La démocratie et la démocratie seule
«Le souvenir des hommes de la trempe de Ait Ahmed dont les actions et les réalisations profitent, tels des épis cultivés à travers le temps, aux générations successives, demeure gravé dans les mémoires et leur souvenir vivace dans les coeurs.» Abdelaziz BOUTEFLIKA
Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé. C'est ce que nous sommes tentés d'écrire, inspirés que nous sommes par l'adieu aux armes de ce grand patriote que fut Hocine Ait Ahmed. Patriote, il le demeurera à travers l'exemple édifiant qu'il a laissé en héritage à la jeunesse de ce pays. Une jeunesse soucieuse d'en découdre avec les idées reçues qui ont tenté de la couper de la réalité nationale et des grands enjeux de son pays. N'est-ce pas justement cette attitude aux antipodes du serment de Novembre qui a fait sortir en 1974 Mohamed Boudiaf de sa réserve pour vouer aux gémonies ceux-là même qui ont écrit et continuent de le faire en déformant par intérêt ou par ignorance les faits, en attribuant à des gens des rôles qu'ils n'ont pas joués, idéalisant certaines situations et passant d'autres sous silence, refaisant l'histoire après coup? La réponse à un tel questionnement est aisée surtout lorsque l'un des principaux artisans de la Révolution nationale du 1er Novembre 1954 faisait remarquer, non sans pertinence, que le résultat le plus clair de ces manipulations, est d'entraîner une méconnaissance d'un passé pourtant récent chez les millions de jeunes Algériens qui n'ont pas vécu cette période et qui sont pourtant avides d'en connaître les moindres détails. Hocine Ait Ahmed en était conscient, lui le nationaliste révolutionnaire qui a toujours su accorder à cette frange de la population tout l'intérêt escompté pour en faire le fer de lance de la transformation démocratique de la société algérienne. Une nouvelle fois orphelin, la première fois après le lâche assassinat du président Mohamed Boudiaf l'un des principaux artisans de la Révolution nationale du 1er Novembre 1954, le peuple algérien, unanime, a su rendre à l'ancien responsable de l'OS l'hommage conforme à sa grandeur, à son engagement, à sa conception altruiste du bonheur et à son sacrifice légendaire. La reconnaissance et l'hommage appuyé du président de la République ont été l'autre fait marquant de cet événement national. Loin d'être feint ou de relever d'un signifié empreint de rhétorique et/ou de circonstance, il est à l'évidence irrigué par un somptueux respect tant pour le moudjahid de la cause révolutionnaire que pour le militant des droits de l'homme: «Je ne saurais me consoler de la disparition de cet homme fidèle à sa patrie, soucieux de l'unité de sa nation, courageux dans ses positions, attaché à ses principes, affable, constructif dans ses critiques, digne dans son opposition à l'égard de certains responsables dont il contestait le mode de gouvernance et la méthode de gestion. Un homme qui se refusait à la surenchère et aux compromissions lorsqu'il s'agissait de questions cruciales intéressant sa patrie.»
Dans son message, Abdelaziz Bouteflika a notamment insisté sur son courage, sa bravoure et son charisme qui ont marqué, a-t-il souligné, les différents événements liés à l'Histoire de l'Algérie, depuis l'Organisation spéciale (OS) qu'il a présidée à une période des plus sombres, jusqu'à ses positions courageuses et ses avis judicieux qui éclairaient les nombreuses rencontres et conférences internationales: «Ni moi ni le peuple algérien ni l'Histoire n'oublierons le regretté Hocine Ait Ahmed qui s'était dévoué pour son pays, qui est resté fidèle à son peuple et a honoré le serment. L'Algérie a perdu en la personne de Hocine Ait Ahmed un de ses grands hommes qui a accompli avec abnégation et dévouement son devoir de militant et de moudjahid.»
Passé sous les fourches caudines systémiques qui l'ont contraint à un long exil, Abdelaziz Bouteflika connaît suffisamment les affres de la négation pour ne pas se sentir solidaire avec tous ceux qui ont été injustement privés de leur pays des décennies durant. Ce n'est donc pas sans raison si, après ce qui peut s'apparenter à sa longue marche, il contribuera, dès son retour aux affaires, à faire voler en éclats de nombreux tabous parmi lesquels il est aisé de citer le rétablissement dans leurs droits historiques de Messali Hadj, Abane Ramdane, Ferhat Abbas, Benyoucef Benkhedda et de nombreux militants «jetés» par les commis de l'idéologie dominante dans ce qu'ils appellent non sans perfidie la trappe de l'Histoire. Dans une lettre adressée à Hocine Ait Ahmed, au moment de l'épisode qualifié par Djedaï de guet-apens, Bouteflika a promis que «l'Etat mettra tout en oeuvre pour faire la lumière, toute la lumière sur cette affaire et pour en déférer les auteurs devant les juridictions compétentes».
Condamnant le principe lui-même, Bouteflika a relevé que «de tels actes, dont il reste évidemment à établir les circonstances et à préciser les motivations, ne peuvent que soulever notre réprobation et notre condamnation, sans réserve». Il va de soi, a soutenu la même source, que «nous ne pouvons tolérer de tels agissements dans l'Etat de droit que nous sommes en train de mettre en place». Depuis cet épisode qui n'a pas été sans provoquer l'ire du FFS et de nombreux démocrates, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts irrigant sur son passage des épis cultivés à travers le temps tout en évitant d'emporter une faune politique mafieuse et d'un autre âge. Certes, le président de la République se veut rassurant: «Le souvenir des hommes de la trempe de Ait Ahmed dont les actions et les réalisations profitent, tels des épis cultivés à travers le temps, aux générations successives, demeure gravé dans les mémoires et leur souvenir vivace dans les coeurs.» Ce à quoi, l'un des artisans de novembre a déjà répondu: «Je souhaite que le processus démocratique se redresse et s'amplifie jusqu'à ce qu'il atteigne un point de non-retour.» Un voeu qui mérite d'être somptueusement exaucé. Et ce serait le meilleur hommage que nous puissions rendre à un homme de principes et de coeur...