Ils avaient envie d'une datte... à leur mort on leur accroche un régime!
Il en est ainsi des hommes, ingrats, suffisants, mais experts dans la récupération et l'instrumentalisation des faits et des évènements. Ces dernières années, l'Algérie a perdu une kyrielle d'hommes et de femmes de culture, talentueux ou simples figurants, mais qui, chacun avec ses moyens, a donné à la culture algérienne dans ses différents contenus [littéraire, cinématographique, théâtral, pictural et créatif] et expressions linguistiques [arabe, amazighe, française] ce qu'elle est, ce qu'elle devait être. Aussi, les hommages sélectifs qui leur sont rendu(e)s - avec bien des retards - au détour d'un évènement, sont-ils suspects, par trop ostensibles pour être loyaux. Ces derniers mois l'Algérie a perdu une pléiade d'artistes qui ont fait de 2017 l'une des années les plus mortifères pour les artistes algériens. De Blaoui Houari à Hadj Mohamed Tahar Fergani, de Amar Ezzahi à Hadj Rahim, de Rachid Zeghmi à Houari Aouinet - parmi les derniers à avoir quitté la vie - ce sont des hommes éminents de la musique, du cinéma et du théâtre algériens qui sont partis. Une fois disparus, plus personne ne se préoccupe d'eux, si ce n'est leurs proches et amis. Oubliés certes, mais redécouverts opportunément pour des hommages de convenance. C'est ainsi que disparus des radars durant des décennies, des artistes, des écrivains, des cinéastes, des dramaturges ou hommes de culture réapparaissent subitement, remis à l'ordre du jour, actualisés pour les besoins de la cause. Commentant ces «retours inopinés» d'artistes disparus, un grand parmi les grands, Hassan El Hassani «Boubagra», eut cette apostrophe: «De leur vivant, ils ont eu envie d'une datte, à leur mort on leur apporte un régime.» En effet, c'est de leur vivant qu'il fallait honorer ces hommes et femmes de culture qui ont donné le meilleur d'eux-mêmes pour que l'esprit et la création algériens rayonnent dans le monde. Ce qui fait encore le plus de mal est que certains d'entre eux sont célébrés à l'étranger, quand ils sont ignorés dans leur patrie. Ce n'est que récemment que l'un des plus grands écrivains que l'Algérie ait produits [Mouloud Mammeri] eut droit à l'hommage qu'il mérite après des années de ghettoïsation. C'est toujours le cas pour Kateb Yacine, Mohamed Arkoun et bien d'autres. Dans cet ordre d'idées, l'un des grands islamologues du XXe siècle, Mohamed Arkoun, humaniste mondialement reconnu, attend toujours que sa patrie lui rende cet honneur auquel il a droit alors qu'il est ostensiblement ignoré par les autorités du pays. Un pays en fait en rupture avec ses hommes de culture en général, ses hommes de l'art en particulier. Et ces femmes et ces hommes du théâtre, du cinéma, des arts plastiques, de la littérature, de la musique qui, depuis l'indépendance, ont fait la particularité de l'Algérie, disparaissent les uns après les autres sans que cela émeuve autrement ou, plus grave, sont reconnus seulement une fois disparus. Qui, aujourd´hui, se souvient de Mohamed Touri disparu dans l´anonymat à la fin des années 60, de Rachid Ksentini? Qui s´inquiète de ce que sont devenus les Mohamed Seghir Hadj Smaïn, Mohamed Lakhdar Hamina, Sid Ahmed Agoumi, Ahmed Benaïssa, Mohamed Adar, Abdallah Hamlaoui, sans les citer tous ici, qui donnèrent le meilleur d´eux-mêmes pour que vive en Algérie l´art sous toutes ses expressions. Sans le courage de ces hommes et ces femmes, mus par le seul amour qu´ils portaient à leur art, qui menèrent une lutte de tous les instants, pour une culture ouverte sur son siècle, y aurait-il eu un théâtre algérien, un cinéma algérien, une littérature algérienne, des arts plastiques algériens? Or, la culture, même si c'est vital, n'est pas seulement une question de financement et de statut, mais aussi, sans doute surtout, de liberté de faire et de dire. Un homme de culture qui n'a pas la liberté de pensée, de dire, d'écrire, de filmer, de peindre, peut-il se revendiquer d'un tel statut, quel que soit par ailleurs son talent, dès lors que sa profession n'occupe pas la place qui lui est due? Normal, dira-t-on quand, de leur vivant, des Mouloud Mammeri, des Kateb Yacine, des M'hamed Issiakhem sont passés à la trappe parce que trop libres ou n'acceptant pas les injonctions. Mais qui se souvient de Mustapha Kateb, Mohamed Khadda, Keltoum, Yasmina Douar, Sirat Boumediene, Abdelhamid Benhadouga (l'un des plus grands écrivains d'expression arabe) et... (la liste est malheureusement longue), qui ne sont plus parmi nous? C'est la récompense immuable qui semble leur être réservée, eux qui se sont investis corps et âme à (re)donner à ce pays sa raison d'être, le faîte des grandes nations. Or, sans culture, il ne saurait y avoir de nation et d'identité partagées. Singulièrement pour un pays comme l'Algérie qui a la chance inouïe de s'adosser à une culture plurielle qui fait sa richesse et sa spécificité.