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France-Algérie

Le grand pourquoi du trouble mémoriel

Comment surmonter le malaise qui dérègle sans cesse les relations algéro-françaises malgré la volonté affichée à maintes reprises d'y mettre fin?

Contrairement à ce que l'on pourrait croire, ce malaise n'est pas imputable à l'entrée en lice d'autres partenaires, ou bien à un ébranlement des bases concrètes desdites relations. Car les gisements de coopération sont considérables et les possibilités de faire plus et mieux sont inépuisables. De plus, les liens humains sont très forts, et le partage d'une langue vivante est un atout remarquable. Des deux côtés, des marchés sont en attente tandis que des jeunesses ardentes, des associations actives, des universités éveillées, des entreprises hardies, des amitiés vivaces et des intentions fécondes témoignent de la vraisemblance de prendre un nouveau départ.

Dévoiler le grand pourquoi
Cependant, un obstacle de taille se dresse sur la route, c'est celui de la cécité mentale avérée des franges passéistes de la société française. Elles ne sont pas parvenues à se débarrasser des conceptions de l'aventure coloniale d'où ont surgi une idéologie ad hoc et un courant extrême dont les partisans n'ont jamais cessé d'élargir le fossé creusé en 1830. C'est dans ce contexte qu'un affrontement des idées et des intérêts a ponctué plus ou moins violemment les rapports durant l'époque coloniale. Après 1962, cet affrontement a pris la forme d'un tiraillement de volontés et de mémoires contradictoires dont pâtit fortement, aujourd'hui, la relation bilatérale. Une amélioration pérenne implique de se dégager définitivement de la mentalité d'une époque révolue. Or, comment y parvenir sans se baser sur l'unique critère de la vérité historique pour dévoiler à la jeunesse ce qui n'a pas été suffisamment dit, c'est-à-dire le grand pourquoi du trouble mémoriel qui pèse lourdement sur les liens entre la France et l'Algérie? À cet égard, si du côté algérien et depuis très longtemps, les esprits ont pu être suffisamment édifiés au contact «physique» des faits douloureux de l'histoire, et si la politique et l'école ont fait cause commune sur l'épisode colonial, il ne semble pas qu'il en ait été de même du côté français.
De ce côté-ci en effet, des calculs étroits ont soustrait à la vue de l'opinion publique les causes réelles de la rupture révolutionnaire de 1954. Même l'école a été empêchée de s'autonomiser sur le dossier algérien et d'aider les jeunes Français à se forger une idée conforme à la vérité. D'où les crispations incessantes au sein de la société française qui marche sur les pas de l'état mental de ses membres les plus conservateurs, contrariant ainsi l'action du courant favorable à une normalisation mutuellement bénéfique des relations avec l'Algérie.

Une pensée figée sur une autre époque
C'est là en tout cas un constat impartial des faits qui indique sans ambages que «la guerre des mémoires et des archives» qui bat aujourd'hui son plein, se nourrit d'une vieille pensée produite depuis plus d'un siècle par les éléments d'une élite réactionnaire formée d'aristocrates, de notables, de députés, de gros colons et autres possédants, de négociants, de missionnaires, de militaires, d'intellectuels... Or, cette pensée est restée constamment figée. Sous tous les régimes, de 1830 à 1962, ladite élite a regardé les Algériens avec un dédain dont la propagande s'est appliquée à imprégner l'ensemble de la société.
À vrai dire, la permanence d'un tel dédain prend sa source dans une logique patriotique dont l'entreprise colonisatrice fut un élément essentiel. Après l'Algérie, celle-ci s'est d'ailleurs étendue à la Chine, la Cochinchine, le Cambodge, les pays de l'Afrique occidentale, la Tunisie, Madagascar...De fait, avec la IIIe République (1870-1940), la cause coloniale est adulée sous l'impulsion de Jules Ferry (1832-1893) et du député d'Oran Eugène Étienne (1844-1921). Devenu sous-secrétaire d'État aux colonies (1887-1891), ce dernier fonda un groupe colonial à l'Assemblée nationale qui comptera 200 membres en 1902. Une École coloniale est ensuite créée en 1885, tandis que l'Union coloniale française sera fondée en 1893, suivie en 1894 par une Ligue coloniale de la jeunesse chargée de la propagande dans les lycées, ainsi que par un ministère des colonies qui remplace le sous-secrétariat d'État (1894). En bref, après 1870, l'idéologie coloniale s'installera partout: au Parlement, dans l'administration, dans l'enseignement, dans l'armée et même au sein de l'église où la pensée missionnaire bat son plein avec le cardinal Lavigerie (1825-1892). Le parti colonial eut certes ses adversaires, mais faute de moyens, il n'a pas eu d'impact. C'est que, à la suite de la défaite essuyée à Sedan par leur pays face à la Prusse (1870), et qui se solda par la capture de Napoléon III, les classes dirigeantes françaises ont cherché à laver avec le sang et la soumission des «indigènes» l'humiliation subie. Voilà comment dans la mentalité ambiante, «le colonialisme est (devenu) une forme de nationalisme (...); il a relevé la gloire de la France (et) lui permet de remplir la mission civilisatrice qui est la sienne (...) Dès lors s'imprime dans les esprits l'idée d'une supériorité française qui justifie sa domination...». C'est ainsi qu'elle est d'ailleurs présentée «dans l'imagerie des romans coloniaux, populaires ou enfantins...» (F. Caron, 1985). Une telle manière de voir eut son apogée en 1930 en Algérie avec la célébration en grande pompe du centenaire de la prise d'Alger. Cette célébration consacre un état d'esprit qui est en décalage intégral avec les bouleversements considérables induits par la Première Guerre mondiale et dont l'une des principales conséquences a été l'émergence du mouvement de décolonisation.

Aveuglement et entraves
Aveuglées donc par leur idéologie colonialiste et leurs intérêts étroits, les classes dirigeantes n'ont pas ressenti la puissance du courant de l'histoire du monde qui emportait les peuples colonisés vers un autre destin. Aussi se sont-elles acharnées à poser des entraves à toute réforme, comme celle initiée en 1936 par L. Blum et M. Violette, ou encore celle de la dernière chance intervenue à la suite des massacres perpétrés le 8 mai 1945 à Sétif, Kherrata et Guelma. Celle-ci est une réforme législative visant à accorder un nouveau statut à l'Algérie dans le cadre de la Constitution du 27 octobre 1946 instaurant la IVe République (1946-1958). Il s'agit d'un statut défini par la loi du 20 septembre 1947 qui stipule «une déconcentration des pouvoirs de la France coloniale à l'Algérie (à travers) une Assemblée algérienne de 120 membres élus à parité par 2 collèges électoraux» distincts (à raison de 60 délégués pour chacun):
1-celui de 464000 Français d'Algérie augmentés de 58000 musulmans «privilégiés»;
2-celui de 1400000 musulmans (cf. C. Martin, 1963). D'autres innovations y figurent également telles:
1-l'abolition du code de l'indigénat et du régime des décrets;
2-la reconnaissance des libertés démocratiques et du statut personnel, ainsi que du droit de vote des femmes et du caractère officiel de la langue arabe;
3-la suppression du régime spécial des territoires du sud et des communes mixtes;
4-l'assimilation juridique des publications en arabe à celles publiées en français. Dans un message délivré devant l'Assemblée algérienne le 21 mai 1948, le nouveau Gouverneur général de l'Algérie, M. E. Naegelen, déclare en substance: «Une ère est close, une autre s'ouvre (...) La France veut qu'il n'y ait plus désormais en Algérie que des citoyens confondus dans l'égalité des devoirs et des droits (...) Aucun des droits de l'homme ne sera plus dénié à aucun Algérien (...) Je crois que la France et l'Algérie ne peuvent être séparées.» Mais la pratique montrera que cette profession de foi est tout à fait chimérique, étant donné la non- application des dispositions novatrices du statut de 1947, notamment celles concernant les élections où le trucage était systématique. Toutefois, ce statut qualifié par les nationalistes algériens de «supercherie monumentale» restera en vigueur jusqu'à l'instauration des pouvoirs spéciaux (16 mars1956) qui feront de l'Algérie la chose exclusive des militaires français jusqu'à l'indépendance (https://fr.wikipédia.org).
C'est dire finalement que la trame des tiraillements actuels, comme du différend d'hier entre les deux pays relève d'un état d'esprit forgé de longue date par une minorité coincée entre ses illusions, ses calculs et ses intérêts étroits. Toujours est-il qu'après 117 années de présence, à l'heure où le sang et les larmes du 8 mai 1945 n'avaient pas encore séché, les classes dirigeantes de l'État colonial ont consenti à donner à ces derniers «leur place dans notre commune patrie» où «ils n'ont pas à craindre d'être trompés». Elles ont même daigné les «appeler à exprimer leur volonté et à participer à la gestion de leurs intérêts essentiels» (dixit Naegelen). Ces concessions resteront cependant lettre morte en raison du vieux système de pensée qui survit encore aujourd'hui chez les historiens réactionnaires et au sein de l'extrême droite qui ignore les leçons du passé et qui ne voit pas plus loin que ses préjugés et ses calculs électoraux.

Membre du Conseil de la nation

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