Président du jury des Journées cinématographiques de Carthage
Saïd Ould Khelifa: le cinéma dans le sang
Il vient de mettre la dernière touche à un scénario sur Maurice Audin, «résultat d'une enquête de plus d'une douzaine d'années».

Présider le jury d’un prestigieux festival de cinéma, lorsqu’on est soi-même cinéaste, est incontestablement une sorte de bain de jouvence. Et c’est justement l’effet que fait le cinéma sur Saïd Ould Khelifa. Cet art si sublime permet à tout être humain de voyager dans le temps.
La liberté qu’il procure au spectateur qui peut se retrouver à flirter avec l’épopée de l’humanité, ces grands hommes, ces délires et ces drames, peut aussi s’inventer son futur et se voir propulser dans un avenir dont on peut construire quelques certitudes par la magie de l’image, du scénario et du génie du réalisateur. Saïd Ould Khelifa en est un.
Pour ce qui le concerne, il a traversé ce temps, dépeint le passé de l’Algérie et donné aux Algériens l’opportunité de voir leur histoire. Il s’est aussi baladé dans le présent et a fait découvrir aux uns les us et les cultures des autres. Bref, Saïd est, en lui-même, un projet cinématographique. Son amour du cinéma en a fait un être à part, une cinémathèque ambulante, avec des milliers et des milliers de films dans la tête. Plutôt dans l’âme, dirions-nous. Interrogez-le sur la production que vous désirez, des péplums aux nanars, en passant par les chefs-d’œuvre oscarisés ou césarisés, il vous dira le contexte, l’environnement les préludes artistique, politique et même économique de chaque production. Et ajoutons qu’il n’en parlera pas en machine récitant des séquences de l’histoire du 7e art. Non. Saïd y met de l’amour, de l’émotion et cela se ressent dans son regard qu’il fait balader, comme s’il suivait les acteurs, les décors et l’émotion que l’un et l’autre dégagent. Y a-t-il de mauvais film ? incontestablement oui. Mais le mot «mauvais» a le goût de l’imperfection dans son propos. Et comme, à ses yeux, tout est perfectible, Saïd ne condamne pas ; il encourage.
Une grande question se pose : comment peut-on atteindre une si grande sensibilité et un «toucher» aussi perfectionné ? La réponse est déjà dans ce qui a précédé, mais cela n’explique pas tout. Car, dans la carrière de l’homme, il y a un «assaisonnement» de plusieurs métiers qui apprennent l’humilité, l’observation et la sensibilité. Mais pas seulement, Saïd a rencontré du monde, et a su tirer le meilleur de ce que ces hommes et ces femmes peuvent transmettre comme valeurs.
Dans les métiers, il a débuté sa carrière dans le journalisme. Et comme cette profession mène à tout, à condition d’en sortir, le grand reporter, chef de rubrique internationale et critique cinéma qu’il fut, a su trouver la bonne porte. Et pour cause, son premier «coup de pioche» fut la co-écriture avec l’Américaine Michie Gleason du scénario traitant de la vie et de l’œuvre d’Isabelle Eberhard, la célèbre exploratrice suisse tombée amoureuse de l’Algérie et des Algériens. Coup d’essai, coup de maître, Saïd Ould Khelifa frappe fort avec son premier long-métrage, Ombres blanches. Avec une distribution de rêve comprenant, Rouiched, Fares, Fellag, Boutella… le film obtient le prix de la première Oeuvre au Festival d’Amiens, Montréal, Namur, Bruxelles, Carthage, New York… Sortie en 1991, cette œuvre a installé le réalisateur dans la planète cinéma. Une multitude d’autres travaux ont suivi, de sorte que le cinéaste est demeuré très actif et obtint des prix, dont celui Spécial du jury à Bruxelles, premier prix du Cinéma francophone en Beaujolais, Festival de New Delhi, Vancouver, San Francisco, Minneapolis. Colombie, Mexique, Argentine pour Le Thé d’Ania, sorti en 2004. En 2013, Saïd Ould Khelifa a signé un grand film qui a représenté l’Algérie aux Oscars 2013. Zabana a décroché le prix du public au Festival de Buenos Aires (2013), Prix du décor et de la musique au Fespaco (Ouagadougou 2013), Liverpool, Pékin, Dubaï, Toronto, New York ...
Si l’on déroulait tous les travaux de ce cinéaste, tout l’espace du journal n’y suffirait pas. C’est dire que l’homme n’a absolument pas chômé. Mais faisons une petite exception pour découvrir que Saïd a aussi touché au théâtre. En réalité, il a fait beaucoup plus que simplement «toucher». Il a mis en scène des pièces de Kateb Yacine, Sean O’ Casey, Aristophane, Bertolt Brecht, Abdelkader Alloua, R. W. Fassbinder, Jean Cocteau, Nelson Rodriguez, Carmelo Bene… Les organisateurs des Journées cinématographiques de Carthage ne pouvaient rêver meilleur président pour leur jury. L’homme respire le cinéma, respecte les comédiens et sait parfaitement la valeur de l’art pour l’avoir exercé avec une rare passion.
Finir ce papier avec un scoop, il n’y a pas meilleure chute. Sachez donc que Saïd Ould Khelifa vient «de mettre la dernière touche à un scénario sur Maurice Audin, résultat d’une enquête de plus d’une douzaine d’années», nous a-t-il confié, hier. Audin, insiste-t-il, «sera le procès de la torture sous toutes ses formes et des disparitions dont auront été victimes des Algériens en cette année 1957, sur ordre de Massu et Aussaresses…».