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Miloud Chennoufi, professeur d’études de la sécurité, à L’Expression

«Une communication polluée aggrave la crise»

Le docteur Miloud Chennoufi est professeur d'études de la sécurité au Collège des forces canadiennes (Toronto) et Senior Fellow à l'École des études publiques et internationales (université de York). Il apporte sa réflexion quant à la gestion des situations de crises majeures. Il dissèque les expériences et il essaye d'étayer des aspects communicationnels dont la sécurité nationale est éminemment engagée.

l'expression:Comment gérer des situations de crises majeures comme c'est le cas pour la pandémie du Covid-19?
Miloud chennoufi:Avant d'être un plan de contingence et un ensemble de techniques managériales au demeurant absolument nécessaires, la gestion des crises est un état d'esprit particulier et une conscience permanente que les systèmes complexes, même les plus sophistiqués, sont vulnérables. Cela devient évident lorsqu'une crise éclate et révèle la vulnérabilité des systèmes étant donné que les crises ont, en plus de leur effets dévastateurs, un redoutable pouvoir de révélation. Mais les vulnérabilités que les crises révèlent étaient déjà latentes dans les rouages des systèmes avant l'éclatement des crises. Le premier volet de la gestion des crises c'est donc la préparation. Mais la préparation fait défaut si, avant la crise, on n'a pas pris le temps de mesurer les faiblesses latentes des systèmes. Bien entendu, on n'est jamais parfaitement préparé face aux crises parce que chaque crise est différente, même si elle présente des similitudes avec des crises passées. Mais indéniablement, ceux qui se seront préparés, élaboré des plans de contingence, développé les compétences nécessaires, et réservé des fonds d'urgence, ont plus de chances de réussir face aux crises, ou du moins minimiser les pertes autant que faire se peut.
La crise du Covid-19 est sans doute l'une des plus complexes parce qu'elle ébranle les systèmes à tous les niveaux: du niveau individuel le plus intime au niveau mondial le plus global. Elle est, à l'évidence, une crise sanitaire comme l'humanité en a connues dans le passé, mais pas seulement. C'est aussi une crise économique comme on le voit dans le ralentissement économique qui frappe tous les pays. Une crise sociale dans la mesure où elle cause un dérèglement de la vie quotidienne. Une crise institutionnelle dans la mesure où elle sème le doute sur l'efficacité des institutions. La liste des dimensions est plus longue encore puisqu'il s'agit aussi d'une crise de la gouvernance mondiale même s'il faut reconnaître à l'Organisation mondiale de la santé d'avoir tôt été claire et proactive en mettant en garde le monde entier sur la pandémie de grande ampleur à venir. C'est une crise idéologique qui montre avec éclats toutes les limites du néolibéralisme qui, depuis un demi-siècle, a imposé l'idée que le marché a toutes les réponses à tous les problèmes, alors qu'on voie aujourd'hui que la recherche scientifique visant à trouver un vaccin est financée par des fonds publics. C'est une crise de leadership liée à l'absence d'audace dans la confrontation du virus de peur de créer la panique dans la société et dans les milieux d'affaires, etc.
Toutes ces dimensions font en sorte que c'est une crise qui se gère à plusieurs niveaux. Faute d'espace, je me contenterai du niveau national. Ici, l'Etat a un rôle de premier ordre à jouer qui consiste à prendre les mesures nécessaires, même les plus impopulaires comme le confinement obligatoire ou les tests de masse, pour limiter la propagation du virus, et de prodiguer les soins pour ceux qui sont atteints. Mais autant il est facile de prendre une mesure autoritaire pour interdire par exemple la circulation, autant il est difficile d'assurer un minimum de fonctionnement normal de la société si l'Etat en question n'a jamais développé auparavant une culture de gouvernance propice à l'état d'esprit dont je parlais il y a un instant. Le même raisonnement s'applique au système de santé. S'il ne s'est jamais exercé à la gestion des crises avant l'éclatement d'une crise majeure, il ne faut pas s'attendre à des miracles, malgré toute la bonne volonté, l'abnégation et le sens de la responsabilité et du sacrifice du corps médical. Par ailleurs, si l'urgence au niveau national est de limiter la propagation du virus, la responsabilité de la gestion de la crise n'incombe pas uniquement à l'Etat; elle relève aussi de la responsabilité individuelle.

Quelle est la stratégie idéale pour gérer une situation de crise et de guerre? y a-t-il une approche communicationnelle spécifique à cette situation d'urgence?
On peut dire que l'approche idéale qui serait de tenir compte du contexte, même si s'inspirer d'autres expériences ne fait pas nécessairement de mal si cela est effectué intelligemment. Je crois que les leaders doivent parler à la population tous les jours. Non pas à travers des communiqués de presse et encore moins à travers les images sclérosées des réunions qu'on filme et qu'on diffuse sans le son. Jamais l'éloquence ne représentera une qualité aussi précieuse des leaders qu'en temps de crise. Justement parce qu'il faut rassurer (les crises sont en effet anxiogènes), qu'il faut mobiliser le sens de la responsabilité des individus, et d'encourager ceux et celles qui sont sur les premières lignes face à la crise. Ensuite, la communication doit informer sur la réalité de la situation. En l'absence d'un état d'esprit favorable à la gestion des crises, la fonction informationnelle tombe inéluctablement dans les travers du déni de réalité et des rationalisations abusives. C'est la pire façon de faire, parce que d'une part nous vivons dans un monde où rien ou presque ne peut demeurer un secret longtemps; il en va donc de la crédibilité de ceux qui communiquent de cette façon; et d'autre part, en l'absence d'une information crédible, franche et honnête, la voie est ouverte devant les fausses nouvelles et les théories du complot. Dans un cas comme dans l'autre, on aggrave la crise au lieu de la contenir. Mais pour le faire convenablement, il est nécessaire que les leaders fassent preuve d'humilité. La même information technique (sur le virus, sur sa propagation, ou sur les remèdes possibles) a moins d'effet si elle est prononcée par un ministre seul, que si elle est prononcée en présence du ministre par des experts qu'il sait écouter. C'est pourquoi on voit souvent de grands leaders flanqués d'experts dans les points de presse, ou qui ont l'intelligence de reculer pour laisser les experts parler.

Quelles sont les expériences les plus typiques qui pourraient inspirer l'Algérie dans sa gestion communicationnelle pour faire face aux menaces qui ciblent la cohésion nationale en manipulant les chiffres et les statistiques dans le but de créer un climat de psychose et de troubles?
Incontestablement, l'expérience de la Corée du Sud. Les Coréens ont très vite compris la gravité de la situation; ils se sont mobilisés à la fois pour contenir la propagation du virus et pour fournir les soins nécessaires à ceux qui étaient atteints. Ils ont également su très vite s'adapter à la situation à travers des pouvoirs publics qui ont assumé la responsabilité de prendre des mesures draconiennes comme les tests massifs, tout en fournissant aux acteurs anticrises, dans le secteur de la santé et ailleurs, les moyens d'agir; ils ont surtout pu compter sur la coopération d'une population qui comprenait qu'elle avait elle aussi un rôle à jouer. C'est un exemple typique du succès qu'on peut avoir dans l'endiguement d'une crise lorsqu'il est possible de compter sur un certain niveau de préparation. Les chiffres et les statistiques ne créent pas nécessairement un surcroît de psychose tant et aussi longtemps qu'ils sont communiqués dans un contexte de mobilisation générale et responsable contre les effets de la crise; tant et aussi longtemps qu'ils sont communiqués selon une pédagogie qui permet de mettre la réalité nationale d'un pays donnée dans le contexte global de la pandémie. Il y a un risque majeur à ne pas communiquer les chiffres et les statistiques de manière subtiles et responsables; c'est celui de nourrir le cynisme au sein de la population. Certains finiront par dire: on nous cache quelque chose. On risque ainsi d'aboutir à un point où l'évitement de la psychose provoque des réflexes et des comportements inconscients des individus qui vont ainsi propager le virus encore plus. Il me semble qu'il y a un équilibre à atteindre. Ici comme ailleurs la prudence est une vertu de première importance. Ne jamais affoler avec des chiffres, mais aussi permettre aux gens de comprendre la réalité par des chiffres. C'est précisément l'équilibre à trouver. Mais on ne peut s'improviser maître d'un tel exercice. Il est nécessaire de s'y exercer en temps normal pour pouvoir l'appliquer en tant de crise. Ce qui me ramène de nouveau à mon tout premier

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