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Le pouvoir des mots

En se promenant dans un marché, le grand poète Jacques Prévert avise un mendiant aveugle, assis avec un petit bol à ses pieds. Il porte à son cou une pancarte avec ces mots: « Je suis aveugle et je n'ai pas de sécurité sociale.» Prévert va vers lui et l'interroge: « Dites-moi mon bon monsieur, les gens sont-ils charitables?»Et l'autre de lui répondre en haussant les épaules: «Bof... Je gagne à peine de quoi ne pas mourir de faim.» Le poète lui demande alors s'il pouvait lui permettre de changer le texte sur la pancarte. L'autre d'un air bougon lui rétorque que s'il peut faire mieux, pourquoi pas. Prévert prend la pancarte et écrit: « Le printemps viendra bientôt et je ne le verrai pas» Sans un mot de plus, sans même lui lire ce qu'il avait écrit, le poète quitte le mendiant. Il revint quelques mois plus tard. Le mendiant est à la même place la mine épanouie et les traits reposés. Il avait même pris du poids. La pancarte portait toujours les mots qu'il avait tracés.Devant lui un grand bol était plein de sous à ras bord. Il se présente et lui demande si avec cette phrase les passants étaient plus sensibles qu'avec l'ancienne qui parlait de sécurité sociale. Alors le mendiant s'écrie: « Ah! Mon bienfaiteur, que je suis heureux de vous entendre. Oui, oui, ça marche du tonnerre. Les sous pleuvent. Mais comment vous avez su trouver ce qui émouvait les gens, mais qui êtes-vous donc? Un magicien sûrement!» Prévert sourit et répond: « Poète mon ami, poète». Et il s'en alla, sourire aux lèvres. Le mendiant ne s'était pas trompé: Prévert était un magicien, magicien du verbe et quel meilleur moyen de pénétrer le coeur sinon avec des mots. On gagne toujours les coeurs avec le coeur et non avec la tête et la froide raison des banquiers.
Les mots ne sont jamais neutres. Ils changent une vie. Aucun écrivain, aucun homme politique, aucun avocat, aucun professionnel de la parole ne peut réussir dans son métier s'il ne maîtrise pas le pouvoir des mots. Il ne s'agit pas ici d'avoir un vocabulaire ronflant ou étendu. Il s'agit de trouver les mots, toujours simples, qui touchent l'auditoire. Prenons JF Kennedy - on y revient toujours car c'est ce que l'Amérique nous a offert de mieux comme ami de notre pays- communicant né qui avait un seul problème, celui de parler trop vite comme s'il avait le diable à ses trousses. Et à parler trop vite on risque de se faire moins comprendre donc de moins séduire et qu'est-ce la politique sinon l'art de séduire le plus grand nombre. Il corrigea ce défaut en mettant un crayon entre ses dents et en épelant les mots mais aussi en appelant la plus belle voix articulée d'Hollywood: Cary Crant, l'acteur fétiche du grand réalisateur britannique Hitchcock. Au contact de l'acteur il apprit à poser sa voix. Mais pas seulement: quand il avait le blues il l'appelait aussi car sa voix chaude et grave le stimulait mieux que n'importe quel médicament. Féru d'histoire, le président Kennedy avait un mantra auquel il se référait constamment en période de doute. Il est de l'historien britannique Liddel Hart. Le voici: «Rester fort, si possible. De toute façon rester calme. Avoir une patience sans limites. Ne jamais acculer un adversaire et l'aider toujours à sauver la face. Se mettre à sa place, pour pouvoir voir les choses de la même façon que lui. Éviter le pharisaïsme comme la peste, rien ne rend plus aveugle.»
Les mots quand ils rencontrent ce qu'on pourrait appeler l'esprit du peuple prennent une nouvelle dimension pour s'imprimer durablement dans les mémoires et reviennent souvent en boucle comme un motif de fierté. Comme un lien d'identification et de reconnaissance. Ainsi en est-il de la phrase culte du président Boumediene sur la Palestine: «Nous sommes avec la Palestine qu'elle ait tort ou raison!» Sur le plan moral certains pourraient trouver cette sentence discutable - on ne peut pas être au côté de la Palestine si elle a tort- mais sur le plan de l'image elle est frappante par son inconditionnalité à un peuple et à sa cause.
Autre formule choc qui a rencontré l'ADN du peuple par ce qu'elle montre d'orgueil, de virilité et de «nif», celle du président Tebboune quand il lance: «On ne cherche personne, mais si quelqu'un nous cherche, il va nous trouver et il le paiera cher!». Cette réplique, quel Algérien n'y souscrirait pas tant elle illustre l'esprit guerrier du peuple, force tranquille qui ne provoque personne, mais gare à celui qui le provoque. Le pouvoir de cette riposte réside dans la convocation de l'esprit ancestral, celui de nos ancêtres - tel l'Émir Abdelkader, poète et guerrier- qui savaient dorloter les mots dans des poèmes ciselés comme un diamant en temps de paix et faire parler la poudre en temps de guerre. Le peuple algérien aime les leaders qui lui ressemblent, ceux qui clament haut ce qu'il ressent, ceux qui refusent, comme lui, qu'on leur marche sur les pieds et qui l'expriment dans la langue maternelle- pour être bien compris par tous.
La règle est claire et jamais démentie par l'histoire: quand un peuple choisit un homme c'est toujours pour voir son propre reflet dans le miroir de celui qu'il a élu.

De Quoi j'me Mêle

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