dans des conditions particulières et précises, le mouvement populaire s'est fait dans une situation où le président Bouteflika a accaparé le pouvoir autour de sa famille, de ses amis... Le soulèvement s'est fait dans une situation où les partis politiques, disant traditionnels, sont souvent des partis qui ont été au service du système, qui ont pactisé avec le système, alors il y a une grande méfiance à l'égard de tels partis et de l'ensemble des autres corps intermédiaires.

Il n'y a pas de solutions miracles, il est temps de suivre cette voie selon laquelle les décideurs doivent aller vers le contact avec ceux qui animent les collectifs autonomes. Il faut aller du côté des syndicats autonomes, associations autonomes, ligues autonomes et des intellectuels qui ont épousé les revendications du soulèvement du peuple.

On parle du «système dégage», d'une transition, d'une élection présidentielle, des portes ouvertes sur d'autres solutions venant du peuple, promises par l'homme de l'heure, Gaïd Salah: qu'en est-il des tenants et des aboutissants de cette crise?
Il ne faut pas oublier que le peuple demande que «le système dégage», il faut donc que les représentants de ce mouvement soient sur cette ligne-là. Des représentants du mouvement populaire doivent être sur cette ligne: «système dégage», pour prétendre parler dans la même direction. Il est clair que, vendredi passé, le peuple a exprimé sa volonté de ne pas aller vers l'élection en juillet prochain. En maintenant leur volonté d'y aller, les décideurs aggravent la crise. Ils sont ainsi dans l'incapacité d'épouser la cause du peuple honnêtement et d'une maniéré crédible. Les décideurs sont en crise. Il n'y a pas de crise du côté du peuple. On le voit du côté du pouvoir d'Etat, du côté des gouvernants, une crise profonde.

La main étrangère serait-elle en mouvement actuellement en plein soulèvement populaire, comme le rappelait le chef d'état-major de l'armée?
Il n'y a pas de main étrangère. La main étrangère c'est comme une sorte de fantôme qu'on fait sortir dès qu'il y a un débat d'ordre national, notamment dans les pays où sévit un système politique autoritaire, c'est toujours la main étrangère qui est à l'origine d'un soulèvement. C'est absurde, je n'arrive même pas à croire comment des gens censés avancent de tels discours qui exhibent la main étrangère à chaque carrefour.

L'armée doit être un partenaire dans la gestion de la transition et accompagner le peuple à atteindre les objectifs de sa révolution ou faut-il carrément exclure de ce processus de transition l'institution militaire?
Soyons sérieux, on ne va pas dire du jour au lendemain au commandement qui est le centre du système, c'est bon, retirez-vous du champ politique. Au contraire, c'est aux décideurs de prendre contact avec l'ensemble des organisations autonomes. Leur rôle est très important. Ils peuvent être garants du respect des engagements pris, dans les formes appropriées acceptables en vue d'une transition démocratique véritable. Chacun sait que le commandement militaire a une emprise forte sur le système politique depuis l'indépendance. Je ne vois pas quelqu'un qui arrive comme ça dire: l'armée va partir demain, ça ne se passe pas comme ça. Seule institution solide et organisée, l'armée, détentrice du pouvoir décisionnel, est plus que jamais interpellée. Si les décideurs prennent conscience de l'intérêt national, des aspirations des millions de personnes hommes et femmes il y a des solutions. Il y a du côté du soulèvement du peuple, des gens qui ont formulé des revendications et ils peuvent être des interlocuteurs valables.

De Quoi j'me Mêle

Placeholder

Découvrez toutes les anciennes éditions de votre journal préféré

Les + Populaires

(*) Période 7 derniers jours