L’Histoire revisitée
L´Université d´Alger s´est enfin dotée d´un nom! Et c´est normal que ce haut lieu du savoir ait hérité du nom de l´un des militants du mouvement national, feu le président Benyoucef Ben Khedda. Un juste retour des choses. Là n´est donc pas le problème, mais dans un point d´histoire induit par la cacophonie qui suivit le baptême de l´université d´Alger et montre, à tout le moins, l´ignorance de l´histoire du mouvement national. Ainsi, feu Ben Khedda fut donné comme premier président du Gouvernement provisoire algérien (Gpra). Ce qui, à l´évidence, est une contre-vérité...historique, cette première revenant à feu Ferhat Abbas, dont l´université de Sétif porte d´ailleurs le nom depuis plus de dix ans. On s´attendait donc à des rectificatifs rétablissant les faits. Or, à moins que nous ayons raté ce rectificatif, rien de tel ne s´est produit. Aussi, pour tous les lecteurs de la presse, l´information donnée sur la qualité de Ben Khedda est vraie, d´autant plus que l´ONM, gardienne de l´orthodoxie révolutionnaire, n´avait pas cru devoir rétablir les faits. D´aucuns pourraient estimer que cela relève d´un point de détail. Certes, mais un point qui a son importance, car une telle précision s´impose lorsqu´il est question d´Histoire, chacun des faits l´ayant marqué devant trouver la place qui lui revient. Cela, bien sûr, ne remet pas en cause les mérites du président Ben Khedda qui a été l´un des tout premiers militants de la cause nationale. Militantisme qui le mena du PPA (Parti du peuple algérien) au Mtld (Mouvement pour le Triomphe des libertés démocratiques) et de celui-ci au FLN, au CCE (Comité de Coordination et d´Exécution, issu du Congrès de la Soummam du 20 août 1956) et au poste de président du Gpra en août 1961. Toute chose égale par ailleurs, il fallait rendre à César ce qui lui appartient et la primauté de la présidence du Gpra à feu Ferhat Abbas. Abbas, une autre figure illustre du mouvement national dont le militantisme passa par les AML, (Amis du Manifeste des Libertés), l´Udma (Union démocratique du manifeste algérien) pour aboutir au FLN et à la Présidence du Gpra en septembre 1958. Mais ce qui reste important aux yeux de l´Histoire et des historiens est le fait que le nationaliste Ben Khedda et le démocrate Abbas ont fait jonction au FLN nonobstant ce qui pouvait les séparer au plan idéologique et politique, faisant ainsi passer l´Algérie avant leurs intérêts politiciens. Toutefois, malgré ces faits d´armes, ni l´un, ni l´autre n´ont eu l´heur de remplir les pages des manuels scolaires qui sont restés muets sur la carrière militante de ces deux hommes, laissant dans l´ignorance de ces pages glorieuses de la Révolution algérienne, les générations post-indépendance. De fait, l´écriture de l´histoire de la Révolution a été biaisée et ses «héros» triés sur le volet. En vérité, on chercherait en vain dans les livres d´histoire de nos manuels scolaires des traces du parcours militant et politique de celles et de ceux qui ont construit pierre par pierre les bases de l´Etat algérien. Aussi, à l´occasion de ce baptême, des lacunes en matière d´histoire de la Révolution sont apparues, cela à la veille de la célébration du 50e anniversaire du 1er Novembre 1954. Un confrère est ainsi allé jusqu´à écrire que Ben Khedda a été le premier chef d´Etat algérien. Or, à l´époque concernée, il n´y avait pas d´Etat algérien. En fait, depuis la proclamation du Gouvernement provisoire de la République algérienne (Gpra) le 19 septembre 1958, l´Algérie a connu plusieurs types de dirigeants. Les deux qui ont dirigé le gouvernement révolutionnaire, cinq légalement élus, de même que les parenthèses de Rocher Noir (Boumerdès) 1962/1963, du CNR, 1965/1976, et du HCE, 1992/1995. Avant l´indépendance, Ferhat Abbas dirigea le premier et le deuxième Gpra, Benyoucef Ben Khedda, qui a fait partie du premier Gpra, dirigea le troisième Gpra. Après le référendum du 1er juillet 1962, une autorité transitoire dirigea le pays avec à sa tête Abderrahmane Farès. Qui se souvient de celui-ci Le premier président élu de l´Algérie indépendante est en fait Ahmed Ben Bella qui gouverna de septembre 1963 au coup d´Etat du 19 juin 1965. Après une parenthèse de 11 ans, - durant laquelle le Conseil de la Révolution (CNR) du colonel Houari Boumediene dirigea le pays -, l´Algérie retrouve la légalité avec l´élection de Boumediene à la tête de l´Etat en octobre 1976. Le troisième président élu de lAlgérie est Chadli Bendjedid. C´était en février 1979, il est réélu en 1984 et en 1989. Il «démissionna» le 11 janvier 1992, ouvrant une grave crise politique. Nouvelle transition avec le HCE (Haut Comité de l´Etat) présidé par Mohamed Boudiaf (de 16 janvier au 29 juin 1992) Ali Kafi ( 1992/1994) et Liamine Zeroual de 1994 à 1995. Zeroual est élu président de l´Etat en octobre 1995 donnant au pays de renouer avec la légalité. Il démissionna le 11 septembre 1998 avant d´avoir achevé son mandat. Abdelaziz Bouteflika est élu le 15 avril 1999 et réélu le 8 avril 2004. Ce sont là, brièvement, les figures de proue qui dirigèrent l´Algérie. Mais, en 2004, il est encore tabou d´évoquer certains aspects du mouvement national et de la gouvernance algérienne, singulièrement la présidence dont les titulaires, s´ils sont tout puissants tant qu´ils sont aux affaires, passent, ou sont passés, à la trappe dès qu´ils quittent le pouvoir, comme en atteste la chape de plomb qui a entouré l´élimination de Ben Bella, Bendjedid ou encore un Mohamed Boudiaf, découvert par les jeunes en janvier 1992 au détour de la crise que vivait le pays. Même Boumediene n´a pas échappé, à une certaine période, à cette trappe de l´Histoire qui broient les hommes qui ont servi le pays. En fait, lorsque un pays n´assume pas ses hommes et les faits de sa Révolution, positifs, comme ceux négatifs, l´Histoire au lieu d´être le Panthéon de faits glorieux devient, souvent, leur tombeau. A un Messali réhabilité, à un Ben Khedda honoré, combien de figures marquantes de la Révolution restent encore à faire sortir à la lumière du jour?