Sidi Lakhdar Lakehal Benkhlouf (2)
L’éminence, le génie des temps
Pourvoyeur de signes poétiques intelligibles aux tons stylistiques uniques, psalmodiés par des maîtres du chant populaire, el aâsri aussi, dont : cheikhs Menouer, hadj Hamada, hadj El Anka, El Ankis et autres
Par Abbou Abdelkader Dadi*
Chantre du prophète Mohammed,(Qsssl), à qui il dédiera toute sa vie. Poète, écrivain, historien, mystique, il décryptera les tenants de la société, et drainera son option charia lumineuse aux oreilles les plus attentives, et à la gente de l’inconditionnel savoir… Il sera combattant infatigable contre les hordes espagnoles, qu’il décima et dérouta, à la fameuse bataille de Mazagran en 1558, s’il faut rajouter le soufisme dont il appliqua la doctrine profondément, le long de sa vie. On comprendra la grandeur, l’immensité de ce personnage hors du commun. L’Homme qui a fait la gloire, la victoire de l’armée algérienne d’antan, et mit hors d’état de nuire l’ennemi. De cette pensée d’exception, la liste est longue et non exhaustive, quant aux mérites de nos chouaara, nos chanteurs-compositeurs, nos comédiens, nos cinéastes, artistes-peintres et consorts… eux aussi, serviteurs de l’art, de la culture algérienne. Que reste-t-il de ces monuments de la culture glorieuse du pays, nombreux en déperdition, sans écoute, sans avenir effectif ? Ces illustres personnalités, inconnues, qui ont bâti l’histoire de ce grand pays, leurs noms dans l’expectative. Que deviendrait ce monde sans culture, sans l’artiste ? Ils seront peu à peu effacés de la mémoire populaire, érigés par le caractère émotionnel actuel, avec ses options trompeuses, déroutantes. Aussi, reprendre leur histoire devient aléatoire, par certains historiens, notamment à l’ère contemporaine. L’hémisphère culturelle s’affaiblit encore, que faire alors ?
Ce rapprochement méditatif des hommes, convoyeurs d’idées nobles, positives, nous renvoie au cycle contemplatif de Sidi Lakhdar Benkhlouf, sur ce monde en décomposition. Sa roeya (songe), sur le Prophète Mohammed (Qsssl), d’aller visiter maqam (lieu) de sidi Boumédienne el ghaout Chouaïb (1126-1197),saint homme, savant du grand Maghreb, l’induit fortement dans la texture divine, littéraire, de ses aînés, il l’imprimera: « Nous sommes restés toute la nuit à parler de la religion du Prophète vertueux (Qsssl)... « Je suis Boumediene, de noble lignée, célèbre en Andalousie »… Je lui ai répondu: « Et moi je suis Benkhlouf, laudateur du Prophète,(Qsssl), je ne peux m’empêcher de parler de lui. » Il me tendit la main droite, et me dit: « Ô takehal, reçois mon onction et reprends ta route par la volonté de Dieu. Cent vingt hommes parmi les saints t’ont donné leur accord, mon agrément en est la preuve. »
C’est ainsi qu’apparut un homme, grand et majestueux, tout en blanc, rayonnant, c’est bien Sidi Boumediene qui vint à lui, ils s’embrassèrent, discutèrent, et firent le serment... décrit dans le qacid : Men alnd el maghitt djebt el amana … Dans lequel il invoqua les grands bardes de la poésie arabe tels que: El Boukhari, Hambel, El Djounidi, Mouslim, entre d’autres. Certains auteurs orientalistes souscriront ses écrits, et sur ses épopées, énonceront sa bravoure, sa noblesse, notamment sa piété à l’absolu. D’autres auteurs porteront ses élégies contemplatives, fascinantes, dans « la poésie arabe maghrébine d’expression populaire »,1980, de Mohamed Belhalfaoui, Diwan de sidi Lakhdar Benkhlouf (Rabat) 1958, de Bekhoucha Med, J-Millie dans Contes sahraouis du Sud 1958, Ahmed Tahar 1973, La poésie soufie de sidi Lakhdar , Si Habib Hashelef dans Anthologie de l’œuvre du poète Lakhdar Benkhlouf , gratifiant sa personnalité, approche poétique d’une autre dimension. Une poésie ne peut être régulatrice et révélatrice si elle ne porte pas en elle la parole du peuple, l’apport identitaire, son langage. Son potentiel chi’ir chaâbi, dimensionnel, ne révèle-t-il pas cette richesse linguistique centenaire ? Cette sémantique (dialectale), qui n’est autre que sa langue primaire séculaire, émanant de l’acte civilisationnel. À ses premiers balbutiements, la retranscription de sa métamorphose divine, décryptera la nature de l’homme dans ce bas monde : « Ya haira ftakri lilett mardek-fi dar M’dalma tensedjni-la boudi ma trab frachek wa ghetak-be doud tourkhsi wa thouni »…
« Âme égarée, pense un jour à ton départ-dans une demeure obscure, tu seras emprisonnée-contrainte d’avoir la terre pour couche et pour couverture-tu seras livrée aux vers de terre, dépréciée, humiliée » ...Il observera avec insistance cet aspect, qui relève du délabrement, et de la déchéance humaine. Sa région est du Dahra, lieu d’envoûtement, d’hibernation absolue, contiendra toute sa pensée mystique, et philosophique, incarnant désormais sa propre spécificité poétique, dans les annales de l’Histoire. Une vie livrée totalement à Dieu, et son Prophète (Qsssl). Une vie indubitablement confondue dans ce tournant incontournable. Il commentera sa pensée. Orphelin de père à bas âge, il gardera en son âme le souvenir indélébile de sa mère Koula, source d’affection, de gratitude, et d’inspiration. Elle tiendra une place élogieuse dans ses qacidates : « Mouhal fi dhennha djahlett oume el itime ma testahza». Sidi Lakhdar aura des enfants, Mohamed, Belkacem, El Hbib, Ahmed, et sa fille Hafsa, qu’il chérissait, irréductible, enseignant l’essentiel: « La vie est pleine de leçons dont il faut tenir compte à chaque instant .» Inculquant à ses enfants.
Pour voyeur de signes poétiques intelligibles aux tons stylistiques uniques, psalmodiées par des maîtres du chant populaire, el aâsri aussi, dont : cheikhs Menouer, hadj Hamada, hadj El Anka, El Ankis, Maazouz Bouadjadj, Benkoula Ali, Ghafour, El Annabi, Dahmane Benaachour, Tahar Fergani, Fadila Dziria, et autres. Chacun (y) imprimera son genre, sa notation, valorisant le verbe poétique du génie des temps. Rapprochement thématique du sens, chez nos choura, en sidi Med Majdoub, Ben Msaieb, Bentriki, El Maghraoui, Abou Fares Abdelaziz (du Maghrib), AEK Bentobdji, sidi A.E.K. El Djilali (ou Djilani), Abderrahmane el Taâlibi, Sidi Boumediene el Ghaouth, autres éminences. C’est dire la nécessité d’explorer ce terrain tant qu’il est temps. Nous élèverons assurément notre savoir vers ce concept dialectal, que nous méconnaissons encore, et l’implication des hommes de culture, chercheurs, critiques d’arts, etc. Son mausolée fut bâti par le défunt Larbi ben Abdellah, sa descendance ordonna au gaïd des ouled Khelouf d’entourer sa koba d’un mur d’enceinte, et quelques chambres, abritant les fidèles, et invités. L’administration française ajouta en 1902, d’autres, pour gagner la sympathie des «indigènes » en lien avec les Maghraouia. Aussi, le caractère ornemental, 2007 par les citoyens, reste en deçà de sa valeur architecturale.
Nakhla m’souessa talkah men baâd el ibous - Idaha y koun kebri ya mouslimine . Des milliers de visiteurs, de familiers, de chanteurs, des quatre coins du pays, amoureux du chi’ir, éliront domicile dans cette enceinte aux halkates, aussi, aux rakb (fantasia), soirées festives, et festivals annuels tant convoités. Il prescrira dans son testament « Ouassiya » (le message), et au sujet du palmier, semble-t-il, unique dans le monde, cité ci-haut. Palmier, qui suscita chez certains esprits indigents, et superstition, de l’arracher, le brûler, n’était-ce la clairvoyance, le bon sens de chouyoukhs, évitant ce dérapage in extremis. La prédominance poétique de Benkhlouf demeure l’exemple intarissable d’une culture originelle, aux composantes authentiques, louanges à Dieu, et son prophète Mohammed (Qsssl). Une offrande pour la postérité, une pléthore de qasidates, de portée philosophique inestimables, à l’exemple: Youm el hisseb ouel igab , Arham aadhoum oumi koula , Fi khaymett e chaar, Lelah toub ya bounadem , El wouafets - (el wassya) , sid el mouhadjirin ou sid el ansar , Ya malik el m’louk Rabbi , Salou aâla n’bi , Ma sobte had mene yahmini , Allik ya rassoul lellah n’bi adnani , Sellolah allik ya taha el mokhtar , pour ne citer que celles-là.
Ce texte décrit très succinctement le parcours de sidi Lakhdar Benkhlouf, et se veut un modeste préambule sur sa vie, son itinéraire littéraire, sa poésie, sa vie, ses combats, Toutefois, l’intérêt que revêt ses contenants, pour la société, l’art, la culture, le mystique, pourvoie notre mémoire, incite plus dans la réflexion, la prospection, l’étude, au génie incommensurable de Benkhlouf, Certes, des ouvrages paraîtront ici et là, de Toufik el Madani, Habib Hachelet, Ghouti Bekhoucha, l’association Azur de Mostaganem, se focalisant sur son état méditatif, son produit chi’iri admirable et constructif. À cela, l’on convient objectivement de l’intérêt multiple que revêt son ouvrage pluriel. D’associer à une étude approfondie, des travaux de réflexion, mettre en exergue l’approche socio- historico- mystique, qu’esthétique de Benkhlouf, au profit du patrimoine culturel national. « Tirez avantage de la bénédiction de Lakchal, Ô vous qui lui rendez visite ! Sahlou ya kiram sahlou - Makam bine Kheloufi rafii el djalal.
*Écrivain, artiste peintre, sculpteur, comédien marionnettiste, ex- chargé de l’éducation et culture, ex- chargé de festivités nationales.