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Tramor Quemeneur, historien, à L'Expression

«Macron a manqué de tact»

Tramor Quemeneur, historien et spécialiste de la guerre d'Algérie, membre de l'équipe de l'Ihtp-Cnrs (Institut d'histoire du temps présent), sa thèse de doctorat, soutenue en 2007, est intitulée Une guerre sans«non»? Insoumissions, refus d'obéissance et désertions de soldats français pendant la guerre d'Algérie, une première recherche fouillée sur les quelque 15 000 jeunes Français qui ont été insoumis, déserteurs ou objecteurs de conscience pendant la guerre d'Algérie. Il a dirigé le manuel 100 fiches d'histoire du XXe siècle (Bréal, 2004 et 2009) et a participé à plusieurs ouvrages collectifs, notamment La Justice en Algérie. 1830-1962 (La Documentation française, 2005), La Guerre d'Algérie: 1954-2004, la fin de l'amnésie (Robert Laffont, 2004), Hommes et femmes en guerre d'Algérie (Autrement, 2003) et Militaires et guérilla dans la guerre d'Algérie (Complexe, 2001).

L'Expression: Comment expliquez-vous ce brusque coup de projecteur de la France officielle sur le Mouvement populaire en Algérie, au moment même où les autorités algériennes soutiennent que cette séquence fait désormais partie du passé et toutes les revendications du Hirak ont été satisfaites. Mieux, affirment-elles, « le Hirak a été même constitutionnalisé» puisqu'il figure dans le préambule de la nouvelle Loi fondamentale avalisée par référendum populaire de novembre 2020.
Tramor quemeneur: Je pense que le président Macron, avec le «rapport Stora», a tenté de se rapprocher du gouvernement algérien en faisant en sorte de travailler sur les mémoires de la guerre d'indépendance. Mais, du côté algérien, rien n'a bougé. Au contraire, M. Chikhi, directeur des Archives nationales et «homologue» de Benjamin Stora du côté algérien a eu des mots très durs sur le rapport et les mémoires de la guerre d'indépendance. Il a même dit que les archives étaient en train d'être anonymisées - les noms des personnes sont enlevés - ce qui empêchera à l'avenir encore plus les historiens de travailler. Cela a même été dénoncé par les historiens algériens. Ce blocage du côté officiel algérien a certainement conduit le président Macron à s'appuyer sur la société civile algérienne qui aspire à retrouver toute la complexité de la guerre d'indépendance.

Tout concorde à dire que la question des mémoires taraude le président Macron qui semble tâtonner sur ce dossier très sensible?
Le président Macron avait travaillé avec le philosophe Paul Ricoeur sur son livre majeur La mémoire, l'histoire, l'oubli. Paul Ricoeur déclarait même en septembre 1960, en plein débat sur l'insoumission: «Pour nous comme pour eux [les insoumis], c'est une guerre illégitime par laquelle nous empêchons le peuple algérien de se constituer en État indépendant comme tous les autres peuples d'Afrique...». Il avait également signé une déclaration appelant à des négociations avec les représentants du peuple algérien. Emmanuel Macron n'est pas Paul Ricoeur, mais ce dernier a eu une profonde influence sur lui, et c'est peut-être ce qui a amené l'actuel président français à vouloir apaiser les mémoires franco-algériennes.

Au-delà de leur violence et de leur sévérité, les déclarations du président Macron ne sont-elles pas motivées par des considérations purement électoralistes?
En France, le processus mémoriel lié à la guerre d'indépendance date depuis longtemps. Déjà sous la présidence de François Hollande, il y avait eu des avancées importantes. Nous nous rappelons aussi des déclarations d'Emmanuel Macron sur la colonisation lorsqu'il était à Alger pendant la campagne avant son élection. Pendant son quinquennat, le processus s'est poursuivi avec la reconnaissance de l'assassinat par l'armée française de Maurice Audin, le jeune mathématicien communiste algérien qui luttait en faveur de l'indépendance algérienne. Il en a fait de même avec la famille d'Ali Boumendjel, l'avocat qui a été exécuté après avoir été arrêté par les parachutistes. Il a poursuivi en septembre dernier avec les harkis. J'espère qu'il continuera le 17 octobre prochain avec la commémoration des 60 ans du massacre de dizaines, voire de centaines d'Algériens à Paris. Il faut voir aussi que les calendriers se télescopent: l'année prochaine se déroulera à la fois l'élection présidentielle et le soixantième anniversaire de l'indépendance algérienne. C'est donc le moment de faire des gestes importants concernant les rapports franco-algériens, mais plus nous nous rapprocherons de l'élection, plus le débat sera sous tension. Le processus mémoriel ne doit pas échouer pour des questions d'égo, fussent-elles légitimes, car nos deux peuples auraient beaucoup à perdre (en particulier les Algériens et leurs descendants en France) si les choses venaient à s'envenimer.

Les propos de Macron soutenant: «Je respecte le peuple algérien, «j'ai de bonnes relations avec le président Tebboune» ... « le système politico-militaire rentier», ont été très mal perçus à Alger. Les observateurs avisés sont allés jusqu'à qualifier ces propos de «pure ignominie», renvoyant à la devise coloniale: séparer pour régner. Qu'en pensez-vous?
À tout le moins, nous pouvons regretter le manque de tact du président français à l'égard du gouvernement algérien, alors même que le processus de réparation mémoriel est engagé, du côté français. Ces déclarations provocantes, qui peuvent heurter, doivent se comprendre aussi dans une volonté de réaction de la part du président algérien, et plus largement du gouvernement algérien. Je pense que le président Macron a eu de bons rapports avec le président Tebboune. Mais depuis le «rapport Stora», il n'a pas vu d'évolution du côté algérien. Au contraire, il y a aussi eu des blocages, des critiques. Il y a des personnes qui ne veulent pas que les choses changent. Pourtant, du côté français, l'extrême droite se nourrit d'une mémoire nauséabonde de la guerre d'Algérie et du colonialisme, d'un «sudisme à la française» comme l'a montré Benjamin Stora. Mais ce n'est pas qu'une affaire franco-française; l'Algérie a aussi un rôle à jouer pour contribuer à apaiser ces surenchères mémorielles. C'est, également, dans l'intérêt de ses ressortissants et de leurs descendants en France

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