Soirées ramadhanesques dans les villages
La déprime des jeunes
«Même si on veut aller assister à des galas dans la ville de Tizi Ouzou, il n’y a pas de transport.»

Les soirées du mois de Ramadhan se suivent et se ressemblent pour les villageois et les habitants des centres urbains. L'animation assurée par la Direction de la culture est très riche et variée mais elle ne suffit pas à satisfaire la demande des populations résidant dans les villages et les chefs-lieux de la majeure partie des communes. Faute d'animation culturelle et artistique, les gens n'ont alors à leur disposition que les cafés et la télé pour les femmes. L'abandon des traditions ancestrales d'animation des soirées du mois de Ramadhan n'a pas été suivi de la mise en place de mécanismes à même d'assurer l'ambiance au niveau de ces zones éloignées du chef-lieu de wilaya. Pourtant, les infrastructures existent à profusion, jusque dans les villages les plus reculés.
Ambiance morose
Quelques instants après la rupture du jeûne, les places se réaniment par la présence des habitants des villages, essentiellement les jeunes. Mais, à bien observer, on remarque vite que l'unique alternative qui s'offre pour passer la soirée est le café du village. «Il n'y a pas où aller. Aucune animation culturelle dans les parages, mon frère. Une partie de domino suffit pour les pauvres villageois», affirme un jeune. D'autres personnes sont déjà attablées en attendant les boissons commandées. «C'est l'unique endroit où nous pouvons aller. Pourtant, il n'y a pas si longtemps, les associations locales assuraient une animation fantastique avec des soirées théâtrales, des galas et des expositions diverses», rappelle avec dépit un autre jeune dans un café de Makouda. En fait, il est aisément visible que la monotonie et la morosité sont la caractéristique inhérente à toutes les soirées dans tous les villages et les chefs-lieux des communes. «Même si on veut aller assister à des galas dans la ville de Tizi Ouzou, il n'y a pas de transport. C'est vraiment la déprime ici! Heureusement qu'il y a les cafés qui restent ouverts jusqu'à des heures tardives de la soirée, bien qu'ils n'aient pas grand-chose à proposer hormis les boissons et les parties de domino», déplorent de nombreuses autres personnes.Pratiquement, toutes les personnes avec qui nous avons discuté ont fait remarquer que l'absence d'animation des soirées du mois de Ramadhan au niveau des villages n'est pas due à l'absence de moyens. «Dans la majeure partie des villages qui nous entourent, il existe des maisons de jeunes, des foyers de jeunes et des stades. Les infrastructures ne manquent pas», soulève un jeune à Tigzirt où la ville sombre dans la morosité en ce mois de Ramadhan malgré la profusion d'infrastructures. «Ces salles et ces stades peuvent abriter diverses activités culturelles et artistiques mais nous restons cloîtrés dans les cafés-maures. C'est vraiment regrettable», fulmine un autre jeune. «Ici à Makouda, nous avons des maisons de jeunes dans tous les grands villages, Istiten, Attouche, Tala Bouzrou, Tazrart et le chef-lieu disposent tous de maisons de jeunes et de stades. Mais en ce mois de Ramadhan, toutes les infrastructures restent fermées durant les soirées. Les jeunes n'ont que les cafés-maures pour se faire un peu d'ambiance», déplore un homme à la soixantaine qui dit ne pas sortir durant les soirées parce qu'il n'y a rien à faire dehors. Pour les jeunes, ces salles fantômes qui restent, en règle générale, fermées toute l'année ne jouent plus leur rôle dans le bien-être des jeunes. «Je ne vois vraiment pas à quoi servent ces maisons de jeunes qui n'ouvrent d'ailleurs pas leurs portes même en dehors du mois de Ramadhan. Ce sont vraiment des espaces inutiles, pour l'instant», fulmine un jeune artiste.
Notre interlocuteur avait d'ailleurs raison de préciser qu'elles sont inutiles «pour l'instant» car les communes peuvent bien faire fonctionner ces infrastructures. «Je me demande où sont passées les commissions culturelles installées après chaque élection des APC. Quel est leur rôle et qui sont les élus qui les composent? C'est vraiment bizarre», fait remarquer un homme à la cinquantaine qui a été militant dans un parti politique dans les années 1990 mais qui a vite déchanté, selon ses propos. «Les commissions culturelles ont normalement pour objectif de gérer la vie culturelle dans leurs communes. Les APC les dotent de budgets mais on ne les voit jamais sur le terrain. Regardez les maisons de jeunes qui restent fermées et dont certaines sont dans un état de dégradation intenable», ajoute un autre jeune de Tala Bouzrou. «Ce n'est pas la peine d'aller voir ailleurs, c'est l'état prévalant dans toutes les communes.»
Les jeunes proposent des alternatives
Pour combler ce vide, des jeunes apportent des propositions et des initiatives mais ils se heurtent généralement au mur de l'indifférence. «Personne ne nous entend. On dirait qu'on prêche dans le désert. Pourtant, cela fait des années que nous proposons d'animer les soirées du mois de Ramadhan par nos propres moyens. Nous organiserons des galas et des activités artistiques à destination des familles. Et en contrepartie, on se fait un peu d'argent par le biais de la billetterie. Mais personne ne semble nous entendre», affirme un jeune artiste. «Nous pouvons nous organiser en associations et participer à l'animation, pour peu que la commune nous accompagne. Mais à qui s'adresser? On ne nous prend même pas au sérieux», se désole un autre jeune attablé à la terrasse d'un café à Tigzirt.