Région du lac Tchad
Le manque de coopération entrave la lutte antiterroriste
Lors d’un sommet régional la semaine dernière à Maiduguri, dans le nord-est du Nigeria, berceau de Boko Haram et épicentre du conflit, le gouverneur de la province tchadienne du Lac, Saleh Tidjani Haggar, a déploré le manque d’échanges militaires et d’informations entre les quatre pays.

Le manque de coordination militaire et les relations tendues entre les pays de la région du lac Tchad entravent la lutte pour mettre fin au conflit jihadiste qui ravage la région depuis plus de quinze ans. Ce conflit, initié par Boko Haram en 2009 dans le nord-est du Nigeria et qui a donné naissance à d’autres groupes terroristes comme l’État islamique en Afrique de l’Ouest (Iswap), a tué plus de 40 000 personnes et en a déplacé environ deux millions dans le nord-est du Nigeria. Il s’est étendu aux pays limitrophes - le Tchad, le Cameroun et le Niger- provoquant l’une des pires crises humanitaires au monde. Le lac Tchad, qui chevauche les quatre pays, s’est transformé en bastion terroriste, perturbant la pêche, l’agriculture et l’élevage dont dépendent les 40 millions d’habitants autour du lac. À cette éruption de violence s’ajoute l’épuisement des ressources naturelles, le lac ayant perdu 90% de son volume depuis les années 1960 à cause du réchauffement climatique et d’une mauvaise gestion, plongeant dans une précarité accrue les populations locales. Depuis 2013, une coalition militaire régionale impliquant les armées des quatre pays, la Force multinationale mixte (FMM), dont le siège se trouve à N’Djamena, combat les groupes terroristes. Mais les relations tendues entre ces États compromettent leur succès dans cette lutte. Lors d’un sommet régional la semaine dernière à Maiduguri, dans le nord-est du Nigeria, berceau de Boko Haram et épicentre du conflit, le gouverneur de la province tchadienne du Lac, Saleh Tidjani Haggar, a déploré le manque d’échanges militaires et d’informations entre les quatre pays. Il a accusé ses trois voisins de permettre aux groupes islamistes de maintenir des bases de leur côté du lac, d’où ils se faufilent côté tchadien et lancent des attaques. À la fin de l’année dernière, après une attaque qui a tué une quarantaine de militaires tchadiens, le Tchad avait menacé de se retirer de la FMM à cause d’une «absence de mutualisation des efforts». De son côté, Mahamadou Ibrahim Bagadoma, gouverneur de la région de Diffa au Niger, a déclaré qu’il ne pourrait y avoir de coopération et de coordination que lorsque les ingérences étrangères et le sabotage de son pays par le Nigeria cesseraient. Depuis l’arrivée au pouvoir d’un régime militaire au Niger en juillet 2023, Niamey accuse Abuja d’abriter des troupes étrangères pour déstabiliser les nouvelles autorités, ce que le Nigeria a toujours nié. Dans un message voilé adressé au Niger lors de son allocution au sommet, le président nigérian Bola Ahmed Tinubu a prévenu que la discorde régionale ne profiterait qu’aux terroristes, les «véritables ennemis». Il a attiré l’attention sur les répercussions que le manque de «coopération, de sincérité et de fidélité» aurait sur la lutte contre l’insurrection et mis en garde contre «la désinformation et les mensonges qui engendrent la méfiance».
Selon un rapport des services de renseignement nigérians, l’Iswap a chassé les communautés de la région de Damasak, le long de la frontière entre le Nigeria et le Niger, en préparation d’une éventuelle attaque contre des bases militaires, soulignant le manque de coordination entre Abuja et Niamey. Pendant le sommet, le commandant de la FMM, le Nigérian Godwin Mutkut, s’est plaint auprès de Mahamadou Ibrahim Bagadoma, le gouverneur de Diffa, de l’ordre donné par le Niger à ses officiers militaires de ne pas adresser la parole à leurs homologues nigérians. S’exprimant lors du sommet, le général Christopher Musa, chef d’état-major de l’armée nigériane, a appelé le Niger à revenir dans le giron de la FMM. « Je suis très heureux que le gouverneur de Diffa soit ici. Je tiens à lui assurer que nous sommes une seule et même famille, il n’y a pas de différend entre nous qui ne puisse être résolu», a déclaré Musa. « Vaincre Boko Haram est la clé pour restaurer la paix et la prospérité dans la région», a déclaré Mamman Nuhu, le directeur de la Commission du bassin du lac Tchad en marge de la conférence.