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Soufiane Djilali, président de Jil Jadid à L'Expression

«L'Algérie n'arrive pas à faire émerger une nouvelle classe politique de qualité»

Réagissant à l’initiative de Bengrina pour le renforcement du front interne, le président de Jil Jadid, Soufiane Djilali, nous confie, dans cet entretien, son point de vue sur le sujet…

L'Expression: Quel regard portez-vous sur l'initiative lancée par le président du mouvement El Bina, Abdelkader Bengrina, pour renforcer le front interne
Soufiane Djilali: il faut rappeler qu'il y a eu, par le passé, plusieurs tentatives de regroupement de partis. Pour ne pas remonter trop loin dans l'histoire, la dernière période de «règne» du président Bouteflika avait vu naître la Cltd (Coordination pour les libertés et la transition démocratique) qui avait réussi à faire bouger les lignes en tant qu'opposition. Cependant, en parallèle, il y avait eu aussi d'autres tentatives pour, au contraire, renforcer l'ancien régime avec en particulier, l'idée du «front interne» (El Djidar El Watani), avec les soutiens habituels, partis politiques et «société civile».
L'objet de l'actuelle initiative serait ainsi de renforcer le front interne en symbiose avec le pouvoir. La question que je me pose est: comment des partis politiques aujourd'hui marginalisés, anesthésiés, sans pratiquement aucun rôle peuvent-ils décemment défendre la République? Si les partis sont des instruments dociles entre les mains du pouvoir, quel qu'il soit d'ailleurs, s'ils n'ont pas de positions connues et affirmées indépendamment du pouvoir en place, comment pourraient-ils constituer un front crédible? Les derniers scrutins, référendums ou élections législatives et locales ont montré que malheureusement les Algériens ne veulent pas se mobiliser pour l'action politique. Le choix fait par le président de la République, selon ses propres déclarations, pour la «société civile» montre bien que la classe politique est trop faible pour se présenter comme un front de défense interne. Les Algériens ne sont pas dupes et connaissent bien la culture politique ambiante.
Si un chef de parti, au nom de l'intérêt national veut se porter candidat ou soutenir l'actuel Président pour un deuxième mandat, cela fait partie du jeu. Sincèrement, au vu de la situation interne de l'Algérie et des immenses enjeux géopolitiques actuels, j'avais espéré une grande politique de renouveau, je m'attendais à un véritable nouveau souffle pour le pays. J'ai l'impression qu'au contraire, nous reproduisons toujours les mêmes schémas éculés, les mêmes anciennes recettes de cuisine. Au final, l'initiative actuelle révèlera rapidement ses véritables objectifs et surtout ses limites.

Le principe du renforcement du front interne étant partagé par tous, quel effet peut avoir cette action sur la scène politique?
En dehors de quelques exceptions, connues de tous, les femmes et les hommes politiques sont généralement patriotes et refusent toute manipulation contre le pays. Ce n'est pas cela qui est en cause. Par contre, il y a toujours ces pulsions de prédation et beaucoup sont à l'affût de gains matériels et d'honneurs afin de flatter les égo. Il faut dépasser cet état d'esprit si l'on veut projeter l'Algérie dans une modernité maîtrisée. Le pays est encore fragile, car le lien entre gouvernants et gouvernés n'est pas encore raffermi et la confiance est loin d'être établie entre eux. Les citoyens ont une tendance claire à l'assistanat et au comportement souvent passionnel. De l'autre côté, le pouvoir est devenu méfiant face à une société politique qu'il perçoit comme immature. Pourtant, pour consolider le front interne, il faut arriver à inventer un système politique qui apaise ces deux méfiances: celle du peuple face au pouvoir et celle du pouvoir face au peuple. Le Hirak aurait pu être ce moment exceptionnel pour mettre sur la même longueur d'onde peuple et pouvoir. Une partie de l'opposition, malheureusement, a été incapable de comprendre les vrais enjeux. Elle s'est mise dans un état d'agitation qui a, bien entendu, effrayé les décideurs.
Mais comment sortir de cet engrenage? Un État fort ne l'est que grâce à une conscience populaire et une légitimité politique. Comment y arriver sans dérapage? Tout le monde défend l'idée de l'État de droit et celle de la démocratie. Cependant, ces objectifs ne sont pas atteints passivement, bien au contraire, ils se construisent. Or, jusqu'à présent, l'État n'a pas proposé une pédagogie pour arriver à un équilibre entre la compétence des hommes et le choix populaire électif, libre des responsables.
Il y a une forme d'infantilisme de l'opinion. Il est urgent de rouvrir le débat. Je sais que la susceptibilité innée de l'Algérien est agressée par un discours franc mais il n'y a aucune autre issue pour arriver à une démocratie saine. Je suis tout à fait d'accord qu'il ne faut pas permettre les dérapages au nom des libertés. Cependant, il faut laisser les journalistes, les analystes sérieux et les politiques s'exprimer même s'ils sont en opposition avec les décisions du pouvoir. L'État doit aider à la construction d'un champ politique, c'est de sa responsabilité historique. Il faut laisser la vitalité de la société s'épanouir. Dans le cas contraire, il y a de la peur, du refoulement et finalement, de la colère. En plus, la liberté d'expression permet de corriger les erreurs, les déviances et les incompétences. Il faut assumer stoïquement les critiques et faire en sorte d'améliorer le fonctionnement du pays.
C'est cette voie là qu'il faudra explorer. Il faudrait réorganiser la vie politique avec plus de rigueur mais aussi avec plus de transparence. Je ne comprends pas que des critères de compétence ne soient pas requis pour des postes de responsabilité, y compris électifs. Sans tomber dans l'élitisme, il est cependant important d'améliorer substantiellement le niveau de compétence des élus.
Si le coeur du système politique est préservé par des feuilles de route stabilisées sur le long terme, le changement possible des exécutifs, par exemple à l'occasion des élections, ne posera plus de soucis stratégiques. Formation sérieuse des élites politiques dans le respect de la pluralité, connaissance du fonctionnement de l'État, stabilité des programmes à long terme... cela mènerait vers des élections vraiment libres et démocratiques tout en sécurisant le pays. Le président Tebboune reçoit cycliquement les partis politiques. Peut-être faudrait-il aller un peu au-delà et entamer une vraie réflexion collective. Il faut des solutions imaginatives mais ancrées dans notre réel social. Notre système institutionnel est calqué sur celui des États occidentaux, il n'émane pas de notre propre culture. C'est, d'ailleurs, pour cela qu'une partie de la population semble détachée de la vie nationale. Sans vouloir blesser personne, il faut dire que de nombreuses structures consultatives sont non fonctionnelles, voire totalement inutiles. Nos institutions n'embrayent pas sur la réalité sociale. C'est pour compenser ces faiblesses que les walis sont devenus des maillons forts dans les rouages politiques. Mais comment former des commis de l'État pour leur profil technocratique et leur demander ensuite d'agir en tant que politiques? L'administration est omnipotente. Au lieu d'être l'instrument d'une politique, elle est devenue la maîtresse de l'État, par son inertie et son incapacité à sortir des procédures bureaucratiques. Lui confier la gestion est le meilleur moyen d'étouffer le pays. Ce qui me chagrine, c'est qu'à chaque fois que la bureaucratie crée des obstacles, on pense qu'il faut renforcer encore plus le pouvoir administratif. Mentalement, nous sommes toujours à l'ère du centralisme bureaucratique paternaliste. Il y a comme une croyance que l'administration doit être le moteur du développement. Dans la mesure où il n'est pas encore possible de faire élire le wali, au moins faudrait-il former politiquement celles et ceux qui sont nommés!
Il faut donc trouver un équilibre qui stabilise les structures sécuritaires et administratives du pays et qui institue en même temps une logique d'alternatives politiques pour rendre plus souple la capacité d'adaptation du pays aux évolutions du monde, sans remettre en cause la stabilité de l'État.

Quel prolongement populaire pourrait avoir cette initiative?
Prolongement populaire? Non, je n'en vois aucun, sinon le renforcement du sentiment chez les citoyens que nous n'arrivons pas à sortir des vieilles recettes, comme si l'Algérie était condamnée à revivre le même karma, ce cycle de vie hindouiste, qui se répète pour des âmes emprisonnées dans leur destin. Pourtant, il faudrait bien en sortir un jour!
L'Algérie n'arrive pas à faire émerger une nouvelle classe politique de qualité. Face aux véritables défis, la culture ambiante incite chacun à revenir aux anciennes formules, aux vieilles méthodes. Il y a une incapacité à réfléchir sur l'avenir avec de l'audace et de l'inventivité. Dès qu'il y a un soupçon de nouveauté, les fenêtres sont vite fermées et les portes bloquées à double tour. Il y a un esprit conformiste et tourné vers le passé qui domine dans notre société. «L'élite» politique est porteuse des mêmes réflexes. Nos responsables et nos politiques ne veulent pas sortir de leurs zones de confort. Alors, chacun recherche une forme d'immobilisme, au nom de la stabilité... jusqu'à la prochaine déflagration, puis on calme les choses de nouveau, on fait des promesses de changement, on laisse passer l'orage en permettant aux gens de se défouler, puis à la fin, on ferme les vannes. Malgré toutes les volontés, probablement de bonne foi, pour engager le pays vers la modernisation, le système reste imperméable et se recroqueville, par réflexe, aussi brutalement que s'il venait d'être remis en cause.

Pour quelles raisons Jil Jadid n'adhère-t-il pas à cette initiative?
Je crois que les partis politiques ont pour mission de proposer un programme politique, éventuellement un projet de société, former des cadres compétents et défendre des valeurs. Voyez comment le monde est aujourd'hui, dans un conflit de valeurs sociétales. Faudrait-il suivre l'Occident sur sa perception de l'avenir ou au contraire se rapprocher de l'Orient, qui prône la conservation d'une civilisation traditionnelle? Ce type de question n'est malheureusement abordé nulle part. L'Algérie semble voguer à vau l'eau à ce sujet. Pourtant, le monde est à l'orée d'un basculement inéluctable. Nous sommes en train de passer d'un monde unipolaire, organisé et contrôlé par le leadership américain et ses alliés européens, vers un monde multipolaire distribué en «États-civilisations» (et non plus seulement en États-nations).
Les partis politiques, théoriquement, seraient porteurs de conscience et, de ce fait, devraient faire cet effort de pédagogie, de clarification des concepts, de canalisation d'énergies. Les partis politiques devraient être l'expression d'une pensée mise en forme dans des think tank. La dimension sécuritaire est absolument importante, plus encore aujourd'hui qu'hier, mais elle sera incapable, comme seule dimension de pouvoir, de protéger et de développer sérieusement le pays.

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