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LA PERFORMANCE ET L'OBLIGATION DE RÉSULTATS

Le flou artistique

Dans certains pays, les notions d''obligation de résultats - et la performance qui va avec- sont deux exigences avancées par les autorités scolaires. Croyant stimuler et motiver les acteurs du terrain, les responsables les emploient dans toutes leurs sorties médiatiques. Une préoccupation louable qui reste toutefois tributaire de la manière dont elle est perçue par la base, à savoir les administratifs, les enseignants, les parents et les élèves. Au tout début de la réforme de l'école, en 2003, le discours vantant les mérites de ces notions était en vogue. Et pour quels résultats?

Afin d'apprécier l'impact de la notion de performance liée à l'obligation de résultats, rien ne vaut une observation attentive du vécu scolaire de nos élèves. En classe d'abord: c'est à ce niveau que se matérialisent les mesures prises en vue de l'amélioration de la qualité de l'enseignement et se concrétisent leurs premiers effets. Ceci nous amène à saisir toute l'importance du rôle joué par les acteurs du terrain. La classe (et l'établissement scolaire) reste l'espace-clé où se lit et se joue l'essentiel du processus de mise en oeuvre de la réforme. Dans cet ordre d'idées, il y a lieu de rappeler une vérité élémentaire. Il s'agit de la conclusion unanime à laquelle ont abouti toutes les évaluations menées sur les réformes scolaires depuis des décennies par les chercheurs indépendants et les organismes internationaux: «Une réforme de l'école est vouée à l'échec si elle n'est pas adoptée et assimilée par l'acteur principal de la réforme: l'enseignant.» D'où l'inévitable question: comment la préoccupation-obsession du résultat est-elle partagée par les acteurs du terrain? On se souvient de ce témoignage de parents, répercuté par la presse qui vient à point nommé nous éclairer sur un certain état d'esprit qui prévaut encore dans les salles de classe de nos établissements scolaires. «Celui qui obtiendra une note inférieure à la moyenne sera puni»: ce sont là les propos d'un enseignant obnubilé par «cette chose magique (la note)» qu'il conçoit comme performance à exiger de ses élèves.
L'indélicat ne s'est pas contenté de cette menace verbale. Il a joint à ces paroles lugubres, l'acte condamnable. Dès les premières évaluations - elles défilent à un rythme soutenu depuis septembre 2005, une dérive heureusement atténuée par le nouveau système d'évaluation mis en place depuis l'année scolaire 2015/2016 - les gifles et les coups de règle sur les doigts ont fusé. Ce calvaire au quotidien enduré par leurs enfants a poussé les parents à réagir. Leur colère n'avait eu d'égale que leur impuissance à valider leurs doléances auprès des destinataires, l'enseignant et le directeur. Comparées à cette forme barbare de «motivation» utilisée par cet enseignant, le bonnet d'âne et les milliers de lignes à recopier - ces punitions pratiquées à l'époque ancienne - semblent plus soft. Ce type de comportement, condamnable à plus d'un titre, est à l'origine d'une pression intolérable exercée sur nos petits bambins. Comment l'expliquer? A travers les agissements de cet enseignant, nous assistons à un décalage entre le discours de la réforme, tel que communiqué par la tutelle et l'exécution qui en découle au niveau de la base. Cet enseignant a-t-il été sensibilisé - voire formé - aux exigences méthodologiques des dossiers de la réforme? Pas sûr. Il a pris le chemin le plus court pour appliquer le principe de la performance édicté par ses supérieurs. A ses yeux, la menace qui terrorise demeure la parade idéale pour faire «suer le burnous» de ses élèves. Trouvaille démoniaque que l'on croyait disparue des salles de classe grâce aux progrès de la psychopédagogie. Des témoignages affluent qui nous renseignent sur la sophistication des outils de torture que «savourent» nos petits bambins: le tuyau en caoutchouc a supplanté la règle en bois ou en fer. En effrayant par la menace, cet enseignant indélicat croit avoir dérogé à cette tare dénoncée dès la réintroduction de l'examen de 5°A.P en 2006, à savoir les notes de complaisance. Des notes gonflées à dessein pour étoffer les palmarès des établissements en vue de l'admission au cycle supérieur.
Qui pourra se plaindre de cette «pédagogie du tuyau» si ce n'est les élèves punis et leurs parents? Dans la chaîne ascendante de la hiérarchie, ses supérieurs n'ont pour unique compréhension de la notion de performance que les notes chiffrées des trop nombreux devoirs, compositions et examens. Qu'importe pour eux la manière dont ces notes ont été obtenues: le copiage, la complaisance via les cours payants, gonflage ou la pression-harcèlement. Noyés qu'ils sont dans d'interminables taches bureaucratiques - quand ils ne ferment pas les yeux, ces supérieurs ignorent souvent jusqu'à l'existence de la «pédagogie du tuyau» au sein même de leurs établissements. Faudrait-il placer un réseau gigantesque de caméras de surveillance entre les salles de classes et leurs bureaux?
A l'évidence, ces dérives endurées par nos élèves, telles que les menaces, les harcèlements ou pire, les coups, sont générées - en plus du mauvais choix du profil d'enseignant recruté - par une mauvaise compréhension de ces deux concepts voisins que sont l'obligation de résultats et la performance. Qui incriminer? L'incompétence des exécutants? La défaillance dans la sensibilisation ou l'information? La réponse se situerait entre les deux, mais pas seulement... Et si ces deux concepts - l'obligation de résultats et la performance - n'étaient pas appropriés au monde des enfants et des adolescents? Leur apparition est récente dans le paysage scolaire mondial. Ils ont été empruntés au monde économique, celui des adultes. Ils n'appartiennent pas au bréviaire de la pédagogie et de la psychologie scolaires. Dans ce secteur sensible et fragile, on ne peut parler que de qualité dans l'acte d'enseigner, d'éduquer et de gérer la classe. Le reste est source de malentendus et d'incompréhensions préjudiciables à l'épanouissement moral, mental et intellectuel des élèves. Ces innovations qui nous viennent de certains pays développés doivent passer au scanner de la critique objective et à l'aune des données de la psychologie et des différentes sciences de l'éducation. Elles ne doivent pas être calquées telles quelles dans un pays dont le système scolaire se remet péniblement d'un long coma de plusieurs décennies.
La refonte pédagogique recommandée - et initiée depuis - par la Conférence nationale d'évaluation de la réforme de Juillet 2015 envisage la fin de ce calvaire qu'est la «pédagogie du tuyau» liée, elle aussi, à la «pédagogie de la salive» ou bachotage (du professeur)-parcoeurisme (de l'élève). Mais entre une recommandation suivie de mesures idoines, il y a le fossé à combler, celui de la formation, sensibilisation. L'espoir est permis de voir nos enfants goûter à un mieux-être scolaire.
En attendant de vivre l'école du bonheur. Pourquoi pas? C'est possible!

TRIBUNE DES PARENTS
Le rêve d'une maman
Nabila.S (Annaba):
Je voulais juste vous remercier pour ce que vous écrivez sur les enfants et leur détresse, concernant leurs journées marathoniennes. Personnellement je fuis les écoles où on parle «d'élitisme» et mes enfants s'en sortent très bien. Je ne suis pas très exigeante avec eux je ne demande que les fondamentaux: lecture, écriture et maths. Quand on les maîtrise le reste vient. Il n'y a pas mort d'homme quand l'élève de 8 ou 9 ans ne connaît pas ce que c'est que le livret de famille en éducation civique, telle ou telle sourate ou le corps humain. Je ne donne pas trop d'importance aux notes. Mon rêve serait qu'un jour, un de mes enfants puisse aimer une matière scolaire par soif de la connaissance et non pas pour la fameuse note.
Mon fils aîné décroche des 19 de moyenne en maths et son prof de maths me dit: «Il peut faire mieux madame.» En physique, il a des 18 de moyenne et sa prof me dit: «Madame votre fils est trop long dans ses compositions.» Vraiment ces deux profs voient la bouteille à moitié vide et non pas à moitié pleine. Je rêve aussi d'un grand allègement du programme et de l'emploi du temps hebdomadaire d'au moins une demi- journée. Vous avez parlé des élèves sud-coréens qui se suicident, nos enfants ne sont pas loin. Chez moi, nous apprenons beaucoup de choses grâce à Internet et à la grande bibliothèque qui existe à la maison.
Réponse: Madame, que votre rêve puisse devenir réalité un jour dans notre pays. L'esprit dans lequel doit se concevoir l'école est celui qui part du principe que la personnalité de l'enfant doit être prise en charge dans sa globalité, tant sur le plan intellectuel que moral, physique et artistique. Des efforts sont entrepris dans ce sens. En collaboration avec d'autres ministères, le ministère de l'Education nationale a décidé de mettre l'accent sur l'épanouissement de nos enfants par le biais des activités culturelles et sportives. Les pays qui ont réussi dans la gestion de leur système scolaire ont compris que l'éducation intellectuelle ne saurait, à elle seule, répondre aux besoins vitaux de l'enfant. Ces pays ont banni le bachotage, le parcoeurisme, et les examens de restitution de connaissances mémorisées.

Drifa M. (Alger): Avant que nos écoles privées ne soient agréées par l'Etat, nous avions de meilleurs résultats parce que nous avions la liberté de choisir nos méthodes, nos programmes, nos activités et notre façon de gérer notre administration et nos plannings. Depuis, beaucoup de choses ont changé parce que nous sommes soumis à des contraintes qui ne sont pas forcément avantageuses. Il nous faut plus de liberté pour changer l'enseignement dans notre pays.
Réponse: Oui, tout à fait d'accord. Seulement il faut que l'Etat prenne ses précautions pour garantir un minimum de sérieux pédagogique. Vous savez bien ce qu'attire l'école privée comme investisseurs. Ce qui serait souhaitable c'est que les écoles privées présentent à validation des projets pédagogiques bien ficelés avec les moyens nécessaires pour leur mise en oeuvre (encadrement - équipement - contenus..).
Votre page éducation prend ses quartiers d'été à partir de la semaine prochaine. Merci pour votre compagnie tout au long de cette belle aventure. Bonnes vacances à tous les amis lecteurs et lectrices.

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