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Emma Picard de Mathieu Belezi

De la dépossession coloniale

En 1860, Emma Picard, une jeune veuve alsacienne, sans perspective, succombe aux chants des sirènes gouvernementales françaises qui peinent à peupler la terre colonisée algérienne. «Il y a une dizaine d’années, explique Mathieu Belezi, je me suis demandé pourquoi la littérature française avait tellement ignoré cette histoire. J’ai eu envie de mettre en pleine lumière ce qui avait été tenu si longtemps dans les obscurités de l’histoire de France.»
Emma Picard accepte donc un cadeau empoisonné : une ferme et 20 hectares de terre à cultiver à Mercier-Le-Duc près de Sidi-Bel-Abbès. Elle embarque donc à Marseille avec ses quatre garçons pour découvrir cette nouvelle terre inconnue et s’engage à corps perdu dans l’aventure.
Mais contrairement à Albert Vandel, son personnage récurrent, qui fut «l’homme le plus riche d’Algérie», Emma Picard est son exact contraire.
Quand elle arrive, Emma découvre une ferme délabrée, une terre aride, un puits à des kilomètres. Mais courageuse avec l’aide de ses fils elle pense vaincre la nature hostile. Aidée en cela par le bon Mekika, un journalier arabe, qui, contrairement à ce qui se fait chez les autres colons, dîne à sa table après une dure journée de labeur.
Et soutenue par Jules, son amant, «un homme révolté qui n’avait d’autres préoccupations que de renverser les lois de ce monde enfin d’en mettre d’autres à sa place». Emma pense y arriver. Elle y parvint presque, mais pauvre d’elle, comme les dix plaies d’Égypte, des catastrophes vont s’abattre sur son pauvre domaine : les chaleurs intenses de l’été qui brûlent les récoltes, le puits qui s’assèche, l’orage de grêle, l’assaut des sauterelles qui ont tout dévoré, la famine qui s’en suivit, le froid qui gèle les os, un tremblement de terre et enfin un drame insurmontable.
Emma ne verra pas ses rêves se réaliser : «Une imagination de pauvre ça construit des maisons très grandes, des champs très gras, des arbres très nombreux, une imagination de pauvre ça vous fait prendre des vessies pour des lanternes, comme on dit.».
Le récit se déploie, tour à tour, en deux voix : Emma quand elle s’adresse à son plus jeune fils gisant sur un lit, lui rappelant les bons et mauvais moments de leur vie et Emma quand elle remonte le fil de son histoire se parlant à elle-même, constatant que «cette terre d’Algérie qui n’a jamais voulu et ne voudra jamais de nous». Et s’exclamant «Seigneur Dieu, si ceux qui peinent étaient enfin récompensés, le monde aurait une autre allure».
Ainsi Belezi, tel un ouvrier qui sans cesse sur le métier remet son ouvrage, poursuit son histoire de la colonisation française de l’Algérie avec «Un faux pas dans la vie d’Emma Picard», en 2015 (éd. Flammarion), et auparavant, C’était notre terre» (Albin Michel, 2008), Les Vieux Fous (Flammarion, 2011), Attaquer la terre et le soleil (2022) puis Le Temps des crocodiles et Moi, le Glorieux en 2024 aux éditions Tripode, qui rééditent Emma Picard (2024).
Il est difficile de lâcher Emma tant elle est attachante avec son obstination mêlée d’espoir. Mathieu Belezi, dans un style vif et précis, avec une langue qui coule comme un torrent, a écrit un roman fort et saisissant, un récit époustouflant sur une période sombre de la France, celle de la sanglante histoire coloniale de l’Algérie.

Emma Picard (2024, éd Tripode)

De Quoi j'me Mêle

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