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Alain Chevalérias, journaliste et écrivain, à L’Expression

«Le destin a lié nos deux pays»

Journaliste et écrivain, Alain Chevalérias est un fin connaisseur de l’islamisme et du Moyen-Orient, pour leur avoir consacré plusieurs livres. Il revient dans cet entretien sur l’ouverture des archives de la guerre d’Algérie, la prochaine élection présidentielle française, l’Accord bilatéral franco-algérien de 1968, la montée de l’extrême droite française ainsi que le phénomène Zemmour.

L'Expression: L'État français a ouvert ses archives judiciaires «en relation» avec la guerre d'Algérie avec quinze ans d'avance sur le calendrier légal. Qui peut accéder à ces archives?
Alain Chevalérias: Les archives «en relation» avec la guerre d'Algérie, pour la période 1954-1962, vont en effet être ouvertes, mais uniquement pour celles concernant «les enquêtes de police judiciaire» et «les affaires portées devant les juridictions», en d'autres termes, devant les tribunaux, y compris militaires. En théorie, ces archives seront libres d'accès à tous, les historiens et les chercheurs, bien sûr, mais aussi les ayants droit des victimes de la guerre d'Algérie, qu'elles soient algériennes ou françaises. La consultation des dossiers concernant les condamnés de l'OAS sera, elle aussi, possible.

Cette initiative- l'ouverture des archives- n'est-elle pas en relation avec l'élection présidentielle d'avril prochain; pour ainsi dire, n'a-t-elle pas une arrière-pensée politique?
Je ne pense pas qu'il faille mettre en relation l'ouverture des archives de la guerre d'Algérie et les prochaines échéances électorales. Cette démarche desservirait même, semble-t-il, les intérêts d'Emmanuel Macron. En effet, la génération adulte au moment du conflit est plutôt hostile, quand elle ne s'en désintéresse pas, à la divulgation de ces documents. Or, cette génération de Français constitue une forte proportion des électeurs qui se rendent aux bureaux de vote. Il me semble, plutôt, que Macron a, par ce geste, sincèrement cherché à initier un rapprochement entre l'Algérie et la France.

Selon-vous, comment dépassionner les débats sur la mémoire, qui freinent sérieusement les relations politiques et économiques?
Vous posez bien la finalité d'un débat dépassionné: éviter l'utilisation politique, d'un conflit vieux de 60 ans, par des partis et des entités oeuvrant des deux côtés de la Méditerranée. L'enjeu est de taille, parce que nous le voulions ou non, nos deux pays sont liés par le destin. D'un côté, des millions d'Algériens ou d'enfants d'Algériens vivent sur le sol français. De l'autre, là aussi, qu'on le veuille ou non, l'empreinte laissée par la France en Algérie est ineffaçable. La langue française, joliment qualifiée de «butin de guerre» par Kateb Yacine, est fermement installée en Algérie et les réminiscences du passé sont aussi faites de souvenirs pleins d'émotions entre nos deux peuples. Je n'en rappellerai que quelques-uns: la fraternité au combat pendant les deux Guerres mondiales, la formation d'enfants de toutes origines côte à côte dans les écoles de la République autrefois en Algérie, cette société nouvelle aussi qui se formait dans laquelle les Européens devenaient un peu algériens et les Algériens un peu français. Les pieds-noirs et leurs enfants, en dépit de tout, en gardent encore le souvenir chevillé au corps. Tout cela ne doit, cependant, pas occulter la réalité des épisodes de violences subies par les Algériens. Il y a d'abord, la violence au quotidien, inhérente à toutes occupations. Existe-t-il un seul grand empire, d'Alexandre le Grand aux invasions arabes, en passant par les Ottomans, qui n'ait pas blessé les peuples occupés dans leur fierté? Je ne le pense pas. Pour une raison: l'occupation la moins dure, et l'occupation française a parfois été dure, reste une occupation. Le droit lui-même, en favorisant les occupants, est ressenti comme une vexation et une frustration par le peuple occupé.

Mais que doit-on faire...?
Pour réconcilier les hommes, comment faire autrement que de rappeler les faits, y compris les plus horribles? Non pas pour se renvoyer ces derniers d'un camp à l'autre, trouvant la justification de nos crimes dans ceux perpétrés par l'autre côté, mais pour accepter et reconnaître ce qui a été fait en notre nom. Il ne s'agit pas plus de chercher des coupables. Ce genre de chasse aux sorcières, nous nous y sommes prêtés en France au lendemain de la Seconde Guerre mondiale avec des résultats inutilement destructeurs. En revanche, il convient de tout remettre à plat pour comprendre les mécanismes qui peuvent nous amener, nous humains, à nous comporter comme des animaux enragés. Parce qu'en chacun de nous il y a cette tentation qui guette.

La classe politique française grince des dents dès qu'on évoque l'Accord de 1968. Elle va jusqu'à demander son annulation purement et simplement...
Je l'ai vu comme journaliste dans les guerres. Aussi, si nous nous comprenons, nous pourrons accepter l'autre camp et sa mémoire parce qu'il est notre double. C'est la seule forme que puisse prendre la réconciliation. J'ai relu le texte de l'Accord franco-algérien du 27 décembre 1968. Globalement, ce document réglemente les conditions de séjour des citoyens algériens en France. Je remarque néanmoins que la réciprocité de traitement n'existe pas pour les Français qui voudraient se rendre en Algérie. Peut-être des clauses de cet Accord de 1968 sont-elles tombées en désuétude, mais je ne trouve pas que l'on puisse dire qu'il «est bafoué par la classe politique française». En témoigne l'énorme présence de ressortissants algériens et de leurs enfants sur le territoire français. Il faudrait, néanmoins, pour aller plus loin dans l'analyse, le recours d'un juriste qui puisse comparer, dans le détail, les instructions de l'Accord et les usages actuels de l'administration française. En revanche, s'il existe des accords violés, dans la lettre et dans l'esprit, ce sont ceux d'Évian, signés le 18 mars 1962, en ce qui concerne les droits des pieds-noirs dans l'Algérie indépendante. Il n'était absolument pas question d'un exode massif, mais d'un droit à intégrer la nation algérienne pour ceux des «Français» qui le désiraient. La réconciliation entre nos deux pays passe aussi par des éclaircissements sur les conditions dans lesquelles cette population a quitté l'Algérie. Les réponses lapidaires, sans des enquêtes approfondies, n'ont en la matière pas valeur de preuve.

Comment peut-on expliquer l'acharnement de l'extrême droite française contre les Maghrébins et les musulmans en général?
Je n'userai pas du mot «haine» concernant le sentiment des membres de l'extrême droite à l'égard des Maghrébins, plus généralement des musulmans, mais plutôt de celui de rejet. Nous sommes en fait confrontés à une conjonction de circonstances. Cette animosité est d'abord le résultat, à l'encontre des Algériens, des blessures de la guerre, car elles existent aussi du côté français. Les pieds-noirs se sont sentis chassés du pays où ils sont nés. C'est une vraie souffrance et d'autant plus vraie pour les juifs qui vivaient sur cette terre avant l'arrivée des Français. Une formule pourrait résumer cet état d'esprit: «Qu'est-ce qu'ils viennent faire chez nous alors qu'ils ne veulent pas de nous chez eux.». C'est en décalage avec la réalité économique et les accords signés, mais cela relève de l'instinct. Avouons que les autorités algériennes, un tantinet querelleuses à l'endroit de la France, ne font rien pour arranger les choses. Disons-le aussi, si Alger avait favorisé les échanges de populations entre nos deux pays, au moins en ouvrant l'Algérie plus généreusement au tourisme, l'amertume aurait cédé du terrain.Il ne nous reste bien que la réconciliation pour nous retrouver. À cette première cause du «rejet», s'ajoute la délinquance et l'islamisme, voire le terrorisme. Ce sont des nuisances et des dangers dont souffre tout le monde, les musulmans et les autres migrants au même titre que le reste de la société française. Néanmoins, l'extrême droite tend à assimiler tous les musulmans à la délinquance et à l'islamisme. D'abord, il y a beaucoup de raisonnements simplistes, ensuite d'ignorance, en particulier en ce qui concerne l'islam, les islamistes n'étant que des déviants de l'islam et en rien, donc, les représentants légitimes de cette religion. Enfin, et c'est le point essentiel, l'extrême droite se trompe de cible. Les désordres émanant d'une partie de la population d'origine immigrée sont les conséquences de plusieurs dizaines d'années de mauvaise gestion de l'immigration par les pouvoirs publics français. Un encadrement scolaire adapté aux jeunes migrants et à leurs enfants aurait dû, par exemple, être mis en place dès le début des années 70. Faute d'un tel effort, beaucoup de délinquants sont des garçons sortis de l'école sans diplômes. Ce sont donc les pouvoirs publics que l'extrême droite devrait critiquer, voire les islamistes et les délinquants, mais certainement pas l'immigration dans son ensemble, dont la plupart des membres n'aspirent qu'à vivre paisiblement dans le respect de nos lois. Les leaders de l'extrême droite ont, cependant, une responsabilité grave: au lieu de dénoncer la mauvaise gestion de l'immigration par l'Etat, ils désignent tous les migrants et leurs enfants à l'opprobre public. C'est un comportement intolérable et inacceptable.

Le phénomène Zemmour est une menace pour les valeurs de la République, tranchent de nombreux analystes. Vous partagez cet avis?
Certes, attribuer à une partie de la population, selon des critères ethniques ou religieux, la responsabilité de toutes les difficultés du pays constitue un risque de désordre et apparaît contraire aux valeurs de la République. Ce n'est, cependant, pas la première fois que la France républicaine se laisse aller à ne pas respecter ses principes. Dans leurs préambules, les Constitutions successives de la République française affirmaient les Français tous «libres et égaux en droits». Pourtant, en Algérie, ceux que nous appelions les «indigènes», mis à part les juifs, ne jouissaient pas de la citoyenneté française. Ils n'ont obtenu le droit de vote a égalité avec les autres Français qu'en 1958 et, après un effort de rattrapage au cours des dernières années, seulement un tiers des enfants musulmans de moins de 14 ans allaient à l'école publique en 1961. Parfois, je rêve de ce qu'aurait pu être la relation entre la France et l'Algérie si les responsables politiques français avaient respecté les principes de la République en Algérie. 

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