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Mohand Arkat, écrivain, à L’Expression

«Le vécu kabyle impressionne les lecteurs»

Mohand Arkat est un écrivain qui a publié de nombreux romans en langue Amazighe, réédités plusieurs fois, dont «Abrid n tala» et «Tiwizi». Sa passion pour la littérature et le livre l’a poussé à lancer une maison d’édition à Tizi Ouzou après une longue carrière dans l’enseignement.

L'Expression: Votre parcours se scinde en trois étapes: un long parcours dans l'enseignement, puis un autre en tant qu'écrivain et enfin celui d'éditeur de livres. Pouvez-vous nous en parler?
Mohand Arkat: Je considère mon parcours dans l'enseignement comme une chance, celle de contribuer à la formation et à l'éducation de plusieurs générations. Je pense que ma mission en tant qu'enseignant a été accomplie. Sincèrement, je suis satisfait de mon passage dans le secteur de l'éducation ou j'ai donné le meilleur de moi-même. Ensuite, comme vous le savez, il y a eu le passage à l'écriture romanesque puis à l'édition.

Justement, comment êtes-vous passé de l'enseignement à l'écriture romanesque?
Etant enseignant déjà, je confectionnais des supports pédagogiques pour renforcer mon enseignement ce qui permettait à mes élèves et d'autres de s'approprier les contenus qui sont, en quelque sorte, l'ensemble de mes fiches de travail dans toutes les matières que j'enseigne pendant ces moments-là. Les annales scolaires étaient rares. Donc, par mes travaux je répondais en quelque sorte aux attentes des élèves et des enseignants qui conseillaient mes livres à leurs élèves. À la fin de ma carrière, comme je ne pouvais pas rester les bras croisés et étant contre l'idée d'être inactif, j'ai créé ma propre maison d'édition, «La pensée». Cette démarche me paraissait comme étant une suite ou la deuxième partie de la profession d'enseignant. À travers cette activité, je me permets de poursuivre mon travail pédagogique pour le bénéfice de toutes les couches sociales. J'ouvre une parenthèse pour préciser que j'ai poursuivi mes études en sciences de l'éducation à l'université de Lille 3-Charles de Gaulle en France, ce qui a consolidé mes bagages intellectuels pour ensuite en faire profiter d'autres.

Comment êtes-vous passé de la langue française à la langue Amazighe?
Etant un fervent de nos valeurs ancestrales et ayant participé à la première promotion des enseignants de tamazight en 1994 à l'université de Ben Aknoun, du temps où j'étais enseignant de français, je me suis perfectionné dans l'écriture de cette langue qui m'est très chère. L'idée de prouver mon amour pour tamazight a fait que je devais joindre le sentiment à l'action.

Puis, vous avez édité votre premier roman en langue amazighe. Pourquoi l'avez-vous intitulé «Abrid n tala»?
Dans ce roman, presque toutes nos expressions sont regroupées dans cette publication, elles vont du sentimental au social. Mais aussi c'est l'envie de faire tout en même temps. Le temps presse et comme notre culture a été occultée, par ma petite contribution, je voulais récupérer quelques débris de celle-ci en attendant de récupérer la totalité des éléments composant notre culture. Ceci bien sûr est un travail qui nécessite tous les efforts de tout un chacun pour que la dimension berbère retrouve sa place qui était la sienne. D'autres romans ont suivi comme «Tamaghra di taddart» ou encore «Tiwizi». J'en ai entamé d'autres, mais les contraintes sont venues réduire mes efforts.

Il y a des points communs dans tous vos romans, un retour aux sources, de la nostalgie, de la symbolique. Pouvez-vous nous en parler davantage?
«Abrid n Tala» est mon premier roman en kabyle. Chaque village possède sa propre fontaine et d'autres en ont plusieurs. Le chemin de la fontaine est, en quelque sorte, un lieu d'identification pour la femme qui se pare de ses plus habits. Et, pour le jeune qui trouve son plaisir dans cet endroit où chaque partie exploite à fond ses capacités et parvenir à se mettre en valeur. Sur un autre plan, les femmes trouvent en cet endroit un lieu où elles se confient à d'autres sur des sujets les concernant, d'autres viennent pour exposer leur beauté et leur charme dans l'attente d'un prétendant, pour d'autres, ces moments d'aller chercher de l'eau à la fontaine sont une sorte de libération. Dans certains cas, des filles qui n'ont pas d'autres occasions de sortir, après avoir rempli tous les ustensiles, versent carrément le contenu de leurs jerricans pour trouver le prétexte de retourner à la fontaine; ce qui prouve l'intérêt accordé à cet endroit. Pour les jeunes garçons, c'est le lieu où ils peuvent céder aux caprices de leur coeur d'autant que les lieux de fréquentation se faisaient rares.

Qu'en est-il de votre roman portant pour titre «Tiwizi»?
En Kabylie, l'entraide n'est pas uniquement pendant les fêtes ou tout autre occasion, mais aussi pendant les récoltes. Comme l'olivier est la principale récolte importante, ainsi que les figuiers, les gens viennent en aide sous forme de journées de volontariat. Certains propriétaires possédant un grand nombre d'oliviers et nécessitant l'aide des proches, ces derniers n'hésitent pas à répondre à leur appel pour participer à la cueillette des olives. À travers ces actions, on peut comprendre à quel point les Kabyles sont solidaires dans les moments difficiles. Ce qui justifie, la présence de jeunes sur les routes pour faire des quêtes au profit des malades qui nécessitent des soins à l'étranger. On peut s'assurer donc que ces pratiques d'entraide sont toujours d'actualité.

La majorité des observateurs déplore l'absence de lectorat pour les romans. Pourtant, vos livres ont fait l'objet de réédition après leur épuisement en librairie, n'est-ce pas?
On ne peut pas comparer le livre amazigh qui n'a que quelques années d'existence officielle à d'autres. Nous savons tous que, jusqu'à présent, l'enseignement de cette langue est facultatif, donc, le nombre de lecteurs est bien évidemment réduit. Mais le livre amazigh tient la cote malgré tout. Dans ces livres, on retrouve l'authenticité, on retrouve des moments qui n'existent pas dans d'autres civilisations: le vécu kabyle impressionne et procure du plaisir pour ceux qui le découvrent, ce qui fait aimer notre culture. De nos jours, il y a un intérêt pour notre amazighité, voilà les romans qui boostent les publications ou la littérature amazighe. Les lecteurs savent faire la part des choses. Dans le livre amazigh on trouve la véracité des faits. Celui qui cherche à s'imprégner de nos valeurs ne trouvera que faits réels dans nos écrits.

Est-ce le cas dans vos romans?
Dans mon roman «Abrid n tala», il n'existe aucune fiction. Les scènes, les moments, les actions ont un lieu direct avec la réalité; ce qui fait le charme du livre amazigh. Le roman que je viens de citer est très apprécié par les étudiants des universités de Kabylie et même en dehors; qui pour une thèse, qui pour une fiche de lecture, qui pour un sujet d'étude. C'est un roman qui reflète la réalité. Le lecteur apprécie ce genre d'ouvrage. «Abrid n tala» a été tiré à quatre reprises. Mes romans traitent des sujets ayant un rapport avec notre vécu de tous les jours, mais aussi des sujets puisés de nos traditions, et de notre culture. Chacun se retrouve dans mes écrits selon son expérience, et la manière par laquelle il a vécu les situations rapportées dans mes textes. Ceci tient à mon désir de raconter ce qui correspond à notre existence en Kabylie, voilà donc ce qui fait le succès de mes écrits. Il me semble que le lecteur du livre amazigh apprécie mieux ce qui le fait plonger dans son espace naturel.

Peut-on donc dire que vos romans sont autobiographiques en quelque sorte?
Dans mes romans, je parle de moi pour exprimer le vécu de tout un chacun.

Revenons à l'éditeur de livres que vous êtes également. Comment a germé l'idée de lancer votre projet de maison d'édition «La pensée» au moment même où des librairies et des éditeurs mettaient la clé sous le paillasson à cause de la baisse des ventes et d'autres problèmes que rencontre le monde du livre?
L'idée de créer une maison d'édition a effleuré mon esprit quand j'ai décidé de partir en retraite. Comme j'étais enseignant et que j'ai toujours donné pour mes élèves, je voulais prolonger ce désir de poursuivre ma mission, à savoir être utile pour les autres en répondant aux attentes des lecteurs tout en leur choisissant des titres qui leur seront utiles, qu'il s'agisse de la vie quotidienne ou pour approfondir leurs connaissances. Ceux qui ont mis la clé sous le paillasson ont peut-être mis les chevaux avant la charrue; cette activité est particulière par rapport aux autres domaines. L'édition est plus culturelle que commerciale.

Votre maison d'édition a publié des dizaines de livres, pouvez-vous nous faire un bilan de ces quelques années d'existence?
Depuis la création des éditions «La Pensée», j'ai réussi malgré les difficultés rencontrées, surtout en début de l'activité à publier plus d'une centaine d'oeuvres en français, tamazight et en arabe. C'est vrai que la vente du livre dépend du nombre de lecteurs, malheureusement réduit, mais les sortants de l'école ancienne (élémentaires) sont considérés comme ceux qui lisent le plus, même si le système actuel a aussi donné un certain nombre de lecteurs, mais réduit. Pour moi, je dirai c'est satisfaisant. Il faut signaler que ces trois dernières années, avec le premier confinement, tout s'est complètement arrêté; ce qui a failli presque nous faire baisser le rideau pendant cette période, on n'a pas édité pour des raisons que tout le monde sait.

Vous participez régulièrement à la majorité des Salons du livre, pouvez-vous nous parler de cette expérience?
Il faut signaler que les Salons du livre sont des occasions à saisir pour plusieurs raisons. C'est pendant ces moments qu'on fait de nouvelles rencontres avec le public amoureux du livre. Certains viennent spécialement pour rencontrer des éditeurs auxquelsils proposent un travail. Pour nous éditeurs, nous donnons la chance à nos auteurs de faire des ventes-dédicaces, des rencontres avec des lecteurs, auxquels ils donnent certains détails de leurs écrits. Comme la majeure partie des éditeurs font des ventes, en dépôt, ces occasions nous permettent de faire quelques entrées d'argent.

En dehors des Salons du livre, comment s'effectuent les contacts entre les écrivains et vous en tant qu'éditeurs?
Quand une maison d'édition fait du bon travail, ceci est reconnu par les auteurs qui souhaitent proposer leurs manuscrits pour être édités. Donc tous ces contacts avec les auteurs sont avant tout des moments de reconnaissance pour le travail que nous accomplissons. Nous sommes souvent contactés de partout pour bénéficier du fruit du travail accompli.

Nous avons remarqué que vous publiez aussi des livres d'auteurs résidant à l'étranger, pouvez-vous nous en parler?
En effet, nous sommes sollicités par des auteurs de la diaspora, mais aussi des étrangers comme l'auteur gabonais du titre «Massinissa, la légende berbère». Nous les remercions pour tout l'intérêt qu'ils nous accordent ainsi que pour leur confiance.

Où en êtes-vous avec votre carrière d'écrivain, est-ce que le métier d'éditeur vous empêche d'écrire?
L'auteur, pour qu'il soit productif, a besoin d'évoluer dans un milieu socioculturel favorable; l'inspiration dépend de notre épanouissement mais aussi de l'environnement où on évolue. Dans certains cas, le milieu joue un rôle positif en étant fertile pour l'auteur. Dans certains cas, le milieu peut être handicapant pour l'auteur, ce qui bloquera son inspiration et l'empêchera d'être productif. 

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