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Myassa Messaoudi, écrivaine, à L’expression

«C’est à nous d’écrire notre histoire»

Lire l'Histoire de la guerre d'indépendance, de la colonisation sous la plume d'un écrivain vous ouvre les yeux sur les interstices au travers desquels, on apprend à nuancer, à trouver dans l'Histoire, les histoires d'hommes et de femmes. Mais disons-le clairement, la palette d'outils qu'offre une écrivaine vous transporte dans l'espace-temps. Myassa Messaoudi a excellé dans cet exercice lors de l'interview qu'elle nous a accordée.

L'Expression: Que restet-il de l'Algérie coloniale dans les récits nationaux, collectifs, familiaux et subjectifs dans le roman d'aujourd'hui aussi bien chez les Français que les Algériens?
Myassa Messaoudi:Il reste des témoignages cruciaux de cette partie de notre histoire commune. En fait, la littérature a tenté par tous les moyens de conscientiser les populations aussi bien françaises qu'algériennes, sur le drame de la colonisation. De ce qu'elle implique de dégradant et d'humiliant pour les colonisés. Du fait que ce système barbare d'un autre temps ne pouvait plus continuer. Même Ferhat Abbas s'était essayé à la littérature en publiant en 1931 son essai intitulé-Le jeune Algérien - dans l'espoir de trouver une voie de conciliation. En 1939, Camus publia son enquête-Misère en Kabylie-.
Il y dénonçait les conditions de vie des «indigènes», ce qui lui attira les foudres des colons. Du côté algérien, Mouloud Mammeri, publia- Le sommeil du juste-, et Kateb Yacine- Nedjma- en 1956. Un roman qui faisait écho aux massacres de Sétif. Mohamed Dib et sa trilogie algérienne qui attestait de son engagement politique. Son fameux - La grande maison-, illustrait la misère des Algériens sous la colonisation. Sans oublier Jean Amrouche, qui écrivit -L'Éternel Jugurtha-, et de nombreux autres articles. Il alla jusqu'à user de son influence auprès des grands médias français de l'époque et des hautes instances politiques, pour militer en faveur de l'Algérie indépendante. À Oran, Saadeddine Boucheneb publia ses -Contes d'Alger-. Et Djamila Debèche, à travers le premier roman féminin, -Leila, jeune fille d'Algérie-, mit en exergue la nécessité de l'émancipation des femmes musulmanes. Une vraie pionnière dans le combat par la plume des femmes algériennes. La liste, bien entendu, est loin d'être exhaustive, et continue de s'étoffer!
Bref, les écrivain-e-s ont tenté de sortir par le haut de cette ignominie qu'était le colonialisme. Ils espéraient éviter par la raison et le bon sens, l'issue fatale que fut la guerre. Mais, force est de constater, qu'ils ont échoué face au puissant lobby colonialiste d'argent, qui ne craignait pas les massa-cres et les drames humains pour maintenir son emprise et son ordre raciste.

Comment le référentiel mémoriel dans le présent impacte-t-il les discours ou les comportements, notamment dans les contextes électoraux ou commémoratifs en France?
La guerre d'Algérie, terme adopté sur le tard par les Français qui lui préféraient le vocable «événements», atteste d'un examen de mémoire resté difficile à regarder en face. On parle souvent de la confrontation armée et sanglante. On parle d'Histoire en termes tactiques et académiques. On parle d'accords et de négociations entre la France et l'Algérie. La souffrance des Algériens, et à juste titre, est largement admise. Cependant, on ignore royalement le facteur humain côté Français d'Algérie, et sans lequel, on ne peut comprendre l'évolution de la scène politique française. L'affect des pieds- noirs blessés par une éjection humiliante de ce qu'ils considéraient comme leur pays. C'est une énorme déchirure et une blessure d'orgueil incommensurable. Sans parler de la paupérisation à laquelle ils ont été confrontés à leur arrivée en France. L'accueil froid de la part des Français de l'Hexagone qui voyaient en eux les représentants d'un ordre cynique basé sur l'exploitation humaine. Ce qui les a contraints à un mutisme ravageur qui n'avait jamais été purgé. Le monde avait changé, mais pas eux qui étaient, pour une bonne partie, et pas tous, sous emprise pétainiste. Beaucoup culpabilisent, et éprouvent encore de la honte pour avoir abandonné les hommes qui avaient choisi leur camp, à savoir les harkis. Et puis les accords d'Évian devaient les maintenir en place, ce qui ne fut pas possible à cause de l'extrémisme meurtrier de l'OAS, qui appela, par ricochet à d'autres violences, et les priva définitivement de toute possibilité de continuer à vivre en Algérie. Même pour ceux qui comprenaient, ou soutenaient les aspirations d'indépendance légitimes du peuple algérien. L'empire colonial français qui s'effondra physiquement en 1962, avait mis fin à la grandeur de cette France étalée sur tous les continents. Le pays avait rétréci. Alors la nostalgie de ce passé, à cause du déni opposé au mal colonial, habite encore l'imaginaire. Des politiciens réactionnaires boostent leurs prétentions électorales de ces morceaux ronces de l'histoire. Ils jouent sur la nostalgie impériale pour esquiver les problèmes du présent. Et surenchérissent sur des illusions passéistes.
Les pieds -noirs ont été bernés par un système impérialiste injuste et oppressant. Mais avec l'ouverture courageuse des archives en France, ils sont confrontés à ce passé peu glorieux. La vérité éclate sans fard au grand jour.
Leur paradis perdu s'étant avéré une oasis dans un désert de misères et de cadavres cachés, ils en fantasmeront beaucoup moins. D'ailleurs, nous ferions bien, de nous inspirer de cette quête de vérité, et de rétablir, à notre tour, toutes les vérités autour de la guerre d'indépendance. Notre histoire comporte, elle aussi, des zones d'ombre, qu'il faudra lever par respect aux générations futures, et avant qu'il ne soit trop tard et qu'on n'écrive l'histoire à notre place. L'ouverture de nos archives devient plus décisive que jamais. Car, on ne peut décemment pas continuer d'exiger la récupération des archives françaises, alors que les nôtres restent inaccessibles à nos propres historiens.

L'argument de la fin du conflit mémoriel avec la disparition de la génération de la guerre ne tient plus, si l'on se réfère aux tenants du conflit des mémoires en France qui n'ont pas vécu la colonisation. Pouvons-nous parler de transmission des haines dans le discours comme dans les récits d'aujourd'hui?
Remarquez, les paradigmes ont changé. La montée des extrémismes de part et d'autre de la Méditerranée pervertit les visions. On assiste à une évolution et à une récupération sémantiques des termes de la colonisation. Les zones d'ombre qui caractérisent l'histoire coloniale et la guerre d'indépendance sont investies par les obscurantistes pour en faire des motifs de propagande de haine et de rejet de l'Autre. La colonisation sert de répulsif à toute altérité et ouverture démocratique dans le sud. Et vise, dans le même temps, à culpabiliser la jeunesse européenne dans le nord.
Le relativisme culturel qui emprisonne les populations issues de l'immigration et les enferment dans l'isolement communautariste, se nourrit de ces rancoeurs du passé. Il amplifie ainsi la théorie des chocs des civilisations. En vérité, on instrumentalise l'absence d'un récit historique clairement établi pour construire des murs entre les peuples, et justifier des visions belliqueuses et dévastatrices pour le vivre- ensemble et la fraternité. C'est pourquoi, il faut vite éclaircir et clore ce chapitre avant de se retrouver devant un imbroglio identitaire.

Qu'en est-il du discours mémoriel développé, aujourd'hui, par les descendants de l'immigration algérienne?
On en est au commencement du traitement factuel de l'histoire. La mémoire, ne l'oublions pas, a subi une amnésie volontaire de soixante ans. La France avait choisi de ne pas se confronter aux réalités du colonialisme dont elle avait tiré pendant plus d'un siècle, et à travers ses colonies, toute sa richesse et son prestige. Or, après les indépendances, les anciens colonisés ont traversé la mer, et ont métissé en partie le pays. Leurs enfants vont à l'école, participent à l'essor économique et intellectuel de la France, et connaissent la vraie histoire par leurs parents. Il fallait donc y remédier en rétablissant la vérité sous tous ses aspects. Dire et une fois pour toutes ce qu'était la colonisation, une hideuse exploitation de l'Autre en parfaite opposition avec les valeurs d'égalité, de fraternité, et de liberté prônés par le pays.
Bref, c'était cela, ou la fissuration de la France en communautés hostiles les unes envers les autres. Les groupes racistes radicaux, les islamistes et les partis de l'extrême droite, profitant de l'absence d'un récit clair et net sur la période coloniale, s'en sont donnés à coeur joie pour raconter l'histoire à leur façon. Ils exacerbent les haines et les rancoeurs, d'autres exagèrent la magnificence du passé, pour se tailler un électorat farci du rejet de l'Autre, et même prêts à en découdre physiquement. Le danger ne vise pas que l'immigration algérienne qui a plusieurs facettes et histoires. L'immigration des années soixante-dix, celles des années quatre-vingts et quatre vingt-dix, ne ressemble pas à l'immigration algérienne de la dernière décennie. Les facteurs politiques et les schémas mentaux hérités des pays noyés dans le radicalisme religieux, la dégradation de l'outil école, et une piètre image des femmes sont plus difficiles à déconstruire. D'où, la propagation d'un islam plus radical et opportuniste dans les banlieues françaises. Les Algériens sont bien placés pour connaître les ravages de l'atomisation de la mémoire. Ils en paient le prix encore aujourd'hui. De la guerre d'indépendance, en passant par la décennie noire, et jusqu'au Hirak, les faits et l'analyse objective de l'histoire restent les grandes absentes. Et ça fait très mal...! En conclusion, plus on est clair sur son passé, plus la vision et les projections d'avenir gagnent en justesse et en visibilité. La France a amorcé l'examen de sa mémoire, il ne faut pas que l'Algérie rate le coche cette fois-ci. Nous aussi, avons beaucoup à gagner en nous confrontant à la réalité de notre Histoire. De la plus ancienne à celle d'aujourd'hui. 

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