Lettre à M . Zerhouni
Ce sont deux amis qui discutent le matin au bureau. Djamel et Abdou. Ce dernier n´arrête pas de geindre. Il a des douleurs insoutenables au dos. Qu´est-ce que tu as demande Djamel? Je te raconte pas, répond Abdou en grommelant. J´ai été coincé pendant trois heures dans la circulation, soit de 18 à 21 heures, au sortir du bureau. Pourtant, fait remarquer Djamel, tu aimes bien conduire, et puis tu es si fier de ta nouvelle conduite intérieure. - Oui, sur la route, je l´adore. On n´entend pratiquement pas le bruit du moteur et tu as l´impression d´être sur un yacht voguant sur une mer calme, bercée par le vent, surtout, lorsque en plus tu mets une cassette de Hadj El Anka ou de Cheikh El Hasnaoui. Mais quand tu es coincé dans un embouteillage durant trois heures, alors que tu couves une grippe, la mer calme se déchaîne et tu as l´impression d´être sur le Béchar sombrant à quelques pas de l´Amirauté. Que faut-il faire pour arrêter ça? - Il suffit d´être patient, conseille Djamel. Ce n´est pas tous les jours que le Nepad tient une conférence à Alger ou que le président reçoit des invités de marque. - Oh, non ! s´écrie Abdou. A voir les points de congestion de la circulation aux heures de pointe, on croirait que c´est tous les jours que le Nepad se réunit dans notre capitale. - Alors prends le bus, dit Djamel. Fais comme tout le monde. - Tu crois que je crache sur les transports en commun par snobisme? Le métro dont on nous rebat les oreilles depuis bientôt trente ans, ne veut pas voir le bout du tunnel, alors que les travaux de creusement n´ont pas cessé d´empoisonner la vie des Algérois en fermant plusieurs artères à la circulation. Quant au bus, tu dois attendre des heures aux arrêts, et ensuite jouer des coudes en surveillant tes poches. Et tu n´es pas sûr d´arriver à la maison. - Pourtant, des milliers de citadins n´ont que ce mode de transport. - Non, très peu pour moi, dit Abdou en poussant des mugissements et en se tenant le dos. J´ai les reins en marmelade. Suggère-moi une autre solution. A qui faut-il s´adresser pour mettre un point final à ces embouteillages? - Tiens! Dis Djamel. Ça me revient. Appelle M.Lazouni. Il anime une émission à la radio. - Oh non! se plaint Abdou. Monsieur Lazouni est un humaniste qui donne des conseils de prudence au volant. Moi je veux appeler quelqu´un qui aurait le pouvoir de changer les choses pour en finir une bonne fois pour toutes avec les embouteillages. - Dans ce cas, il y a le wali d´Alger, susurre Djamel. - Lui non plus n´y pourra rien. Il vient à peine d´être nommé. Alger n´est pas Djelfa. Gérer le mouvement des voitures sur la Moutonnière n´a rien à voir avec la transhumance des moutons dans la steppe. - Je ne savais pas que tu affectionnais les jeux de mots. Alors, il reste la solution miracle: Amar Ghoul. Le ministre de l´Equipement et des Travaux publics. - Oui, oui, dit Abdou. J´applaudis aux efforts de M.Ghoul qui a promis d´éliminer tous les points noirs à Alger. Et pour cela, il creuse des trémies et des tunnels et construit des ponts. Alger va devenir un morceau de gruyère. Mais plus il y a de trémies, plus il y a d´embouteillages. Dans la même proportion. Soit parce que les travaux gênent la circulation, soit parce que les deux phénomènes sont liés. On n´y peut rien. - Alors là, se hasarde à dire Djamel, il y a un dernier recours. - Qui? demande Abdou. - Qui? répète Djamel comme pour reprendre son souffle avant de se jeter à l´eau. Je propose Yazid Zerhouni. - Oh oui ! Zerhouni, c´est ça, crie Abdou. On avait oublié Zerhouni. C´est vrai, qu´est-ce qu´il est devenu? Quand on a une casquette de ministre d´Etat, c´est qu´on est responsable de l´état des routes et de la circulation, et surtout de la santé du dos des travailleurs de ce pays. Tu m´as sauvé la mise. Tu as le numéro de portable de Zerhouni? - Moi, non, dit Djamel, mais le cousin de la tante de la voisine de palier du neveu de la belle-soeur du coiffeur du boulanger du quartier, si. - Bingo, dit Abdou. Je n´ai plus mal au dos.