{{ temperature }}° C / {{ description }}

Cité introuvable.

Entretien avec le docteur Mouloud Ounnoughene

«Les cultures entretiennent un dialogue musical»

Après son escale littéraire chaleureuse au club du livre de Miliana où le docteur Mouloud Ounnoughène a présenté sa conférence sur le dialogue des cultures musicales qui a été illustrée par des extraits musicaux et par une iconographie, l'auteur était présent vendredi 27 mai dernier, au second Salon du livre «Mouloud Mammeri» d'At Yenni pour une rencontre dédicace autour de son ouvrage «Dialogue des cultures musicales, mythe ou réalité»,le docteur Ounnoughène a accepté de répondre dans cet entretien à nos questions concernant son livre paru il y a près d'un an et demi.

L'Expression: Dialogue des cultures musicales, mythe ou réalité? Vous posez une question existentielle pourrait-on dire. Comment en êtes-vous arrivé à poser cette interrogation à laquelle rares sont ceux qui ont tenté de répondre?
Docteur Mouloud Ounnoughène: Etant musicien et musicophile, (pour reprendre l'expression du neurologue américain Olivier Sacks), l'écoute de toutes les musiques est un besoin naturel tout autant que l'alimentaire. J'ai donc engrangé depuis des années des sonorités, des mélodies des ambiances qui, avec le temps, du moins pour certaines avaient un lien entre elles, même si leur composition s'est faite plus loin de notre espace nrd-africain. Imaginez-vous en train d'écouter une mélodie d'un compositeur russe et que vous êtes pris de frissons, Vous me direz que c'est probablement l'esthétique mélodique ou tonale. En poussant plus loin, en faisant une écoute que je nomme pluristratifiée, vous pourriez distinguer des suites tonales, mélodiques ou simplement un rythme binaire avec lesquels vous êtes familiarisés et que votre cerveau accepte et vous procure donc cette émotion. On revient par exemple à une oeuvre du génial Korsakov, en réécoutant sous des angles différents son poème-symphonique «Antar», vous percevrez au second mouvement, une mélodie brillamment réharmonisée qui s'acclimate avec notre environnement audio-musical, en creusant le sujet, vous tombez effectivement sur la chanson algérienne que Francisco Salvador Daniel (1831-1871) a recueillie en Algérie et mise en partitions dans son album de musiques mauresques, kabyles et arabes et qui a été mis à disposition du chef d'orchestre russe. C'est à partir de l'écoute studieuse et «naïve» de certaines mélodies orchestrales, qui pourrait paraître d'ailleurs alambiquée du premier abord pour un auditeur non averti, que cette démarche aura permis de répondre à quelques interrogations concernant le syncrétisme des cultures musicales. C'est donc un travail de déconstruction et d'analyses musicales qui permettra de voir dans quelle mesure le syncrétisme des cultures musicales s'est opéré et quelle est la part d'influence, mélodico-rythmique de chaque partie de l'oeuvre.

Vous écrivez que les oeuvres musicales orientalistes sont édulcorées et déconnectées de la réalité. Comment, selon vous, les déconstruire alors qu'elles fondent l'imaginaire de l'Occident sur tout ce qui est oriental?
Je vous rappelle que l'orientalisme est un courant artistique, en vogue, notamment à la fin du XVIIIe, début du XIXè siècle qui a marqué l'intérêt des européens pour les représentations de l'Afrique du Nord, des régions sous l'autorité ottomane et celles de l'Orient. Ces représentations ont nourri les artistes de cette époque, les clichés empruntés sont rarement neutres, ils sont souvent chargés d'une idéologie dominatrice. Pour Edward SAID, auteur d' «Orientalism», un livre fondateur, Ces artistes créent une construction déconnectée de l'histoire, ce qui engendre quelque chose de statique. Pour ce professeur américano- palestinien de littérature comparée à la Columbia(USA), la musique, la peinture comme la littérature ont un but de domination et présentent un discours clivant. Comment voulez-vous qu'une oeuvre dite orientaliste respire la vie orientale si son auteur n'a pas posé ses pieds dans ces contrées, c'est plus un exotisme musical de dépaysement. D'autre part, quand certains artistes vont vers cet «ailleurs» fantasmé, ils y vont pour la majorité d'entre eux, pour rechercher l'harmonie avec eux-mêmes qu'à la quête de l'Autre. D'autres par contre, à l'image de Félicien David, plus connu pour son ode -symphonie, «Le désert»,il a trimé dans les étendues désertiques égyptiennes. Il a vécu les flux et reflux de la vie dans ces vastes contrées, D'ailleurs,son opus « le désert» est considéré comme étant un parangon de l'orientalisme musical français qui a inspiré d'illustres chefs à l'exemple de Debussy, Bizet, Saint-Saëns...etc. Une musique ou une chanson ancestrale porte dans son déroulé toute une histoire et a traversé de nombreuses époques, j'aime bien à reprendre à ce propos la citation de Rouanet, empruntée de l'encyclopédie Lavignac (1922): «On ne doit pas séparer la musique de l'histoire générale. Un art n'est pas une création spontanée; il est plutôt comme une résultante où se composent, autour d'un noyau national, les apports des siècles, les influences, le voisinage et les dominations, un reflet de la vie sociale, économique et politique. L'art musical des Maghrébins n'échappera pas à cette règle».

Le thème berbère ou les mélodies folkloriques kabyles ont inspiré la musique classique occidentale. Pourquoi, selon vous, elles n'inspirent pas ou si peu les artistes contemporains kabyles?
Il est effectivement intéressant et judicieux d'apprendre que les mélodies kabyles et mauresques de l'album de Salvador Daniel ont donné lieu à de l'inspiration aux compositeurs occidentaux du XIXe siècle, On se situe dans la période romantique, il y a donc un problème d'époque. Le thème berbère a été insufflé par le Finlandais Armas Launis dans son opéra « Jehudith» qui narre l'histoire de l'Afrique du Nord à l'époque romaine. (In la pastorale berbère). Launis tente une reviviscence musicale aux temps anciens. «Les cinq incantations pour flûte solo» d'André Jolivet seraient inspirées de son voyage en Algérie et de son écoute de trémolos entonnés par des flûtes de berger. On note également quelques partitions harmonisées au piano qui portent des titres du genre, «La Kabyle, danse nouvelle» de Jules Barrier ou «la chanson kabyle» de Jean Ganaye (1903), mais ces dernières relèvent plus à mon sens d'un exotisme de dépaysement... Actuellement, les jeunes se tournent plus vers le côté Nord. Avec la mondialisation et la planétarisation devrais-je dire, on s'achemine vers un seul son, une seule harmonie. Si on ne décomplexe pas, certaines mentalités, qui, heureusement ne sont pas nombreuses, toutes nos musiques traditionnelles et folkloriques disparaîtraient.

Pour revenir aux conditions dans lesquelles vous avez effectué vos recherches, nous aimerions savoir comment vous avez pu retrouver la documentation qui alimente votre travail. Vous a-t-il été facile?
C'est un ouvrage qui a nécessité une prospection de longue haleine dont le parcours a été hérissé par la complexité du terrain musicologique et l'indisponibilité de certains oeuvres ou opéras qui n'existent que sous forme de longues partitions. Aussi, il n'a pas été évident de retrouver « matière» à exploiter, notamment, dans le volet concernant les musiques comparées. J'ai dû (ré)-écouter en double audition plus de 200 mélodies. Utiliser donc des partitions quand l'audio fait défaut, il n'a pas toujours été facile de trouver le CD qu'il faut au bon moment, cet aspect a retardé l'achèvement du livre qui m'a pris un peu plus de quatre ans. J'ai entrepris des voyages à l'étranger rien que pour chercher quelques mesures d'une mélodie au sein de bibliothèques ou de librairies des opéras européennes.

Vous parlez dans votre ouvrage de Francisco Salvador Daniel, qu'a-t-il concrètement apporté à la musique de notre pays?
Francisco Salvador Daniel (1831-1871) est un musicologue français, directeur du CÎnservatoire national de musique de Paris. Féru d'instruments à anches: clarinette, basson et hautbois. Quand il découvrira ultérieurement la ghaïta, son bonheur sera grandissant, en écoutant les musiciens des confréries maraboutiques d'Alger et de Blida. Ces mêmes musiciens auraient été étonnés, quand Francisco se mettait à jouer les qacidas au souffle de la ghaïta qu'il adoptera spontanément. C'est le célèbre compositeur Félicien David qui convainc le jeune Francisco d'aller en Algérie. Salvador s'y rendra dés 1853 et y séjournera pendant douze ans. À son arrivée dans notre pays. Il s'achemine d'emblée vers les cafés maures de la Casbah; il s'entretient avec les accoutumés des lieux avec un verre de «cherbet» au parfum de menthe; il s'acclimate rapidement à ce nouveau train de vie. Il entendra la kamencha, des mesures de l' insiraf en mode Raml, il fredonnera des derdj Zidane. Il notera les broderies de la kouitra et du djouak. Il étudiera les rythmes complexes de la derbouka, du deff et celui du tar, il découvrira aussi les znoudjs (genre de petites castagnettes métalliques)et s'intéressera aux noubas. Ethnomusicologue avant l'heure, Francisco recueille et transcrit pour la première fois des chansons interprétées à son époque en Kabylie à l'exemple de Zohra, Stamboul, Kalaâ Béni Hamad, etc... Les recherches de Francisco Salvador Daniel ont inspiré et influencé de célèbres compositeurs qui ont introduit des relents d'orientalisme dans certaines de leurs compostions, à l'image de Rimsky Korsakov, Camille Saint-Saëns, etc...Francisco Salvador Daniel a le mérite d'avoir recueilli et transcrit de première main des chansons algériennes entonnées durant les années 1800, notamment son album de chansons arabes, kabyles et mauresques. Son travail demeure une référence dans le domaine musicologique.

Bio-express du docteur Mouloud Ounnoughène
Mouloud Ounnoughène est neurochirurgien, musicien, ancien producteur et animateur d'émissions radiophoniques sur les musiques du monde. Il a sorti avec son groupe Massin's, un album de fusions musicales intitulé «Azzeta». Passionné par les effets de la musique sur le cerveau, il a publié le livre «Influences de la musique sur le comportement humain» dont la préface est signée par le professeur A. Louis Benabid de l'Académie des sciences de France. L'auteur a également animé de nombreuses conférences sur le métissage musical. Son livre «Mohamed Iguerbouchène, une oeuvre intemporelle» analyse et dissèque l'oeuvre de ce monument de la musique. Son dernier ouvrage s'intitule
« Dialogue des cultures musicales, mythe ou réalité».

De Quoi j'me Mêle

Placeholder

Découvrez toutes les anciennes éditions de votre journal préféré

Les + Populaires

(*) Période 7 derniers jours