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Entre la «Proclamation» du premier novembre et la «Plate-forme» de la Soummam

Quel document faut-il choisir ?

Lors des débats et les prises de position concernant des sujets touchant à la vie politique du pays, on constate souvent que beaucoup de nos compatriotes prennent comme référence «unique» soit la «Proclamation» du premier novembre 1954, pour les uns, soit la «Plate-forme» du congrès de la Soummam, pour les autres. En effet, si les uns trouvent dans la «Proclamation» le texte fondateur de l’Etat algérien « moderne », car c’est par son biais que les initiateurs de la Guerre de Libération nationale ont rendu public leur projet libérateur et réussi à mobiliser le peuple pour la récupération de sa souveraineté, les autres pensent que c’est la «Plate-forme» qui mérite ce statut. Car, ils considèrent que c’est lors de ce célèbre congrès que la révolution a pris réellement forme et qu’elle a été dotée d’un « vrai » programme politique. Bien sûr, chacune des deux parties, par son choix, opte en fait pour un «projet de société », pensant que ce dernier est différent selon qu’il s’agit de la «Proclamation» ou de la «Plate-forme».

Par Hacène MERANI

La présente contribution, dont l’auteur ne prétend nullement être un historien, mais un simple citoyen voulant donner son point de vue concernant cette importante question, tente justement de répondre à la question suivante : faut-il vraiment choisir entre ces deux textes importants dans l’histoire récente de notre pays ?
Commençons par la «Proclamation» du premier novembre 1954. J’estime qu’une grande majorité d’Algériens pense, et quoi qu’en disent les opposants à cette thèse, que cet « Appel » est incontestablement le document fondateur et de la Guerre de libération et, par voie de conséquence, de l’Etat national au sein duquel nous vivons plus ou moins dignement aujourd’hui. C’est beaucoup plus que le reflet d’un «acte détonateur» comme l’ont dit certains. Certes, ceux qui semblent lui préférer la «Plate-forme» de la Soummam pensent, ou justifient leur position par le fait que, la «Proclamation» serait le résultat d’une action « précipitée », dictée par une volonté de sortie de crise dont le PPA/MTLD faisait l’objet et par laquelle ses auteurs ont voulu mettre les antagonistes devant leur responsabilité historique. Non, ce point de vue ne semble pas convaincant. Car, ce texte, selon des historiens, a bel et bien fait l’objet d’une «longue discussion entre ses initiateurs» avant d’être définitivement rédigé, imprimé et publié. L’acte de déclenchement de la lutte armée et l’Appel qui l’a rendu public sont à la fois l’aboutissement et le dépassement de toute l’histoire du Mouvement national. Oui, ce texte n’a pas été l’œuvre de grands penseurs, que le régime colonial avait, en tout cas, tout fait pour en empêcher l’émergence, mais d’un groupe de jeunes militants décidés à passer à l’action armée pour libérer le pays. Cependant, cela n’empêche aucunement de croire que ces militants, de par leur attachement et leur dévouement à la cause nationale, de par leur parfaite connaissance des conditions de vie quotidienne misérables des larges couches populaires dont ils étaient généralement issus, de par leur activité et leur formation politiques, etc., ont parfaitement réussi à exprimer, à leur manière, et en quelques mots seulement, les profondes aspirations de leur peuple. La preuve en est donnée par la suite des évènements eux-mêmes. N’ont-ils pas réussi à déclencher enfin ce processus historique qui a permis de réaliser ce qui était impensable quelques mois, voire quelques semaines, auparavant ?
Quant à la fameuse «Plate-forme du congrès de la Soummam», j’estime également, et quoi qu’en pensent les opposants à ce texte, que ce document est d’une importance capitale dans l’histoire de la Guerre de Libération nationale et de l’Etat qui en est l’aboutissement. Il contient, on le sait, les principales décisions qui ont été prises durant le « congrès » de la vallée dont il porte le nom et dont les travaux se sont déroulés pendant quelques jours de ce mois d’août 1956. Congrès qui a permis à la révolution de se doter, entre
autres, d’une organisation efficace, d’instances dirigeantes claires, d’un programme politique, etc. Certains de ceux qui avaient participé à l’« acte détonateur » lui-même y étaient présents. Y étaient des acteurs principaux et étaient des signataires de la « Plate-forme » qui en a résumé les principales résolutions. Mais pourquoi alors des Algériens se sont divisés et se divisent encore par rapport à ces deux textes historiques ?
En fait, nous connaissons tous les raisons de cette divergence. C’est sur certains points essentiels en effet que le désaccord était né et se poursuit malheureusement encore aujourd’hui. Il s’agit surtout, si on veut résumer, des points concernant : d’abord l’abrogation ou la disparition, dans la Plate-forme, de la mention «dans le cadre des principes islamiques», contenue dans la Proclamation. « Principes » que les auteurs du déclenchement de la Guerre de Libération nationale avaient tenu à mentionner comme référence civilisationnelle et culturelle pour l’Etat qu’ils avaient ambitionné de fonder après le recouvrement de l’indépendance. Il s’agit principalement ensuite, des deux points relatifs à «la primauté» de l’intérieur sur l’extérieur et du politique sur le militaire. Si le désaccord sur la question de la primauté de l’intérieur sur l’extérieur est actuellement dépassé, me semble-t-il, celui portant sur la question de la primauté du politique sur le militaire et surtout la référence ou non aux «principes islamiques» demeure encore très vivace aujourd’hui et explique pour l’essentiel le choix qu’opèrent les uns ou les autres pour l’un ou l’autre des deux textes.
D’abord, il doit reconnaître que la «Proclamation» est le texte fondateur de notre Etat national. En cela aucun autre texte, aucun autre évènement, ne peut lui être égal. Dire que le texte n’est pas suffisamment élaboré idéologiquement, ne contient pas de détails sur la nature de l’Etat que voulaient bâtir ses auteurs ou toute autre remarque semblable peut être compris. Mais aller jusqu’à prétendre qu’il a été le résultat d’un acte « précipité » ou quelque chose de ce genre est, à mon humble avis, un manque de lucidité ou tout simplement une manœuvre par laquelle on veut justifier une position idéologique que le texte semble ne pas approuver. Je le dis encore une fois, certes, le texte n’a pas été élaboré par de grands penseurs ou idéologues, mais cela n’interdit pas de dire aussi que ses auteurs avaient eu, en le rédigeant, une intuition et un esprit de synthèse historiques hors du commun. Ils ont su, en quelques mots, disais-je, exprimer l’essentiel de ce qui a pu rassembler et mobiliser le plus grand nombre d’Algériens, de toutes les régions et de diverses sensibilités, pour s’engager dans un processus révolutionnaire que tous les indices donnaient pour irréalisable.

En effet, si les uns trouvent la mention «dans le cadre des principes islamiques», anachronique ou en contradiction avec la construction d’un «Etat moderne», on peut leur répondre ceci : d’abord que l’acte de son abrogation lors du congrès d’août 1956, sans l’accord d’une grande majorité des dirigeants de la Guerre de libération, car il faut reconnaître que la question était extrêmement importante et qu’une bonne partie des responsables n’y étaient pas présents, est lui aussi en contradiction avec les principes de l’Etat moderne, car, non conforme aux principes démocratiques que les auteurs de la Proclamation avaient mentionnée comme l’un des principes fondamentaux de l’Etat qu’ils avait projeté. En plus de cela, la réintégration de cette référence une année après, par une majorité écrasante des membres présents du Cnra, organe suprême, prévu par le congrès de la Soummam lui-même, ne constituait-elle pas un acte légitime qui aurait en principe clos ce débat au moins sur le plan « historico-légal » ?
En conclusion, on peut donc dire que l’option pour l’un des deux textes seulement est loin d’être inévitable et même désirable. Considérer la «Proclamation» comme le document fondateur de l’Etat national moderne n’est aucunement en contradiction avec la « Plate-forme ».
Si le premier document a contenu tout ce qui avait permis le rassemblement du plus grand nombre d’Algériens pour s’engager dans ce qui s’est avéré un processus libérateur, la « Plate-forme » a contenu les décisions qui ont doté ce même processus de ce dont il avait le plus besoin à un moment crucial de son évolution. Une organisation et des instances dirigeantes qui avaient permis de mener le mouvement jusqu’à réaliser ce pourquoi tout le processus révolutionnaire avait été mis en branle : l’indépendance du pays. Certes, et comme l’avait dit l’un des principaux acteurs de ces évènements historiques, en l’occurrence Hocine Ait Ahmed, on peut discuter «les lacunes et les insuffisances» du congrès de la Soummam, mais il faut reconnaître que cette rencontre avait réussi «une première» : «Les structures de l’ALN et du FLN ont été précisées.» Des différends et des divergences entre les acteurs de ces évènements avaient été soulevés et réglés. Où est l’anormal dans tout cela ? Bien sûr, il y a eu des tragédies que l’on doit déplorer, voire condamner. Mais cela n’empêche pas de considérer que ces deux textes sont en fait complémentaires. Si les auteurs de la «Plate-forme» avaient estimé que mentionner l’instauration de l’Etat national «dans le cadre des principes islamiques» était en contradiction avec la modernité et que les membres du C.N.R.A. avaient décidé de réintroduire cette mention, il faut se rappeler que dans la «Proclamation» on y lit aussi que l’Etat national souverain projeté devrait assurer une chose très importante : «Le respect de toutes les libertés fondamentales sans distinction de race ni de confession.» Cette mention, à mon avis, était suffisante pour préciser à tous que l’Etat qui a été prévu lors du déclenchement de la Guerre de libération était un Etat « moderne» et aurait, par la même occasion, donné la garantie que les auteurs de l’«acte détonateur» étaient très conscients eux aussi des aspirations des Algériens et du moment historique qu’ils vivaient.
Et si, enfin, certains de nos concitoyens font observer que quelle que soit l’importance de ces évènements et de ces documents, le peuple a tout de même le droit d’en revoir telle ou telle partie, telle ou telle question, ma réponse sera, bien entendu, affirmative encore une fois. Mais j’estime en même temps que cela ne doit pas nécessairement se faire en rejetant ou en niant l’un ou l’autre document et, surtout, qu’il doit se faire dans le respect mutuel en acceptant de se plier à la décision de la majorité, quelle que soit cette décision, telle que l’exigent les principes démocratiques.
Principes que ni les auteurs de la «Proclamation» ni ceux de la «Plate-forme» n’avaient oublié de mentionner comme l’un des piliers fondamentaux sur lesquels reposerait l’Etat national tant souhaité. Etat dont les auteurs de la Guerre de libération nationale, au-delà de leurs divergences, avaient légitimement rêvé et pour lequel, entre autres, ils se sont héroïquement sacrifiés.

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