23EME SALON INTERNATIONAL DU LIVRE D'ALGER
Dans les travées du Salon
Le Salon international du livre d'Alger mérite assurément le détour. Les statistiques sont tellement évidentes que l'intérêt porté par les Algériens à cette manifestation trouve sa raison d'être dans l'opportunité qu'offrent aussi les rencontres avec les auteurs.
Ventes-dédicaces et rencontres avec les auteurs irriguent l'engouement engrangé et poussent, chaque année, les organisateurs à redoubler d'ingéniosité pour mettre en scène des espaces et des sessions dédiés. Le mot d'ordre de cette présente édition semble sceller la communauté de destin entre organisateurs, éditeurs, auteurs et lecteurs.
Rassembler, témoigner et incarner donnent même l'impression d'être les maîtres-mots d'une manifestation à l'ancrage sociologique certain. Dans cette démarche empreinte d'originalité, à en croire le ministre de la Culture et le commissaire de cette session, il est aisé de déceler une conception à tout le moins messianique. «Faire ensemble les gestes à accomplir pour que le livre trouve sa place dans la cité, rassembler dans un lieu pour former, avec ce public, une communauté», dira à ce propos Françoise Legendre.
Pour la sociologue Martine Burgos, les manifestations littéraires ont fréquemment pour objectif d'être une fête dans la ville, «l'écrivain se rendant dans différents lieux telle une figure christique portant la bonne parole» tandis qu'une «grand-messe» avec élus est organisée en présence des médias. Il ne peut en être autrement a fortiori lorsque les organisateurs du Sila et la dynamique équipe qui le porte favorisent un travail de préparation à la rencontre - avec des écrivains et autres acteurs du livre - qui est mené en amont: les participants ne sont pas consommateurs, mais acteurs. En d'autres termes, souligne, la même source la sociabilité et le débat d'idées sont consubstantiels de la littérature et les manifestations jouent un rôle important sur la façon dont le lecteur «socialisera cette lecture»: «Si le livre participe d'une quête personnelle permettant de «s'arracher aux places normalement assignées», la sociabilité comme partage valorise l'acte de lecture, notamment pour les jeunes». Sur ce plan, la définition qu'en donne Azzedine Mihoubi procède de la même vision.
Pour le ministre de la Culture, le livre assure sa présence bénéfique, portée par des auteurs et des éditeurs «qui s'efforcent d'enrichir sans cesse le champ intellectuel et spirituel et soutenue par des lecteurs et lectrices qui viennent y puiser des ressources précieuses pour leur métier et leur vie».
Bouffée d'oxygène
«Misère du monde!» s'était indigné, notre confrère et non moins auteur Chems Eddine Chitour, au moment où circulait une pétition pour boycotter le Sila 2017.
Une pétition qui intervenait comme une tentative de prise en otage «de l'imaginaire des Algériennes et des Algériens en apnée toute une année et qui attendent cette bouffée d'oxygène». Le plaidoyer qui s'ensuivit était particulièrement axé sur la nécessité de multiplier ce genre d'initiative salvatrice pour sauver ce qui peut être sauvé de la culture, de la rationalité de la beauté des ouvrages». En termes décodés, de par sa fonction sociale et culturelle, le devenir du Sila est d'une importance stratégique, un vecteur incontournable de la production intellectuelle et culturelle de notre pays. Surtout que la même source estime, à juste titre d'ailleurs: «Depuis l'ouverture débridée - pour cause, nous dit-on, de mondialisation - et par mimétisme paresseux, on permet l'importation de n'importe quoi. S'il est important qu'il faille protéger la nation contre toute perversion criante, il faut dans le même temps encourager la production intellectuelle qu'elle soit scientifique ou culturelle». Chems Eddine Chitour n'est pas loin de penser qu'au lieu d'apprendre au jeune Algérien, «notamment à travers la lecture, les émissions éducatives, à aimer ce qui est beau et à avoir lui-même sa grille de lecture pour reconnaître dans ce qu'il lit ou il voit à la télé et surtout sur Internet - véritable cheval de Troie de tout ce qu'on interdit par la porte de la douane et qui nous parvient par la fenêtre de l'internet -, on fait de l'Algérien un assisté, on décide pour lui du bien et du mal rejoignant en cela et dans un autre contexte, la doctrine du bien et du mal à l'échelle planétaire».
Le Sila est aussi un espace où la mémoire et la reconnaissance ont droit de cité.
Les hommages rendus cette année à Mahfoud Kaddache et à Abou Kacem Saâdallah ne sont pas des moindres. Ils interviennent comme une sorte de sentiment de gratitude envers des historiens qui auront légué une édifiante historiographie sur le passé de tout un peuple.
Car s'il est un travail scientifique qui aura comblé d'aise de nombreux militants de la cause nationale, c'est incontestablement le sien et l'hommage que vient de lui rendre à titre posthume l'opérateur mobile Nedjma est loin d'être usurpé. Cet historien du Mouvement national méritait, en effet, une somptueuse reconnaissance. Ne serait-ce que pour son courage qui lui permit certes timidement, à un moment où la société algérienne vivait une sorte de cacophonie politique, castratrice et inhibitrice, de restaurer dans ses droits le rôle moteur joué par la citadinité dans le long processus du raffermissement du sentiment national.
Un long martyrologue
Un sentiment qui se traduira inexorablement par l'émergence d'une fusion historique entre la petite bourgeoisie des médinas et les paysans dépossédés de leurs terres. Une fusion dont l'aboutissement logique et conquérant se traduira très vite par la Révolution nationale sous l'égide du FLN. Observateur averti, bien que donnant souvent l'impression d'être en dehors du temps, esprit critique s'il en est, même s'il laisse le souvenir de quelqu'un de particulièrement sensible aux arcanes du consensus, il aura été égal à lui-même.
Il faut reconnaître au professeur Mahfoud Kaddache une hauteur de vue particulièrement féconde dominée par son souci d'asseoir l'alternance politique que de multiples objurgations n'ont pu oblitérer. Pour l'auteur de La vie politique à Alger de 1919 à 1939, la personnalité charismatique de l'émir Khaled a grandement contribué à l'éveil national.
Baliseur du désert autant qu'insatiable pourfendeur des idées reçues, il a toujours soutenu, aux antipodes des raccourcis empruntés par les tenants du matérialisme historique, que la résistance à l'invasion et à l'occupation coloniales avait été menée par les gens du culte musulman. L'intérêt qu'il porta au petit-fils de l'Émir Abdelkader était loin d'être fortuit: «Khaled apparaissait en même temps un leader politique, sinon un chef religieux, du moins un défenseur de l'Islam. N'avait-il pas refusé de se naturaliser, refusant les avantages que pouvait lui procurer la citoyenneté française? C'est dans ce refus que se situe sur le plan politique l'origine du nationalisme algérien, l'opinion publique donnant à ce refus un caractère plus général, le considérant comme un refus de la domination étrangère.»
Bien qu'il fut tenu jusqu'à sa mort en marge des reconnaissances de circonstance, porteur qu'il était d'un projet de société où l'idéal démocratique était loin d'être un vain mot, il était de ceux qui considéraient, à juste titre d'ailleurs, que l'histoire de son peuple était loin d'être une suite d'échecs ininterrompue, un long martyrologue. Bien qu'éminemment scientifique, l'oeuvre historique de Mahfoud Kaddache est le fruit d'une expression directe, d'une parfaite clarté, s'appuyant souvent sur des convictions passionnées, donc jaillissantes et spontanées. Ce qui n'est pas sans s'apparenter avec certains aspects de la littérature soufie, si riche en intuitions, en prémonitions visionnaires.