L’un réussit un naufrage
L’autre n’évite pas le sien…
Mahdi Fleifel parvient à décrire, sans pathos, ni discours lénifiant cette descente aux enfers…

«Le destin des Palestiniens est de ne pas finir là d'où ils viennent, mais dans un endroit inattendu et lointain», cet aphorisme de Edward Saïd, ouvrait le film Vers un pays inconnu du Palestinien (du Danemark) Mahdi Fleifel, qui aura été un des derniers évènements de la Quinzaine des Cinéastes. Un moment d'intense émotion qui aura maintenu sur la ligne de crète les spectateurs, inquiets du sort de ces naufragés de la vie, venus échouer sur les côtes grecques, alors qu'ils tentaient d'arriver en Allemagne. Deux cousins Chatila (Mahmoud Bakri) et Reda (Aram Sabbah) jouant avec brio une partition aux accents tragico-comiques. Qui n'hésiteront pas, «nécessité fait loi», à se transformer en véritables bourreaux de leurs frères de sol, en se transformant en passeurs, ce qu'ils n'ont jamais été, afin de leur soutirer le pécule qui leur permettrait enfin de cette terre hellénique, loin de la carte postale pour touristes et plus proche de celle qu'a toujours filmé Théo Angelopoulos, le Lakhdar Hamina du cinéma grec. Ciel bas et gris, comme le moral ambiant, les accompagnera jusqu'à l'issue que l'on devinera tragique pour l'un «Reda» et carcérale pour l'autre, «Chatila»... Au sommet de leur incertitude quant à l'issue de cette odyssée vers le Nord, vers l'Occident, jaillira par la bouche de Reda ses magnifiques vers du chantre national, Mahmoud Darwich:
«Tu n'as pas de frères, mon frère
Pas d'amis, mon ami
Pas de citadelles
Pas d'eau, pas de médicaments
Pas de sel, pas de sang, pas de voiles
Pas de front, pas d'arrière
Assièges ton assiégeant!
Nulle autre issue
Le masque est tombé du masque (...)»
Et l'on comprendra que ce Coryphée (normal nous sommes à Athènes, terre de la Tragédie) ne fait que nous annoncer ce que l'autre plume, contemporaine de Darwich, celle de Ghassan Kanafani qui avait écrit ce sublime «Des Hommes sous le soleil», devenu à l'écran Les Dupes (1972) sous la direction du maestro égyptien Tewfik Salah.
«(...) Le masque est tombé du masque
Tombé le masque!
Arabes soumis à leur Byzance
Arabes, et ont vendu leur âme
Arabes, et ont disparu!
Le masque est tombé (...)»
Mahdi Fleifel parvient à décrire sans pathos, ni discours lénifiant cette descente aux enfers dans ces quartiers délabrés de la capitale grecque, qui rappellent celle de Dsutin Hoffman et John Voight, de Macadam Cowboy (1969)de (John Schlesinger, fuyant le dénuement de leur bourgade du Texas natal, pour échouer dans les bas-fonds de New York, alors qu'ils espéraient atteindre la riche Floride et son soleil permanent...
Vers un pays inconnu, par la force de son propos aura donc réussi à entrer en résonnance avec l'insoutenable que vivent les Palestiniens de Ghaza depuis maintenant plus de sept mois.
Ce qui n'est pas le cas de Karim Aînouz, revenu d'un exil volontaire, qui aura duré le temps d'un mandat du dictateur Jair Bolsonaro (2019-2023). Pour son retour donc le cinéaste brésilo-algérien a voulu renouer avec une veine qui lui avait porté, en 2002, avec Madame Sata, qui relate la vie accidentée d'un jeune travesti devenu une figure incontournable de la culture afro-brésilienne.
Avec «Motel Destino», en compétition, il tente de marcher, avec peu de réussite, dès le départ, dans les pas du maître du roman noir, James M. Cain auteur du fameux Le facteur sonne toujours deux fois (1946) de Tay Garnett, sans Lana Turner, John Garfield et Cecil Kellaway.
Un trio gagnant dont Aïnouz, n'avait même pas une pâle copie sous la main. Résultat la direction d'acteurs, peu inspirée, a produit un jeu d'acteurs uniforme, insipide même, frisant la caricature. Et la charge érotique subtilement instillée dans le roman et le film américain, a donné dans ce film brésilien une version aussi grotesque, dénuée du moindre soupçon de désir, alors que c'était bien l'intention déclarée du réalisateur.
L'auteur du très beau documentaire, Le marin des montagnes, une enquête au pays natal de son père, l'Algérie, ne méritait pas cette déconvenue, volontaire malgré tout.
Le cinéaste aurait dû relire «Dona Flor et ses deux maris» de son compatriote Jorge Amado, ou bien revoir un film, Errendira (1983), d'un autre Brésilien, Ruy Guerra. Il y a des révisions qui peuvent être parfois salutaires, histoire d'éviter au public, de déchirantes révisions, cette fois...
À l'arrivée, disons que Mehdi Fleifel, avec Vers un pays inconnu», réussit à raconter cette poignante histoire du naufrage d'une odyssée de harraga palestiniens. Mais que Karim Aïnouz n'a pas su, littéralement, éviter le naufrage de son film Mondo Destino.