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Keltoum Staali, lauréate du prix Mohammed-Dib, à L’Expression

«Alger est la plus belle ville que je connaisse»

Romancière et poétesse, Keltoum Staali nous parle de son roman qui lui a permis d’obtenir le prix Mohammed-Dib. Elle évoque ses autres livres, mais aussi son amour incommensurable pour la ville d’Alger.

L'Expression: Passe-t-on facilement du journalisme à l'écriture littéraire?
Keltoum Staali: La question du passage de l'écriture journalistique à l'écriture littéraire est centrale pour moi. Je n'ai d'ailleurs jamais renoncé au journalisme. Ce fut mon premier métier, il m'a été offert par les circonstances en même temps qu'Alger m'a été offerte. Venir à Alger en 1986, être recrutée par Abdou B dans la rubrique Culture et Société, faire mes premières armes dans la revue historique Révolution africaine avec les plus brillantes plumes comme Mouny Berrah, Boukhalfa Amazit et tant d'autres, pour une enfant de l'émigration qui avait fait le choix, lunaire, du «retour» a été une expérience existentielle majeure. Chaque jour, dans les couloirs de la rédaction, croisant Slim, Bachir Rezzoug ou Josie Fanon, c'est-à-dire des monuments, je me suis sentie extrêmement chanceuse et gâtée. Écrire, être publiée c'était quelque chose d'éblouissant pour moi. Aussi éblouissant que cette ville gorgée de soleil que j'apprenais chaque jour à connaître et à laquelle j'ai dédié un amour inouï. Les circonstances, encore elles, m'ont éloignée d'Alger et du journalisme. Longtemps j'ai été convaincue que je reviendrai m'y installer et que je retrouverai mon activité dans la presse algérienne. Je suis revenue plusieurs fois, d'ailleurs je ne cesse pas d'y revenir, il m'arrive d'écrire des articles par- ci, par-là, mais c'est vraiment très occasionnel. Je crois que mon écriture littéraire vient de là, du renoncement impossible à une ville et à un métier qui est bien plus qu'un métier. Je ne suis d'ailleurs pas la seule à avoir vécu ce passage, ce transfert. C'est, somme toute, une expérience assez banale.

Vous êtes romancière, poétesse et nouvelliste, lequel de ces trois genres vous enchante le plus?
Cette deuxième question me permet de poursuivre dans la même veine autour de l'intérêt que présente la transgression générique. Peut-être que cela me vient justement de cette pratique journalistique. À la fin des années 90 je me suis mise à écrire de la poésie. Il me semblait alors que c'était la seule langue possible pour dire ce que j'avais à dire. Face à l'insoutenable, face à la confusion généralisée, au chaos, la poésie offrait la possibilité de creuser le langage, d'en sonder les entrailles. L'écriture de la poésie est aussi pour moi une façon d'éprouver le langage et sa matérialité. C'est très enthousiasmant parce que lorsque les mots prennent cette dimension matérielle, ils nous donnent le sentiment de pouvoir réinventer la langue. Or, la question de la langue est une de mes obsessions et elle s'invite systématiquement dans mon écriture. En écrivant de la poésie, j'ai appris à écrire des romans. Je n'oppose pas les genres littéraires. Je les pratique tous ou presque avec cette volonté d'en explorer les contours, les limites et les frontières. L'écriture poétique m'a aidée à interroger la langue, à la manipuler, à intégrer les langues qui me définissent, arabe algérien maternel et paternel, français devenu ma première langue, anglais, allemand, espagnol scolaires, russe longuement convoité, etc. Je suis fascinée par l'idée que les langues nous donnent la clé d'innombrables univers. Si j'avais plusieurs vies j'apprendrais plein de langues. Le roman est une sorte d'apothéose dans le sens où il nécessite un travail au long cours. Il nécessite une grande concentration et passe par des tâtonnements et des stratégies. En ce qui me concerne, il est un aboutissement de toutes les expériences d'écriture qui l'ont précédé. Il reste à inventer. Il est associé à une exigence autour de la langue mais aussi dans sa construction, dans ses formes, dans son dialogue avec les écritures classiques et contemporaines. Il est l'objet d'une recherche et c'est d'ailleurs ce qui m'a amenée à produire une thèse de doctorat en création littéraire pour examiner au plus près les tensions à l'oeuvre dans l'écriture d'une fiction entre théorie et pratique.

La ville aux yeux d'or, quel titre pour un roman sur une ville qui vous habite! Comment avez-vous choisi une telle métaphore originale pour intituler votre roman?
La ville aux yeux d'or est un titre qui illustre la proximité du roman avec la poésie. J'aime bien raconter une anecdote qui a conduit à ce choix. Il est né d'une phrase que disait Sadek Aissat, écrivain algérois trop tôt disparu, qui aimait passionnément sa ville qu'il appelait ma ville aux yeux bleus. C'est une phrase magnifique qui exprime à la fois la beauté d'Alger, l'amour qu'elle inspire, mais aussi une sorte d'ambiguïté et d'étrangeté. J'ai voulu garder cette métaphore scintillante et je l'ai croisée avec le titre d'un roman de Balzac, La fille aux yeux d'or, une façon aussi de rendre hommage à un maître du roman du XIX ème siècle, communément appelé «l'âge d'or du roman». Les métaphores, même s'il ne faut pas en abuser ainsi que le recommande Milan Kundera, sont extrêmement bavardes et révélatrices. Elles nous racontent bien des histoires. Donc ce titre, c'est un hommage à la plus belle ville que je connaisse, à de grands écrivains du passé et contemporains. C'est un titre qui s'inscrit dans une tradition algérienne du titre poétique et parfois marquée par l'orientalisme auquel on échappe difficilement, malgré Edward Saïd. Mais il me faut aussi passer par là, sacrifier à des traditions, me conformer à des pratiques littéraires tout en me débattant pour y échapper. Affirmer ma filiation à la littérature et aux traditions algériennes tout en essayant d'en sortir pour exprimer ma voix propre et mon univers. Quand je pense à Alger c'est tout de suite sa lumière qui me saisit. Cette fusion entre la blancheur légendaire et réelle, la profusion du soleil, le miroir éclatant de la mer, ne peut pas laisser indifférent. Visuellement Alger est un tableau orientaliste, parfaitement vivant et lumineux qui défie toutes les lois de l'urbanisme, de l'architecture et de l'art académique. Elle ne se laisse pas réduire à sa beauté. Pour moi, cette ville est une énigme. C'est pourquoi j'ai beaucoup de plaisir à arpenter ses rues, ses jardins, et à monter ses escaliers interminables. Alger est une ville qui se mérite. Savourer sa beauté c'est aussi mettre ses pas dans les pas de ceux qui m'ont précédée et l'ont célébrée, racontée, peinte...Aimer Alger c'est entrer dans une famille dans laquelle on se raconte des histoires merveilleuses à la veillée. Les yeux d'or évoquent aussi un conte pour enfants dans lequel des objets magiques peuvent apporter à ceux qui persévèrent et réussissent les épreuves, richesse et bonheur. Je ne sais pas s'il est possible de connaître Alger dans ses moindres recoins. Pour ma part c'est un rêve impossible.

Selon l'écrivain Aomar Khennouf, dans votre roman, vous faites parler Alger, pouvez-vous nous en dire plus?
Faire parler Alger, parler avec elle, c'est l'oeuvre d'une vie. Je ne cesse de revenir à elle, réellement en multipliant les séjours dans la ville aux yeux d'or. Mais aussi de manière fantasmatique, à travers mes écrits, une façon de continuer à l'habiter malgré la distance. Elle me poursuit jusque dans mes rêves, s'invitant à l'improviste pour un dialogue onirique vivifiant. Elle a cette capacité à insuffler une sorte d'énergie très puissante. Lorsque je suis à Alger, en général pour de trop courts séjours, j'éprouve une sensation que je n'ai jamais éprouvée nulle part, celle d'être à ma place, là où je dois être. C'est étrange, n'est-ce pas? On me dit souvent que j'enjolive la réalité, que je fantasme complètement sur une ville que d'autres, ceux qui la vivent au quotidien, voient différemment. Je sais qu'ils ont raison. Que sans doute si je vivais à Alger, je n'aurais plus ce regard qui, pourtant n'a rien de naïf. C'est juste un regard qui prend le temps, qui a le temps. Je regarde le ciel, je regarde les arbres, je regarde la mer, je regarde les façades des immeubles, les portes, les escaliers, les collines. Les gens. Je n'ai que ça à faire alors c'est facile. Il est certain que cette Alger que j'aime et célèbre, c'est la mienne, une ville idéalisée que je fabrique pour y habiter toujours. Je revendique ce droit d'aimer une ville que j'invente. Elle m'a tant donné. Sans elle, peut-être que je ne serais jamais passée à l'écriture poétique et littéraire. Comme écrivaine, je lui suis redevable totalement. Si j'écris c'est à cause d'elle, grâce à elle. Nous nous sommes choisies pour la vie littéraire. Elle est là dans tous mes écrits, y compris dans ma thèse de doctorat. Le réalisateur algérien Teric Teguia parle d'elle comme d'un «territoire cinématographique». En ce qui me concerne elle est un territoire de recherche en écriture, un champ à explorer par l'écriture, un champ infini, pour une quête interminable et enthousiasmante. Je ne cherche pas à la décrire, je ne cherche pas à restituer sa beauté ou son mystère. Je me contente d'interroger ses rues, ses escaliers photogéniques, je cherche à sonder le mystère de ses bâtisses, le secret de ses immeubles devant lesquels chacun passe, préoccupé par le quotidien. Évidemment, quand je viens, j'ai du temps pour elle, car je ne viens que pour elle, alors, oui, j'ai cet immense privilège de faire des découvertes, comme ce jour où, accompagnée d'une photographe aussi toquée que moi, poussant au hasard la porte d'un immeuble, j'ai vu une girafe dans la mosaïque du sol.

Avez-vous été surprise que votre roman soit choisi par le jury du prix Mohammed-Dib? Qu'est-ce qui a séduit, dans votre roman, les membres du jury d'après vous?
L'annonce de l'attribution du prix Mohammed-Dib en 2022 m'a totalement prise de court. Je ne m'y attendais absolument pas. J'étais à Tlemcen à ce moment-là, invitée en tant que nominée, ce qui était déjà pour moi quelque chose de merveilleux. C'était vertigineux, entendre mon nom, voir les gens me sourire, me féliciter, monter sur la scène, remercier... C'était très perturbant. Être distinguée, d'une manière ou d'une autre, cela provoque un mélange de sensations contradictoires, un tsunami émotionnel. On n'ose pas vraiment se réjouir. Je pense que ce qui a guidé ce choix chez les membres du jury c'est le travail d'élaboration d'une écriture qui interroge la langue, qui joue avec la dimension intertextuelle et qui explore les frontières du genre. Dans ce roman se croisent des formes très diverses, poésie, conte, fragments mémoriels, un ensemble de composants qui dessinent une fresque. J'ai inauguré avec cette oeuvre une écriture qui met en scène la création et l'interrogation. Un roman qui joue entre la fiction et le réel, qui les met sur le même plan au point qu'on ne sait plus très bien distinguer ce qui relève du fantasme, du souvenir, de l'anecdote. Un roman qui se revendique comme tel mais qui déjoue ou tente de déjouer les règles du genre. Je ne m'interdis rien. Le cadre du roman est très élastique et se prête à toutes les contorsions et subversions. Il continue à vivre d'ailleurs grâce à cette incessante remise en question et aux tentatives de le faire sortir de ses frontières. Si le roman répétait indéfiniment les mêmes formes et les mêmes normes il finirait par disparaître.

Pouvez-vous nous donner un aperçu sur vos autres livres?
J'ai d'abord publié des recueils de poèmes, en 2005, Talisman, chez Alba, et 2009 Identité majeure, éditions de l'Atlantique. C'est une expérience d'écriture très formative qui permet de se forger non pas un style, mais une langue et nous confronte à la matérialité de la langue. Ensuite, j'ai publié un récit-témoignage en 2011 aux éditions Lazhari Labter, Le mimosa de décembre. En 2014, je publie mon premier roman, Coeur moir, chez Marsa. Puis La Ville aux yeux d'or, en 2021. Plus récemment j'ai de nouveau publié de la poésie, Oeil Turquoise à la main, chez Marsa. J'ai également collaboré à des ouvrages collectifs, ici ou là. 

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