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Dr Houria Djilali, chercheure permanente au Crasc, à L’Expression

«On doit sortir du discours de la haine»

Dans notre lancée des interviews avec des historiens chercheurs et universitaires, dans le cadre de la célébration du 60e anniversaire de l’indépendance, nous ouvrons nos colonnes au docteur Houria Djilali, chercheure permanente au Crasc d’Oran. Dans l’entretien qu’elle nous a accordé, et consciente de l’ampleur de la tâche, elle dresse un tableau scientifique et sans concession sur l’état des relations entre l’Algérie et la France. Elle montre surtout la voie à suivre loin de toute expression de haine pour apaiser les mémoires. Aussi suggère-t-elle une série de mesures que doit prendre l’état français pour aller dans le sens de la réconciliation. L’ouverture franche et sincère des archives de l’ère coloniale et la vérité sur les essais nucléaires et bactériologiques que la France menait sur le sol algérien, sont parmi les préalables incontournables dans le processus de recolonisation des mémoires entre l’Algérie et la France. Elle rappelle que la position algérienne est claire : les excuses d’abord, la pratique ensuite. Par conséquent, le dialogue des mémoires « semble très difficile à mener », vu les effets de la guerre d’indépendance. Pour autant, on peut y arriver à la seule condition de « sortir du discours de la haine pour éviter la grande discorde », prescrit le docteur Houria Djilali.

L'Expression: Selon vous, que reste-t-il des accords d'Évian et de la période transitoire dans la mémoire collective des Algériens, aujourd'hui?
Houria Djilali: Il y a soixante ans, le 18 mars 1962, étaient signés les accords d'Évian entre les délégués des gouvernements français et ceux du FLN. Ils mettaient fin à la guerre et acceptaient l'indépendance de l'Algérie, c'est une date charnière pour ce qu'elle signifie en termes de cessez-le-feu. En Algérie, la date principale dans l'imaginaire collectif est le passage à l'indépendance des 3-5 juillet 1962. Par ailleurs, les accords d'Évian sont le résultat d'un long processus par lequel la France a fini par accepter l'essentiel des buts de guerre et des conditions de paix définis par le FLN, elles ne furent pas un traité entre deux États, mais un programme commun au gouvernement français et au FLN, destiné à transférer par étapes la souveraineté de la France au nouvel État algérien sans reconnaître formellement le GPRA, ainsi il suffit de comparer le texte des accords signés à Évian le 18 mars 1962 entre le gouvernement français et le FLN. Avec les buts de guerre et les conditions de paix que ce dernier avait exprimés dans sa proclamation du 31 octobre 1954, pour constater que le FLN. avait obtenu satisfaction sur l'essentiel. Au contraire, la France avait les plus grandes concessions, en renonçant au dogme de l'Algérie terre française.
L'ensemble des accords d'Évian comprend d'une part un accord de cessez- le- feu, et d'autre part, une série de déclarations gouvernementales relatives à l'Algérie datées du 19 mars 1962. Ces déclarations gouvernementales se décomposent à leur tour en une déclaration générale et en sept déclarations de principes (déclaration des garanties, déclaration de principes relative à la coopération économique et financière, déclaration de principes sur la coopération pour la mise en valeur des richesses du sous-sol du Sahara, déclaration de principes relative à la coopération culturelle, déclaration de principes relative à la coopération technique, déclaration de principes relative aux questions militaires avec une annexe, déclaration de principes relative au règlement des différends), ces accords traduisaient la volonté du gouvernement français de maintenir jusqu'au bout la fiction d'un règlement octroyé. En moins de 10 ans, les intérêts français en Algérie furent réduits à peu de choses. Cependant subsista la coopération technique et culturelle, dans la mesure où l'Algérie continua de la juger utile. Malgré l'importance accordée à la coopération franco-algérienne entre 1963 et 1970,
celle -ci ne fut longtemps acceptée qu'à contrecoeur en Algérie. En outre, le 19 mars, jour de l'entrée en vigueur du cessez-le feu, est-il un moment majeur de la guerre d'Algérie, à savoir, aujourd'hui, c'est presque une date oubliée en Algérie et surtout chez les jeunes. Contrairement à celle du 1er novembre ou du 5 juillet (proclamation de l'indépendance), nombreux sont ceux qui dénigrent les accords d'Évian, accusant ses signataires d'avoir fait trop de concessions à la France. On peut dire comme conclusion que les accords d'Évian sont souvent présentés comme un renoncement, une sorte de capitulation, et ils représentent une vision post- coloniale de la politique française envers l'Algérie et le Maghreb; c'est-à-dire une politique de domination vu le caractère de ces accords.

Que pensez-vous du traitement de cette période, celle de la transition et de l'indépendance sans les manuels scolaires ou à l'université?
Les manuels scolaires ne sont pas ces objets banals et approximatifs qui s'effacent sans lendemain des mémoires adultes. Jouant un rôle qui dépasse la simple transmission de connaissances scolaires, ils sont des acteurs importants de la culture, et des témoins exceptionnels des valeurs, des pratiques sociales, dans leurs variations et leurs continuités historiques et géographiques. Leur étude donne des aperçus pertinents sur les idées, mais aussi les préjugés qu'une société véhicule, cependant dans le nouveau système de l'éducation nationale, l'introduction de la discipline d'histoire intervient dès la classe de 2e année primaire, au lieu de la 5e dans l'ancien système dit «fondamental». L'étude de la guerre d'Algérie y reste prédominante, occupe une place non négligeable, et est abordée dans différents chapitres, aussi les cours sont exclusivement dispensés en langue arabe, tout comme le sont d'ailleurs les manuels scolaires. En ce qui concerne cette période
transitoire des accords d'Évian et de l'indépendance dans les manuels scolaires, son contenu est enseigné selon les niveaux pédagogiques de l'école algérienne; en termes instructifs, le programme du moyen diffère de celui des études secondaires. Quant à l'université, les champs de réflexion sont plus larges, plus libres pour discuter ces accords comme étant un sujet de débat scientifique, il le restera toujours.

Quelles sont d'après vous les objets de recherche en histoire que l'université et la recherche en Algérie devraient promouvoir et encourager?
Relativement le champ de recherche est plus vaste en histoire et ses objets restent à promouvoir selon une objectivité qui oblige les chercheurs à endosser de telles pratiques méthodologiques qui s'imposent (s'appuyer sur une documentation solide, utiliser les mémoires des politiques, des survivants, les écrits divers). Cependant bien que les accords d'Évian aient mis fin à la guerre d'Algérie, ils sont pourtant, à soixante ans de distance, toujours objet de polémiques, et parmi les thèmes frappants que l'université et la recherche en Algérie devraient promouvoir et encourager:

Que reste-t-il de ces accords dans la mémoire des politiques?
Les champs d'application de ces accords, à savoir le volet militaire qui a connu un échec, vu le climat effervescent de l'acte d'indépendance: idéologie révolutionnaire, puis le recours à une politique du projet d'alignement avec les pays arabes pour préconiser dans l'avenir un non- alignement à caractère mondial.
Le volet économique et de partenariat entre les gouvernements français et algérien s'est heurté à une vision nationaliste qui a donné lieu à une politique de nationalisation des infrastructures industrielles et productives, d'où l'émergence d'un laisser-aller pour maîtriser cet outil industriel d'une manière globale.

Le dialogue des mémoires entre l'Algérie et la France semble très difficile à mener. Croyez-vous qu'il puisse déboucher un jour sur la réconciliation?
La guerre d'Algérie qui a abouti à l'indépendance de l'Algérie en 1962 après les accords d'Évian, est terminée depuis soixante ans, mais les cicatrices ne se ferment pas, la mémoire de l'histoire de cette guerre reste un sujet très sensible dans les rapports franco-algériens. En effet, les questions mémorielles sont souvent l'objet d'instrumentalisation idéologique et politique, plus particulièrement à l'approche des échéances électorales. Et ce n'est qu'à partir de la présidence de Jacques Chirac, en 1995, que les questions mémorielles ont enfin été abordées, notamment lorsqu'il a reconnu, en 2005, la responsabilité de la France dans le massacre de Sétif le 8 mai 1945. En soulevant le couvercle de ce lourd passé. Le 20 janvier 2021, Benjamin Stora remettait à Emmanuel Macron- né après la fin du conflit- un rapport sur Les questions mémorielles qui se posent encore à la France et à l'Algérie. L'objectif était de proposer des initiatives concrètes, pour aider à la réconciliation de mémoires antagonistes, et dresser l'inventaire des relations mémorielles entre la France et l'Algérie, pour essayer de trouver les voies d'une réconciliation, imaginer des travaux pratiques, qui puissent rapprocher les mémoires; lister les problèmes et trouver des passerelles, mais son rapport a suscité beaucoup de controverse.

Dans ces circonstances, comment trouver le chemin de la réconciliation en Algérie, comme en France?
Il faut des mesures phares comme la restitution, la circulation et la numérisation des archives, auxquelles les historiens pourraient accéder. Il est aussi important de dire la vérité sur les essais nucléaires et bactériologiques que la France a réalisés sur le sol algérien, puisque le dossier de la mémoire renferme également la question de ces essais dans le sud algérien y compris après la guerre. Infinito, la position algérienne semble claire: les excuses d'abord, la pratique ensuite. Par conséquent, le dialogue des mémoires entre l'Algérie et la France semble très difficile à mener, vu les effets de la guerre d'indépendance et son impact sur les milieux politiques, intellectuels, les élites, la population (moudjahidine et populations touchées), cependant et pour débloquer la situation, les deux pays devraient s'intéresser à la réparation, aussi. On doit sortir du discours de la haine pour éviter la grande discorde.

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