Sofiane Bahbou, président de la Fédération nationale des importateurs de viandes, à L’Expression
«Les prix ont baissé»
L'opération «viande rouge» pour le Ramadhan se passe bien, même s'il existe encore des couacs au plan de la commercialisation. Le président de la Fédération nationale des importateurs de viandes, Sofiane Bahbou, expose dans l'entretien qu'il nous a accordé, les conditions dans lesquelles se déroulent les importations. Un parler franc qui éclaire un état des lieux, pas toujours reluisant, dans l'administration nationale du commerce.
L'Expression: Quelle est la situation du marché de la viande à moins d'un mois du Ramadhan?
Sofiane Bahbou: Depuis l'ouverture des importations aux opérateurs privés, tout le monde aura constaté une nette différence avec la situation qui prévalait avant le mois d'octobre, date du transbordement de la première quantité de viande importée du Brésil. J'ajouterai que la décision des pouvoir publics d'ouvrir le marché national aux viandes rouges espagnoles est une excellente nouvelle. Ce pays peut fournir jusqu'à 500 tonnes par semaine. Ce qui réduira les délais afin de parvenir à stabiliser définitivement les prix d'ici le début du mois sacré. Mais avant, les arrivages se sont faits plus ou moins réguliers et au jour d'aujourd'hui, les citoyens constatent une nette baisse des prix de la viande rouge, mais aussi de la viande blanche et des oeufs. Il faut savoir que la viande rouge est un produit locomotive. Et les importations, même si l'on n'est pas encore au pic, ont déjà impacté le marché dans le sens de la baisse des prix. À ce propos, justement, je suis en mesure de vous confirmer que dans des délais courts, nous parviendrons à rendre la viande disponible au niveau des 58 wilayas. J'ajoute que pour cette année, les pouvoirs publics se sont pris suffisamment à temps pour garantir un mois de Ramadhan sans inflation, contrairement aux années précédentes.
Outre qu'il a autorisé les privés d'importer, l'État a pris en considération l'aspect quantitatif en fixant le tonnage à 25000 tonnes par mois, dans le cadre d'une opération qui court jusqu'en décembre 2024. Cette démarche permet aux professionnels de réapprovisionner le marché, tout en levant la pression sur la production nationale. Celle-ci doit souffler un peu pour reprendre à moyenne échéance. Si ce programme est respecté, je peux m'avancer sur la fin de la crise de la viande très chère en Algérie.
Votre fédération a deux interlocuteurs. Le ministère de l'Agriculture et celui du Commerce. Comment sont vos rapports avec ces deux institutions?
Avec le ministère de l'Agriculture, je dois dire que le courant passe très bien. Nous avions fait un travail intéressant avec M.Henni. Son successeur et actuel premier responsable du secteur, M. Cherfa, a su capitaliser les avancées réalisées et entrepris un formidable travail en faisant montre d'une écoute très intéressante. Il est d'une grande disponibilité et répond en temps et en heure à nos sollicitations. Ces instructions sont surtout destinées à lutter contre les comportements bureaucratiques, dans le respect des lois de la République. D'ailleurs, je constate avec plaisir que tous les collaborateurs de M.Cherfa sont mus par la même détermination à réussir l'opération Ramadhan, dans son volet viande rouge en tout cas.
Sincèrement, j'ai rarement rencontré un responsable de rang de ministre qui soit d'une telle efficacité. Nos entretiens débouchent toujours sur du concret. Tous les obstacles qui se mettaient en travers de l'opération ont été réglés séance tenante. Preuve d'ailleurs que la réglementation n'est pour rien dans les blocages qu'on rencontrait. Nous félicitons et remercions vivement le ministère de l'Agriculture. Il voit en nous des partenaires qui poursuivent le même objectif que l'État, celui de réussir l'opération Ramadhan dans son volet viandes rouges.
A contrario, je ne peux dire, pour ce qui concerne le ministère du Commerce, que tout marche à merveille. Le problème se situe, notamment dans la communication pas toujours bonne que nous avons avec ce département ministériel. On ne parvient pas à saisir, au ministère du Commerce, que l'échange d'information est nécessaire entre deux partenaires. À la fédération, nous connaissons on ne peut mieux la filière. Nous sommes sur le terrain depuis des dizaines d'années. Nous disposons de données chiffrées, vérifiées et consolidées sur l'état du marché, ses spécificités, la demande qu'exprime le consommateur algérien et bien d'autres aspects.
Nous aurons souhaité avoir la même qualité d'écoute que nous avons avec le ministère de l'Agriculture. Or, je suis le premier à regretter que le dialogue entre partenaires a beaucoup de difficultés à s'instaurer avec le ministère du Commerce. Nous n'avons pas l'impression d'être traités en partenaire. Je comprends, j'admet et salue la volonté des fonctionnaires de ce ministère d'appliquer strictement la réglementation, mais je dois aussi préciser qu'il existe des méthodes qui mettent le dialogue au centre de l'équation.
Si notre objectif commun est le même, à savoir rendre la viande rouge disponible à des prix abordables, il est nécessaire d'éviter certains comportements, dont la conséquence est de bloquer le processus commercial au lieu de le fluidifier. La rigidité de certains fonctionnaires du ministère du Commerce a retardé certaines opérations de commercialisation et impacté négativement des opérateurs.
On voit cela dans des attitudes bureaucratiques de certains responsables du ministère qui refusent d'admettre que facture à l'appui, tel importateur doit vendre sa viande à 1700 dinars le kilo, sous peine de perte sèche. Lorsqu'on essaye de dialoguer avec le ministère du Commerce sur ce point et sur d'autres, on se heurte à un mur. À l'image d'ailleurs du courrier adressé aux opérateurs qui les oblige à vendre la viande au prix fixé par l'État, sans même définir ce prix. C'est un non- sens!
Cette problématique des prix de la viande est-elle à ce point insoluble?
Je pense au contraire que c'est un faux problème. C'est notre fédération qui a proposé un prix de la viande importée du Brésil à 1200 et 1300 dinars le kilo. Les pouvoirs publics ont retenu ce niveau des prix, mais n'ont pas suivi tout le discours de la Fédération. Il faut savoir, et des écrits transmis au ministère du Commerce en attestent, que la fédération a proposé une autre qualité de viande. Elle est importée d'Europe et son prix à la vente est fixé à 1700 dinars le kilo. C'est très simple en réalité.
Cela veut dire que le consommateur disposera d'un choix varié de viandes. Il peut même acheter de la viande brésilienne et européenne. Sortir de la bureaucratie, c'est on ne peut plus compréhensible, d'autant que les factures font foi. Mais ce n'est pas l'avis de certains bureaucrates qui obligent des importateurs de la viande européenne à vendre leur produit au prix de la brésilienne. Ces exemples sont parlants des difficultés que nous rencontrons. Mais, la liste des entraves est encore longue.
Ce flou est-il susceptible de remettre en cause les avancées constatées sur le terrain?
À la Fédération, nous sommes conscients de l'important déficit en termes de quantités de viande sur le marché. Ce que nous préconisons, c'est de prioriser l'opération qui consiste à mettre des quantités suffisantes chez tous les bouchers du pays. Cela n'empêche pas de relever a posteriori là où il y a des problèmes et intervenir pour sanctionner les contrevenants. On ne peut pas aujourd'hui, dans le contexte de tension sur le marché, mettre de la pression et empêcher des opérations de se faire au risque de bloquer le processus. En définitive, je dirais que la Fédération nationale des importateurs de viande est d'abord un partenaire des pouvoirs publics. Nous n'avons d'autres intentions que de contribuer à permettre à un maximum d'Algériens de consommer de la viande dans des conditions optimales. Nous convergeons avec les pouvoirs publics sur cet objectif. Ils doivent nous écouter pour le bien du citoyen.
On a tendance à penser que l'importation est un frein au développement de la production nationale. Quel est votre commentaire d'importateur?
La préservation de la production nationale fait partie de nos préoccupations. Et à ce niveau, nous avons des propositions concrètes. Il faut savoir que les deux activités, l'importation et la production, sont complémentaires. Il faut arriver à un équilibre entre les deux. Il est très possible pour l'Algérie d'être importatrice de viande bovine, tout en accrochant une niche importante pour l'exportation de la viande ovine! C'est pour cela que moi je dis, il n'y a pas de contradiction entre les deux activités. Il y a des opportunités. Il faut savoir les saisir. Il y a un certain nombre d'actions à mettre en oeuvre au plan des taxes pour favoriser la production nationale. Or, ça ne se fait pas encore. Il y a encore quelques contradictions qu'il va falloir lever pour parvenir à l'équilibre que nous souhaitons tous, à savoir consommer de la viande à un prix abordable et dans le même temps, en exporter et en importer. Je pense qu'il est grand temps que les pouvoirs publics nous considèrent comme des partenaires au sens plein du terme. C'est comme cela que la filière viande avancera.