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MOHAMED LAKHDAR MAOUGAL, PROFESSEUR, À L'EXPRESSION

"Nous vivons une tragi-comédie"

Anthropologiste de formation, Mohamed Lakhdar Maougal est professeur en journalisme. Il est également homme de théâtre pour avoir monté plus de quatre pièces dans le cadre universitaire avec son Aucs (Association universitaire pour les cultures et les sciences) à Bouzaréah à la fin des années 80 et le début des années 90. Il nous livre dans cet entretien une analyse du mouvement Hirak avec les outils du théâtre. «Quand j'ai vu les marcheurs et entendu leurs clameurs j'ai tout de suite pensé à La cité du Soleil (Héliopolis). La pièce est d'une très grande proximité avec la réalité. C'en est troublant. Quel visionnaire ce Mouloud Mammeri. Il aurait été aux anges de voir tant d'Algériens envahir les rues et clamer leur colère contre les Gens d'en Haut 'auxquels ne parviennent jamais les clameurs du
bas''», avoue Maougal.

L'Expression: Comment voyez-vous la tragédie algérienne, aujourd'hui?
Mohamed Lakhdar Maougal: Ce qui se passe aujourd'hui dans notre pays tient véritablement du théâtre. Reste à savoir pour quel type de représentation: ballet, bouffonnerie, comédie, drame, illusionnisme, opéra, tragédie, tragi-comédie. Il y a un peu de tout cela en même temps.
Mais avant d'en révéler les sources et surtout les références établies et identifiées en matière d'activités théâtrales, il y a lieu de préciser les contours de cette actualité qui tient le haut du pavé et occupe toute la scène de rue algérienne depuis un mois déjà. Et ce n'est pas fini! Je suis heureux que vous ayez pensé à traiter d'une grave et sérieuse affaire sur ce mode insolite de la représentation, car la représentation est au coeur de la vie algérienne aujourd'hui, dans la rue.
D'abord il y a du théâtre, car on n'arrête pas d'avoir des coups de théâtre dans l'actualité algérienne. Préparation expéditive d'une élection refusée par tout le monde, hormis des gens du sérail.
D'abord on apprend contre toute attente crédible que Bouteflika est candidat et que le 5ème mandat sera réalisé envers et contre tous (sic). Ensuite, on actionne des institutions chargées de préparer et de mettre en route la machinerie électorale et on se presse de retaper la marionnette dans un atelier de remise en forme aux frais de la République au pied du Mont Blanc, sur les bords du lac Leman.
Puis, on organise même un spectacle pour le retour du candidat dans un jet présidentiel autour duquel il y a un grand secret et un cinéma inédit. L'on exhibe le candidat retapé en une douteuse séance du Conseil des ministres où il s'exerce fort difficilement et gauchement à l'écriture.
La main du commandeur bouge à peine, mais ses lèvres sont toujours tombantes et pas une parole ne les traverse. A peine entend-il le bruit de la plume qu'il tient entre ses doigts engourdis, courir sur une feuille toujours blanche. Le simulacre est prodigieux. L'illusion est comique.
Enfin, la pièce se débride. Le second acte qui engage la mutation en genre tragique vers le genre dramatique se termine en bouffonnerie sur un coup de théâtre digne de la dramaturgie shakespearienne. Une réunion d'intrigants avec des personnages étrangers au contexte national transforme la logique dramatique en eau de boudin nécessitant une entrée impétueuse et intempestive de l'institution de la légitimité permanente, l'armée qui évente une florentinerie téléguidée, qui donne alors l'occasion à la casquette verte d'appuyer les revendications de la rue. Les têtes commencèrent dès lors à choir en cascade et sur l'air des lampions. C'est le début de l'opéra inspiré de la campagne d'Antonio de Carvalho qui conduisit la révolution des oeillets au Portugal en 1974.

Pouvez-vous nous démonter la mécanique de la mise en scène de ce dernier ou avant-dernier acte de cette représentation théâtrale?
Aristote dans ses écrits sur la dramaturgie définissait la représentation théâtrale comme le nouement dans le premier acte et le dénouement dans le reste des actes d'une intrigue.
L'intrigue a été nouée par de bien mauvais et de très médiocres metteurs en scène. Rappelons quelques faits. L'intrigue va se nouer à partir de l'échéance du mandat scélérat imposé par le clan de Bouteflika à partir d'un «hold-up», à la fin de la mandature prévue et encadrée par la Constitution de 1996. L'intrigue est aiguë par le fait que le principal personnage du premier acte, dit acte d'exposition, présente la singularité qui contrevient au rôle qu'il est censé être en mesure de dérouler et de dénouer l'intrigue. Mais il est un personnage, acteur de représentation, mais non-actant d'action. Il ne peut ni assurer ni assumer un dynamisme communicatif dont la pièce a besoin pour dérouler le nouement et le dénouement de l'intrigue.
Première anicroche. L'intrigue est éventée après les premiers coups de théâtre avec l'échec de validation de la candidature de Bouteflika par ceux qui voulaient se servir de lui du fait de la panique née de l'opposition d'un acteur -commandeur- imprévu, la colonne vertébrale de la société, l'Armée nationale populaire marginalisée depuis le démantèlement qui a suivi le viol de la Constitution de 1996. L'affaire s'emballe après la révélation du contenu d'un échange téléphonique entre le président du FCE (Ali Haddad) et l'ancien chef du gouvernement, qui aura constitué le pilier fondamental et central de l'opération du hold-up ouvrant les voies aux deux mandats scélérats, le troisième et le quatrième.
L'affaire rebondit en s'aggravant quand le chef du gouvernement (Ouyahia), secrétaire général d'un des deux partis moteurs de l'Alliance présidentielle (RND) profère des menaces directes contre la rue au cours d'une conférence de presse. L'intrigue se renoue sur un autre registre. La tragédie d'une vue finissante se transforme en drame à intrigue avec des personnages secondaires qui prennent corps et importance conjoncturelle.
Le texte théâtral s'étoffe. Le silence de la momie est compensé par le ramage de ses proches et de son entourage. Leurs voix et gesticulations compensent son inaction, les met en valeur, gonfle démesurément leurs rôles et les expose par conséquent aux turbulences actantielles.
Dans un second mouvement, l'intrigue est étouffée et contenue par le climat délétère entre d'une part ce groupe d'acteurs autour du personnage énigmatique du candidat silencieux et grabataire et d'autre part les spectateurs-acteurs dans la pièce, c'est-à-dire les électeurs contraints et forcés de souscrire au diktat, condamnés à voter sans surprise pour des résultats établis de longue date et de tradition par la fraude généralisée.
Au troisième mouvement, se produit une intrusion capitale qui fait l'effet de l'apparition du Commandeur dans la pièce de Don Juan, célèbre pièce de Jean-Baptiste Molière reprise par Nikolaus Lenau et Alexandre Pouchkine et adaptée en opéra par Wolfgang Amadeus Mozart puis en un remarquable film par Milos Forman sous le titre d'Amadeus. Ce commandeur, c'est l'armée ANP qui vient remettre chacun à sa place et intervient dans le scénario pour dénouer l'intrigue Chaque mouvement correspondrait à un acte avec des scènes plus ou moins complexes.

Cette pièce de théâtre commence par une intrigue, comment va-t-elle se terminer? Y a-t-il une quelconque ressemblance avec la dernière pièce de Mouloud Mammeri, La cité du Soleil que vous avez montée au TNA en 1993 sous le titre Cité mouroirs (1987) avec l'aide de votre ami le dramaturge Azzedine Medjoubi assassiné par les terroristes?
Tout à fait. Quand j'ai vu les marcheurs et entendu leurs clameurs j'ai tout de suite pensé à La cité du Soleil (Héliopolis). Des pans entiers du texte ont envahi ma mémoire. La pièce est d'une très grande proximité avec la réalité. C'en est troublant. Quel visionnaire ce Mouloud Mammeri!
Il aurait été aux anges de voir tant d'Algériens envahir les rues et clamer leur colère contre les Gens d'en Haut «auxquels ne parviennent jamais les clameurs du bas». Mais le texte de Mammeri date des années 80. Il était très pessimiste, mais fortement ironique jusqu'au sarcasme.
Mouloud Mammeri aurait été très heureux de constater que le peuple réclame la liberté et la dignité, et pas du tout du pain et du cirque. La pièce de Mouloud Mammeri est une sottie, un pamphlet politique du temps où il était très difficile d'en faire. Lui l'a fait ainsi que Kateb Yacine. Personne d'autre ne s'était hasardé à affronter la citadelle perchée sur les hauteurs de l'Empirée loin de la ville et du peuple souffrant.
Il savait que le prix de la liberté est trop lourd à supporter. Pourtant il le supportera dans le profond exil intérieur qu'il exploita pour nous fournir les plus belles et les plus engagées pages de notre littérature francophone plus jamais égalées.
Dans La Cité du Soleil, la description que fait Mammeri de la ville est le reflet réel de ce que nous avons vécu dans l'insalubrité, la saleté, la violence des gouvernants, le mépris et la lâcheté des sujets forcés à courber l'échine et à se lamenter. Ce que nous avons fait jusqu'au 22 février. Mais le désespoir du bateleur n'est plus de mise.
La philosophie a envahi l'Algérie et les consciences se sont réveillées. Un ouragan d'égalitarisme souffle emportant les illusions de ceux qui ont cru que nous étions morts pour de vrai et pour toujours, alors que nous sommes vivants et plus vivants que jamais comme chantait Dahmane El Harrachi.

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