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Ahmed Rouadjia, directeur du Laboratoire d’études historique et sociologique, à L’Expression

«L’université produit des diplômés et non des élites»

Le Conseil des ministres d'avant-hier a abordé, entre autres sujets, celui crucial de l'université. La nécessité d'une réforme à même de la mettre au diapason des transformations et des évolutions qui affectent les universités, au niveau international, a été soulignée par le chef de l'État.
Le système de formation universitaire, la modernisation et la mise en branle d'une nouvelle approche de gestion de l'université et la question de l'ouverture du secteur de l'enseignement supérieur à l'investissement privé, sont les grands enjeux qui se posent à l'État, afin de faire de l'université un sanctuaire du savoir et le terreau de l'économie de la connaissance. Outre les moyens et les systèmes pédagogiques qu'il va falloir «révolutionner», l'université est également un capital humain, des hommes et des femmes qui interagissent entre eux.
Les enseignants, les étudiants et l'administration devront être les acteurs de cette nouvelle «révolution» que le président de la République entend lancer.
Des acteurs, avec leurs qualités et leurs défauts.
Dans l'entretien qu'il nous a accordé, le professeur des universités et directeur du Laboratoire d'études historique, sociologique et des changements sociaux et économiques, Ahmed Rouadjia, évoque spécifiquement cet aspect des choses et apporte un regard critique sur le fonctionnement de nos universités. Il porte, dans ce qui suit, son propre regard sur une situation qui empêche l'université algérienne de faire le saut salutaire qu'on attend d'elle.

L'Expression: Quel bilan faites-vous de l'université, sur le plan inhérent à l'action syndicale, en son sein?
Professeur Ahmed Rouadjia: Ce bilan est, de mon point de vue, globalement négatif, car les deux syndicats principaux des enseignants et des travailleurs que sont l'Ugta et le Cnes ne défendent point la majorité de leurs militants et adhérents, mais uniquement les intérêts étroits, étriqués, du noyau restreint de leurs dirigeants. Ces deux syndicats, tout comme les associations estudiantines, ayant pignon sur rue au sein des campus, fonctionnent en mode copinage et clientélisme. Du point de vue revendicatif tout comme celui de la lutte pour l'amélioration des conditions matérielles de recherche et d'innovation, ces deux syndicats brillent par leur absence. Alors qu'ils prétendent défendre les intérêts de leurs adhérents, ces syndicats ne visent rien de moins qu'à s'imposer comme les interlocuteurs et les «partenaires sociaux» du gouvernement aux fins de consolider et de protéger leur situation de rentiers. L'opportunisme et, partant, la quête de leur leader en vue de l'obtention de postes de responsabilité au sein de l'administration centrale, est l'objectif premier de leur militantisme.
C'est dire que l'Ugta d'Aïssat Idir du temps du combat pour l'indépendance n'a rien à voir avec l'Ugta actuelle, qui s'avère être pervertie.

Pensez-vous que le syndicalisme à l'université a perdu de sa brillance et de son étoffe? Si tel est le cas, quelles en sont les raisons?
Ce syndicalisme n'a jamais eu les qualités que vous lui conférez (brillance et étoffe). Il a toujours brillé plutôt par son opportunisme outrancier et par sa quête désespérée de reconnaissance et de prestige. Il a toujours cherché et cherche encore à utiliser plus le syndicat comme une rampe de lancement, d'ascension, de ses leaders principaux, qu'à défendre l'intérêt de la majorité de ses adhérents ou à proposer des plans de réformes profondes de l'université, qui patauge depuis des lustres dans un flou artistique total. S'ajoute à ce flou la médiocrité scientifique. Les responsables qui se succèdent à la tête du Mesrs ont beau minimiser le fléau du plagiat qui ravage l'université et la ravale au rang le plus bas à l'échelle du monde, il n'en demeure pas moins que le fait est là et s'impose à l'esprit de tout observateur honnête et soucieux de l'intérêt collectif. Il n'y a que les myopes et ceux qui veulent se cramponner à leurs postes qui peuvent se voiler la face et fermer complètement les yeux sur cette dégringolade progressive de notre université que certains personnes intéressées s'efforcent de lui conférer un classement enviable dans le concert de nations... Aucun ministre, quel qu'il soit, ne peut assainir ce secteur gangrené par la corruption morale et éthique (plagiat et syndicalisme dévoyé). Il ne peut gérer ce secteur sinistré sans qu'il s'appuie sur ce syndicalisme et sur ces associations estudiantines dont le dévoiement est un secret de Polichinelle.

L'université algérienne assure-t-elle le rôle de la production des élites et de l'intelligentsia?
Oui, absolument. Mais il y a élite et élite. Les élites produites par nos universités sont des élites qui ressortent de la quantité et non de la qualité. Détentrices de diplômes et d'attestations universitaires, elles se montrent pourtant, en majorité, dociles, passives et dépourvues d'esprit critique. Intéressées plus par le prestige du diplôme et par le côté pécuniaire, ces élites ne sont pas, contrairement à leurs semblables, sous d'autres latitudes, engagées dans des processus de productions scientifiques de qualité, de facture internationale, mais dans la production d'une masse confuse d'écrits qui ne sont lus que par leurs propres auteurs. Il y a, certes, des chercheurs et des intellectuels de grande qualité qui ont été produits par nos universités, mais ils sont si minoritaires qu'ils se trouvent noyés et comme invisibles au sein de cette masse confuse dont la quantité prime sur la qualité...

Les organisations estudiantines ne semblent plus s'arrimer aux exigences qu'imposent les défis des universités de par le monde, en termes de création et d'invention dans le domaine scientifique et technologique. À qui incombe la responsabilité de cette situation qui règne dans nos universités?
J'ai consacré plus d'une vingtaine d'articles à ces organisations estudiantines depuis 2015. J'y ai montré plutôt leurs méfaits que leurs bienfaits. Elles fonctionnent comme groupes de pression et de négociations avec les recteurs, mais aussi avec les ministres. Elles profitent de leur reconnaissance officielle pour faire valoir un certain nombre de revendications et de privilèges. De plus, elles cherchent non pas à soutenir le recteur ou à lui proposer de programmes de relèvement de l'université, mais à lui imposer leurs points de vue. Le faire plier à leur volonté, lui dicter leurs visions étriquées du monde, tel est l'objectif visé. Elles n'ont rien à voir avec la science et les locaux qu'elles investissent au sein des divers campus servent de conciliabules, de palabres, de défoulement divers et parfois de lieu de satisfaction de leurs lubies d'ordre biologique... C'est incontestable... À votre question: «À qui incombe la responsabilité de cette situation qui règne dans nos universités?», ma réponse est qu'elle est imputable aux pouvoirs publics dont les ministres n'en sont que les exécutants impuissants.

Êtes-vous d'accord avec certaines thèories qui disent que «les universités sont en train de gérer le flux estudiantin et non pas d'assurer la dispense et le transfert du savoir et des connaissances»?
Absolument. Les pouvoirs publics eux-mêmes sont d'accord avec de telles thèses, sauf qu'ils refusent de l'avouer publiquement. Certaines de nos universités, pour ne pas dire toutes, fonctionnent en mode assistance publique. Le social ou l'action caritative dont elles font preuve dispensent nos étudiants de l'effort personnel et émoussent chez eux l'esprit critique et tuent l'imagination créatrice. Cet état de choses est la conséquence directe de la démocratisation de l'enseignement, dont le caractère louable et patriotique ne doit pas nous faire oublier ses côtés négatifs dont la massification n'est que la partie émergée de l'iceberg...

En quoi la sociologie serait-elle utile pour répondre à la situation d'impasse qui frappe de plein fouet l'université algérienne?
La sociologie n'y peut rien dans ce contexte, caractérisé par le laxisme et le paternalisme, et surtout par le discours triomphaliste et ronflant qui est prononcé au détriment de la pratique et de l'efficacité. La sociologie se heurte à une foule d'obstacles dont le plus saillant est l'absence ou la rareté des sociologues dignes de ce nom... Voilà ma réponse à votre dernière question. 

 

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