La figue de Barbarie : légendaire, mielleuse et épineuse!
Nous ne sommes pas des barbares, mais nous sommes très fiers de notre plante arborescente mythique: le figuier de Barbarie. Épineux et tenace, mais son fruit est succulent. Barbare, mais avec des épines douces et soyeuses! En fait, toutes les belles choses sont épineuses et difficiles.
Je déteste cette appellation sauvage, colonialiste et exotique collée à notre cactus mythique: le figuier de Barbarie.
Après l'olivier sacré, le figuier de Barbarie est l'arbre préféré des Amazighs, autrefois appelés les Berbères par les barbares envahisseurs. Celui qui n'a pas de figuier de Barbarie devant sa maison n'a pas de gardien le jour du jugement dernier, me disait ma mère.
On récolte la figue de Barbarie entre août et septembre, voire jusqu'au mois d'octobre. De bon matin, heureuse, drapée dans sa belle robe fleurie, je voyais ma mère, comme toutes les autres mères de Msirda, l'qqat à la main colorée de henné, d'un regard minutieux, choisissait sa figue de Barbarie, pièce par pièce. L'qqat est une sorte de pince faite de roseau dont l'extrémité est fendue en forme de croix, utilisée spécialement pour cueillir ce fruit savoureux.
Attentive, avant de commencer sa cueillette matinale, et afin d'éviter les fines épines, ma mère observait l'orientation du vent.
Une fois les fruits rassemblés par terre sur quelques feuilles de figuier, ma mère les frottait avec une brosse, plutôt caressait pour les débarrasser de leurs épines. Assis à même le sol, autour d'une meïda à trois pieds, nous nous régalions des figues de Barbarie que ma mère épluchait pour nous à l'aide d'un couteau ou même à main nue. Elle retirait d'abord les deux extrémités de la figue, puis une entaille longitudinale peu profonde et le fuit se retrouvait dans la bouche!
Les Berbères, descendants d'un arbre généalogique noble, celui de Massinissa, de Jugurtha, du roi savant Yuba 2 et de Dyhia...sont fiers de cinq choses: l'olivier, le cheval Barbe, la robe berbère, le burnous et le figuier de Barbarie.
L'homme amazigh ressemble au figuier de Barbarie: il est doux, mais tenace et épineux lorsque la situation l'exige!
L'écrivain algérien ou nord-africain, qui ne connaît pas le figuier barbare est un intellectuel aliéné. Tous les écrivains authentiques, qui ont vécu dans les collines, les hameaux, les mechtas, les dechras reculés, ont célébré, dans leurs textes romanesques ou poétiques, cette plante légendaire: le figuier de Barbarie. D'Apulée de Madaure, en passant par saint Augustin, Mouloud Mammeri, Mohamed Dib, Mouloud Feraoun, Tahar Ouettar, Mohamed Meflah, jusqu'à Tahar Djaout, Youcef Sebti, Amar Bellahcène et d'autres, ces créateurs ont rendu hommage à cet arbre témoin de leur naissance et déclencheur de leur écriture.
Cet arbre mythique et mystique change de nom d'une région à l'autre, mais ne trahit jamais sa saveur, son goût, magique, sa douceur et ses épines. Ainsi, il est appelé takarmoust, karmouss ençara, Taknarit, El Hendi...
Le figuier de Barbarie constitue une partie intégrante et primordiale de l'urbanisme rural amazigh. Nos modestes maisons, toutes sans exception aucune, étaient toujours entourées des clôtures faites de figuiers de Barbarie. Ces haies défensives servaient aussi comme des barrières coupe-feu.
Derrière les haies de figuiers de Barbarie se sont tissées des centaines d'histoires d'amour entre voisins et voisines, entre cousins et cousines. L'amour chez les Berbères est comme la figue de Barbarie; il est doux, sucré, sincère et éternel! On n'oublie jamais les moments agréables du premier amour vécu derrière la clôture de figuiers de Barbarie.
Cette clôture solide garde les moutons et préserve les modestes maisons du vent froid pendant les jours d'hiver, poussiéreux pendant les jours d'automne.
Jadis, les figues de Barbarie ne se vendaient pas, les gens se servaient à leur guise.
Aujourd'hui, ce fruit voyage, dans des frigos, vers les quatre coins du monde pour être exposé dans les rayons des grandes surfaces en Occident. Mais le fruit de notre figuier de Barbarie est inégalé en goût et en apparence.
La figue de Barbarie vendue à Londres, à Paris ou à Berlin n'a pas le même goût que celle d'Aïn El Hammam ou de Msirda!