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Le frein de la tortue

«Rien ne sert de courir, il faut partir à point» La Fontaine

Dommage! La tortue est un animal attachant: quand on observe une tortue de chez nous, on s'aperçoit que l'animal a dans le regard un détachement des choses du monde qui rendrait jaloux l'ascète le plus déterminé. Ensuite, hormis cette référence, c'est un animal qui manque cruellement au bestiaire de notre culture. Mis à part la célèbre fable de Jean de La Fontaine, inspirée de celle d'Esope, la tortue me rappelle une célèbre anecdote qui remonte à la glorieuse époque de l'optimisme béat qui caractérisait la politique algérienne quand celle-ci entretenait des relations étroites avec sa soeur aînée, l'Egypte et que le duo Boumediene-Ben Bella tentait d'appliquer au pays des Amazighs, les mêmes recettes qui ne donnaient rien chez les Fils du soleil (Mis-Râ). Ainsi, en 1963, dans la célèbre rubrique de Zanettacci, alias «El-Ghoul», une lettre d'un astucieux lecteur avait été publiée. Le pertinent lecteur du journal de Henri Alleg, demandait si l'Algérie allait expérimenter le socialisme tel qu'il était pratiqué dans les pays de l'Est de l'Europe ou bien, s'il allait être traité à la sauce égytienne, avec les ingrédients arabo-islamiques et les compromissions avec une petite bourgeoisie locale qui avait les dents longues.
Le lecteur perspicace concluait ainsi en déplorant le mélange des genres: le socialisme égyptien avançait à la vitesse d'une tortue munie d'un frein. Tout comme la vitesse à laquelle n'a pas été encore réalisée la fameuse autoroute Est-Ouest. On peut aussi évoquer cet animal pacifique par l'utilisation de son nom dans une formation tactique de l'infanterie romaine en ordre de bataille: des unités avançaient en formations très serrées entièrement couvertes par de gros boucliers qui protégeaient les corps des guerriers de première ligne et les rangées latérales, sans oublier le toit de boucliers déployés au-dessus des têtes. Cela mettait les combattants à l'abri des traits des archers. Seules les charges des éléphants de Hannibal arrivaient à défaire ce rouleau compresseur au mille pattes. Dans l'expression kabyle que l'on peut traduire par «elle a été tétée par une tortue», en parlant de la vache, bien sûr, on veut signifier par là qu'une source d'approvisionnement ou de profit est définitivement tarie et qu'il n'y a pas d'espoir à ce qu'il y ait une solution de remplacement. Ainsi, une fois que les dernières réserves de schistes auraient été exploitées par le procédé de fracturation hydraulique et que les ressources hydriques des territoires percés de mille puits auraient été irrémédiablement polluées, et que les plaines littorales seraient couvertes de béton comme la célèbre formation de la tortue, on pourra dire de notre pays: «Yettdhits yefker»!
Ce 23 mai est déclaré Journée mondiale de la tortue par les associations écologiques qui défendent la biodiversité et tentent de préserver par une ingénieuse communication et des opérations spectaculaires les espèces menacées. Certaines variétés de ces tortues sont d'ailleurs menacées de disparition en raison des changements climatiques qui, non seulement altèrent leurs niches écologiques mais encore ont un impact direct sur leur développement. Ainsi, les scientifiques qui ont étudié longtemps le comportement de cet animal classé dans l'ordre des chéloniens et dans la famille des testudinidés que la température des terreaux où elles enfouissent leurs oeufs peut déterminer le sexe des nouveau-nés. Ajoutez à cela que dans certains pays la chair de la tortue est un mets fin apprécié, qu'elle entre dans certaines préparations de la médecine traditionnelle et que la carapace de certaines espèces peut servir de guitare exotique. Avouez que la vie de la tortue n'est pas de tout repos: c'est pour cette raison qu'elle se hâte lentement....

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