Centre d’hémodialyse de Bouira
Une structure où tout est possible…
Ce centre est vital pour de nombreux malades. Il permet aux dialysés d’avoir une vie presque normale. Petite virée dans ces centres de la vie…

Notre arrivée ce matin devant le centre d’hémodialyse est saluée par un cri déchirant qui nous glace le sang. Pendant un court moment, nous restons interdits, puis ayant recouvré nos sens, nous nous demandons qui peut donc pousser un tel cri et d’où il vient. Du service, où nous nous apprêtons à entrer, comme dans notre trouble, nous l’avons d’abord cru. Car le hurlement poussé par une voix féminine arrive de ce côté. «Un nouveau malade, sans doute», nous disions-nous, et nous commençons à monter les quelques marches qui relient l’allée à l’entrée du service en question. Mais nous sommes vite tirés d’erreur, car la personne qui manifeste ainsi sa douleur quitte à ce moment l’angle du bloc qui nous la cachait et apparaît en face de nous. C’est une jeune femme. Elle court presque, et ses cris, maintenant qu’elle est proche, sont de plus en plus forts et terrifiants. Sa course s’achève dans les bras de deux personnes qui lui barrent le chemin. Elle s’écroule à leurs pieds sans cesser ses cris hystériques. Dans ce flot de sons inarticulés, nous avons cru distinguer un nom féminin. Une mère ? Une sœur ? Une amie ? Comment l’interroger dans cet état ? Sans cesser de hurler à mort, la malheureuse, l’air plus que jamais égaré, se met à frapper du plat de la main le sol. Les secours arrivent et on l’emmène à l’intérieur du bloc réservé aux malades admis, tandis que, retrouvant sa raison, ses cris désespérés s’arrêtent. Quelle nouvelle a pu la mettre dans cet état ? Et où l’avait-elle reçue ? Elle ne venait ni des urgences ni du bloc des hospitalisations, mais du fond du parc, derrière l’hôpital. Notre petite enquête à ce sujet n’a rien donné. Il ne s’est rien passé ce jeudi à l’hôpital Mohamed-Boudiaf, nous assure-t-on. Peut-être s’agit-il d’une fausse nouvelle ? Il n’empêche, cette scène déchirante nous a fortement troublés. Et pour cause.
Un centre de dimension nationale
Le calme règne en ces lieux. Pas une plainte, pas une toux, pas un bruit. Une fois dans le hall, on nous indique le bureau du chef de service au fond du couloir. Il nous attend. L’avant-veille, dans le bureau du nouveau directeur de l’hôpital, nous avions convenu de notre rendez-vous. Ce dernier nous a annoncé un prochain arrivage de générateurs et cela seul avait piqué notre curiosité et motivé notre visite aujourd’hui. En fait, l’hôpital se transforme de l’intérieur. Beaucoup de moyens – humains et matériels – sont investis pour une meilleure prise en charge, de manière à rassurer tout à fait le malade sur la qualité des services offerts. C’est cette qualité qui fait que des insuffisants rénaux préfèrent se mettre sur la liste d’attente plutôt que d’aller dans une clinique privée bien que le service soit bon et la prise en charge assurée par la Cnas. Se livrant à une comparaison pour souligner le grand pas fait par le service d’hémodialyse du temps où il n’était entre 1994 ou 95 qu’une simple antenne, et fonctionnant alors avec si peu de moyens, notre interlocuteur a tenu à faire ce rappel : jusqu’en 2008, le centre d’hémodialyse de Bouira était le seul à offrir un tel service. En raison du nombre croissant de malades et des moyens de bord, il était obligé de travailler avec 4 positions, selon la terminologie en vigueur. «Une position, explique le responsable du centre, comprend une séance de 4 heures, avec un repos d’une demi-heure pour l’aseptisation du générateur, de la salle et de la literie. Puis, on passe à la seconde position.» Avec l’ouverture, en 2008, d’autres centres d’hémodialyse à Sour El Ghozlane, Aïn Bessem et Ahnif, la tension qui régnait à ce niveau est tombée. Ils sont aujourd’hui quelque 120 dialysés à venir un jour sur deux pour une cure d’hémodialyse. Il y a naturellement des cas d’urgence. Pour leur accueil, l’administration a réservé deux lits équipés de deux générateurs. Au moment de notre visite, un seul lit est occupé, et donc un seul générateur est en marche. Hassan (c’est le nom du malade) a le sourire. Il est d’abord certain de sortir bientôt et puis il est satisfait comme les autres de la qualité des soins dispensés. Pour les autres malades de tous les jours, il existe trois salles ayant chacune 4 générateurs et une grande salle équipée de 8 générateurs. Au total, le centre tourne avec 22 générateurs, ceux de la salle d’urgence au nombre de 2, compris. Tous semblent en bon état.
Un générateur assure les mêmes fonctions qu’un rein. Il purifie le sang. Il n’a malheureusement pas la même durée de vie. Alors que nous recevons pour la vie ce précieux cadeau de la nature, quand bien même nous vivrions cent ans, un générateur peut «vivre» 25000 à 30000 heures. C’est court ! On ne peut même pas parler de jours ou de mois ! Le plus ancien comptabilise plus de 43843 heures. Cela n’a rien d’étonnant. Le centre dispose d’un service de maintenance performant formé de 2 techniciens. Quand «une machine» tombe en panne, on la répare sur le champ. C’est ainsi qu’on a pu réparer 15 générateurs. C’est aussi, en prévision du jour où ces appareils devenus complètement obsolètes seront déclarés hors de service, que la direction a pensé à réceptionner prochainement 14 nouveaux générateurs. Ils seront mis en réserve pour remplacer plus tard les vieux générateurs hors d’usage. Pour le moment, les 22 appareils tiennent bon. Jusqu’en 2019, assure notre interlocuteur, leur fonctionnement a eu besoin d’une seule station.
Depuis, le centre en possède deux, de sorte qu’en cas de panne on est tranquille. Rien n’est laissé au hasard. Naturellement, un tel équipement traduit le souci des responsables de moderniser le secteur et de l’amener à un point optimal de prise en charge du malade. Et ce souci, on le trouve également dans l’organisation du personnel mobilisé et la distribution des rôles impartis, que l’on travaille en solo ou en équipes. Concernant, par exemple, les médecins qui sont au nombre de 8, dont 2 néphrologues, leur rôle est d’établir des bilans pour chaque malade et pour chaque malade un protocole de dialyse. Celui des 27 infirmiers est de se conformer en tout point à ce protocole, lors de la séance d’hémodialyse.
Un nouvel arrivage
En d’autres termes, chaque patient qui vient pour sa séance est pris en charge individuellement, selon les soins que réclame l’état de son corps de malade chronique, selon le chef de service. La néphrologue, dont le bureau est entre la pharmacie et le bureau du chef de service, donne aussi des consultations et des traitements gratuits aux insuffisants rénaux. C’est elle encore qui, lorsqu’elle voit que la situation d’un d’entre eux s’aggrave, l’oriente vers le service d’hémodialyse. Enfin, ce centre a un laboratoire où s’effectuent les analyses et les bilans dialysés, une salle d’attente et une salle de déchocage, comme il a deux locaux où sont installés un réservoir pour le stockage d’eau et les deux stations d’épuration qui aliment en eau épurée les 22 générateurs. La prise en charge des dialysés s’étend jusqu’au repas et au transport pour ceux qui viennent de loin, assuré, pour ces derniers, par les transporteurs publics conventionnés avec la Cnas. En moyenne, et sans trop forcer, le centre d’hémodialyse qui se trouve sur la ligne de mire du visiteur ou du malade, que celui-ci arrive à pied ou en voiture, et ce, dès qu’il franchit le portail de l’entrée de l’hôpital, laissant sur sa gauche le service de radiologie, un peu plus loin, celui des urgences et le bloc pour les malades hospitalisés, en moyenne et sans peine le centre d’hémodialyse réalise quelque chose comme 372 séances par mois, nous déclare notre interlocuteur, lequel assure qu’en terme d’efficacité sur le plan de la prise en charge, son centre occupe la deuxième place à l’échelle nationale.
Trois cas miraculés
Cet élan de fierté n’obnubile pas la réalité aux yeux de ce responsable qui sait que le nombre d’insuffisants rénaux est en augmentation dans notre région Cette affection qui n’épargne pas les enfants, puisque le centre en compte 2, de 9 et 11 ans, touche tout particulièrement les femmes. Il faudrait peut-être travailler un peu plus en amont pour rendre la situation moins terrible. Les journées de sensibilisation jouent parfaitement dans la prévention d’autres maladies. Elles pourraient jouer le même rôle pour éviter les maladies chroniques causées par la malbouffe et la sédentarisation. La sédentarisation étant une explication tout à fait plausible à la déclaration du chef de centre dialyse selon laquelle les femmes seraient les plus exposées à cette maladie galopante.
Un miracle n’a de sens que si se réalisent au moins deux conditions : que le miracle ait des témoins et que les témoins en question puissent rapporter librement et sans influence d’aucune sorte ce à quoi ils ont assisté. Or, un tel sujet ne nous aurait jamais effleuré l’esprit. Pas en ce lieu, en tout cas, pas dans un centre d’hémodialyse, où nous savons qu’une fois qu’on a tâté de cette «chose», c’est-à-dire à l’hémodialyse, c’est à la vie à la mort. Nos interlocuteurs (car à cet entretien le Dr Nordedine Kaloun prend une large part, précisant un fait, corroborant ou corrigeant parfois un chiffre imprécis) n’y songeaient pas davantage. Il a fallu cette question : vous avez parlé de liste d’attente. Comment cela se passe concrètement ? Ils (les malades figurant sur la liste d’attente) attendent qu’une place devienne libre. Euphémisme qui signifie qu’il faut qu’un dialysé meure pour que celui qui est en haut de la liste d’attente puisse prétendre prendre sa place. On devine ce que fut la situation avant l’ouverture d’autres centres à Sour El Ghzlane, Aïn Bessem et Ahnif et dans certaines cliniques et les progrès enregistrés depuis surtout 2019 : on avait forcément, d’un côté, ceux qui s’accrochaient de toutes leurs forces déclinantes à leurs places et, de l’autre, ceux qui arrivaient, poussés eux-mêmes par leur désespoir, avec l’idée de les leur prendre ! C’est à cette aune que doivent se mesurer les efforts de l’État pour une prise en charge totale du malade.
Après un instant de réflexion, nos deux interlocuteurs conviennent qu’il y a eu quand même un. Il s’agissait d’une femme. Après plusieurs années de séances d’hémodialyse, un jour, le spécialiste en néphrologie découvrait que les reins ont recommencé à fonctionner, et ce après plusieurs semaines de bilans et de surveillance. Hélas, cinq ou six ans plus tard, la dialysée est décédée, mais de… Covid. Mais comme ni l’un ni l’autre de nos deux interlocuteurs ne sont capables de se souvenir du prénom de la défunte survient à ce moment une infirmière. Cette dernière fait plus que se souvenir de ce détail. Elle évoque encore le cas de deux autres femmes qui ont connu le même processus qui les a conduites vers la guérison. Bilans dialysés successifs attestant que le progrès était en marche et se confirmant de jour en jour, puis de semaine en semaine jusqu’à la victoire finale sur le mal. La première qui s’appelait Zineb était de Bechloul ; la seconde, qui vit toujours à Bouira, s’appelle Fatima et la troisième, elle aussi, en vie habite à Aïn Bessem. Son prénom, quoique connu de tous, étant admise au service de récente date, n’a pu être retrouvé, malgré les efforts de mémoire faits par chacun, y compris par Saïd, un ancien dialysé qui a connu les trois femmes. Mais c’est l’infirmière Nour El Houda Tebti, qui s’est toujours occupée d’elles, qui a suivi de jour en jour à travers des bilans optimistes la régression de la maladie jusqu’à la guérison totale, qui en a le plus parlé. Elle a connu le temps où le centre d’hémodialyse était le seul qui existait dans la wilaya et avait adopté le système à 4 positions pour s’en sortir. Aujourd’hui, avec les progrès accomplis grâce à l’État, dont la politique a placé la santé au centre d’enjeux colossaux, la situation s’est beaucoup améliorée pour les malades aussi bien que pour le personnel soignant. Cela a été suffisamment développé par le directeur de la santé, Kamel Cheffaï, et puis par le nouveau directeur de l’hôpital, Mohamed Boudiaf, cela a été assez répété par nos interlocuteurs. Tous les dialysés, à l’instar de Hassan, le cas admis d’urgence, et Said, ce natif de Tessala, qui est un habitué des lieux et qui parle de famille quand il évoque le centre, affichent leur contentement. «J’ai été dans plusieurs centres d’hémodialyse, se confie ce dernier. À Batna, à Constantine, et même en Tunisie. Je n’ai jamais rencontré un pareil accueil. Ici, je me sens comme chez moi.»