Nadjib Stambouli, écrivain, à l’Expression
«Tahar Djaout était attachant et humble»
L’écrivain Nadjib Stambouli, auteur de nombreux romans et d’autres ouvrages, a été un collègue et un ami du regretté Tahar Djaout pendant plus de dix années jusqu’à son assassinat. Il nous livre un témoignage sincère et authentique sur l’homme et l’écrivain exceptionnel, assassiné un maudit 26 mai 1993.

L'Expression: Quand et comment avez-vous connu Tahar Djaout?
Nadjib Stambouli: Je l'ai connu au début des années 80, à mon arrivée à la rubrique culturelle d'Algérie Actualité. Il m'avait invité à prendre un café pour faire plus ample connaissance et dès l'abord, j'ai deviné en lui ce que le travail dans les mêmes équipes, d'Actualité d'abord, puis de Ruptures, n'ont fait que confirmer, un homme très attachant et humble, doublé d'une immense culture.
Comment était Tahar Djaout le journaliste, dans les rédactions?
Il était la correction et la gentillesse incarnées, avec tout le monde. Affable et très attentionné envers les débutants, il était rigoureux pour la confection de ses propres articles, en revenant sans cesse sur l'ouvrage. Je me souviens qu'il écrivait sur un agenda, effaçant des lignes ou des mots pour les rectifier, et ne remettait jamais la première copie d'un article. Il se documentait beaucoup avant un entretien ou une couverture et symbolisait ce qu'on appelle «un journaliste qui fait ses devoirs».
Pouvez-vous nous parler de Tahar, la personne de tous les jours?
D'un calme olympien, il était très convaincant sans chercher à imposer ses idées, encore moins en haussant le ton. Je ne l'ai jamais vu, en plus d'une décennie de compagnonnage quotidien, en colère, même si les occasions ne manquaient pas. Il se dégageait de lui une aura d'humanité et de culture générale qui inspirait le respect. Pour l'anecdote sur le personnage, Tahar avait une hygiène de vie excellente et n'avait aucun sens du repère. Il était très attaché à ses filles et alentour, il n'avait que de bonnes relations, même si les amis proches étaient très rares. Il me parlait souvent d'Oulkhou, son village et m'invitait à le visiter en sa compagnie, mais le drame a voulu que je n'ai connu Azzefoun que derrière son cercueil.
Comment arrivait-il à concilier entre le journalisme et l'écriture romanesque?
Il était très sérieux dans son travail, d'une assiduité irréprochable, mais se permettait une journée par semaine, le lundi si mes souvenirs sont bons, pour se consacrer entièrement à son activité littéraire, hormis évidemment les plages horaires du soir pour l'écriture romanesque. Sur le plan du style, hormis dans l'oeuvre poétique où il injectait des envolées lyriques que le genre permet, il mettait la même exigence à la construction littéraire que celle journalistique, en fignolant chaque phrase, tout en respectant le devoir d'informer sous la casquette de l'homme de presse.
Quels sont les souvenirs les plus marquants qui reviennent souvent à votre esprit?
Chaque rencontre, donc presque tous les jours, est un excellent souvenir, avec mention particulière pour deux reportages assurés à deux, l'un à Médéa, l'autre à Mosta. Il y a aussi les moments, imprégnés de chaleur humaine et de passion partagée, de «Ruptures», qui n'ont malheureusement duré que six mois. Il y a aussi l'autre souvenir, l'un des plus tragiques de ma vie, celui de son lâche assassinat par les terroristes intégristes, lorsque Djaâd et Metref m'ont annoncé la nouvelle, le matin à mon arrivée à «Ruptures»...