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YOUCEF IMMOUNE, PROFESSEUR DES UNIVERSITÉS, À L'EXPRESSION

"L'université doit s'ouvrir aux débats politiques"

Directeur de thèses de recherche portant sur les discours de Bouteflika, le professeur Youcef Immoune est également auteur de plusieurs travaux portant sur le rapport de la littérature et l'histoire, la littérature et le pouvoir. Il est par ailleurs, spécialisé dans l'analyse du discours politique. Youcef Immoune a occupé plusieurs postes de responsabilité dont celui de vice-doyen, chargé de la pédagogie au niveau de la faculté des lettres et des langues étrangères à Alger 2. Dans cet entretien, il explique que la nature pacifique des marches, qui a émerveillé le monde entier, trouve sa justification dans ce long travail de maturation, fait de silence, mais surtout d'écoute. Pour le professeur, l'enjeu est de taille. Car, Il s'agit, selon lui, de porter au pouvoir des personnalités compétentes pour réécrire la Constitution qui remettra l'Algérie dans le sens objectif de l'histoire, consacrera le caractère civil de l'Etat.

L'Expression: Que pensez-vous du lancement, puis de l'annulation de cette élection?
Youcef Immoune: L'élection, elle-même, telle qu'elle avait été envisagée dans le cadre de la Constitution actuelle, de la loi électorale et des instances partiales chargées de la prendre en charge, dès le départ, «était frappée de nullité». De toute façon, elle allait être organisée pour porter une cinquième fois le Président Bouteflika à la présidence. Toute la législation, en la matière, était conçue pour ce dessein. Il n'y a d'ailleurs qu'à se référer à la locution «cinquième mandat» ou en arabe «Ouhda Khamissa», avec lesquelles a été convoquée cette élection, pour se rendre compte que cette formulation sur le mode de l'accompli annonce par anticipation et au mépris de tout, sa victoire. C'est cette arrogance et cette démonstration de puissance qui ont accentué la révolte de tout le monde. Finalement, démonstration de puissance à des fins d'injustice qui caractérise tous ceux à qui a profité le système. L'élection présidentielle à venir ne peut intervenir que si tous les cadres légaux sont redéfinis pour garantir son déroulement dans des conditions démocratiques. On ne peut appeler à l'élection avec une Constitution, actuelle, avec le code actuel une élection qui bafoue les règles fondamentales des libertés et qui autorise et légitime la fraude. Sinon, comment expliquer ce mouvement populaire?

Justement, comment expliquez-vous ce mouvement populaire et la forme qu'il a prise, à savoir les marches pacifiques?
Le mouvement populaire est la manifestation d'une protestation, d'une colère et d'une frustration. Tant qu'elles étaient exprimées par une certaine opposition partisane, par des activistes politiques, par certains intellectuels, par certains journalistes, par les supporters dans les stades, etc., l'Etat, aveuglé par son arrogance, a minimisé leur action, a affaibli leur organisation, les a réprimés. Aveuglé par les indices de satisfaction qu'il fabrique indûment lui-même, l'Etat a mal interprété le silence, pourtant assourdissant, de la population, qui ne peut nullement être considéré comme le signe d'une acceptation. Ce silence, bien que long, représente le temps pris pour un travail de résilience, un temps pris pour se reconstruire dans la réaction et finir par se manifester. La nature pacifique des marches, qui a émerveillé le monde entier, trouve sa justification dans ce long travail de maturation, fait de silence mais surtout d'écoute. Cette majorité silencieuse, qui s'est révélée dans les marches, était à l'écoute de ceux qui ont su mettre des mots sur leur révolte tue, de ceux qui oeuvraient à détricoter le discours fallacieux et manipulateur de l'Etat, des expériences de réussite démocratique, mais surtout d'échec dans certains pays.

Quelles perspectives donner à ce mouvement populaire au-delà de la contestation?
Le mouvement populaire a jusque-là réussi et il continuera à faire la démonstration de son efficacité dans la protestation et dans le bras de fer qui l'oppose à la puissance répressive de l'Etat. Mais ce mouvement populaire a fait émerger des personnalités politiques, des compétences, chacune dans son domaine, qu'il faudrait maintenant employer pour enclencher et conduire à la construction d'une nouvelle République démocratique. A ce titre, les organisations et les acteurs, à quelque niveau que ce soit, qui se sont faits dans l'allégeance ne seront d'aucune utilité. L'enjeu est de taille. Il s'agit de porter au pouvoir des personnalités compétentes pour réécrire la Constitution qui remettra l'Algérie dans le sens objectif de l'histoire, consacrera le caractère civil de l'Etat, garantira tous les droits et toutes les libertés, donnera aux institutions leur souveraineté en tant que pouvoirs et contre-pouvoirs, mettra en place des dispositifs qui empêcheraient, par la force de la loi, toutes velléités antidémocratiques. Pour cela, il est nécessaire qu'elle soit conçue dans l'affirmation et non dans la négation. L'affirmation de ce qui nous définit sans hiérarchie d'information.
Il y a lieu en cela d'éviter toute charge idéologique partisane, de s'éloigner des références mythologiques, pour ne s'en tenir qu'à des données objectives. Elle doit permettre, par son caractère fondamental, aux autres cadres législatifs de produire de la loi pour gérer les affaires du pays et s'adapter à l'évolution des situations.

Mais la politique se fait dans un cadre organisé...
Il va sans dire que l'action politique démocratique a besoin de structures. Que les partis politiques, notamment d'opposition, se lancent à la reconquête de leur base populaire, la renforcent et l'élargissent. Qu'ils réadaptent leurs chartes respectives pour épouser l'avenir de l'Algérie qui se profile. Qu'ils travaillent à élaborer leurs programmes pour animer la vie politique par la force des propositions, en vue des échéances électorales municipales et législatives.
C'est ainsi qu'il sera possible d'élever le niveau d'exigence à la formation des partis politiques et contrer ces partis d'allégeance formés pour parasiter le champ politique.

Vous avez parlé de compétences, quel est le rôle de l'université et comment considérer sa participation à la construction de cette nouvelle République?
Elle joue et elle est appelée à jouer un grand rôle. D'abord, comme lieu de production du savoir et des technologies, elle abrite les hautes compétences nécessaires à l'action politique et économique. A ce titre, il faut installer des mécanismes qui permettront au politique (le pouvoir) de confier les dossiers de toutes natures à l'expertise scientifique nationale. Ensuite, dans la perspective d'une nouvelle République démocratique, la population universitaire, par son caractère populaire, empêchera l'élitisme de classe, surfait et arrogant, pour n'autoriser l'idée d'élite que sur la base du mérite. Enfin, cette
expertise scientifique saura ramener l'économie du pays au niveau des valeurs réelles et non celles artificielles qui ont permis jusqu'à présent l'enrichissement rapide et facile au détriment des populations.

Encore faut-il que l'université donne l'exemple...
L'université est appelée à ouvrir son espace aux débats politiques et de société, comme elle est appelée à s'ouvrir sur l'espace public, via les médias et la presse. Elle a vocation à éclairer l'opinion publique en lui apportant des clés de lecture des situations. Elle a vocation à donner du sens aux faits. Elle a vocation à interroger les fausses évidences. Elle a vocation à organiser suivant des procédés méthodologiquement éprouvés. Sur le plan organisationnel, l'université (enseignants et étudiants) est appelée à s'organiser en créant et multipliant des structures au sein desquelles son expression se déploiera: conférences publiques et débats. Elle est appelée à créer ou à renforcer les structures syndicales qui protègent les droits. Des structures syndicales qui imposent des modes démocratiques et d'alternance permettant l'accès aux responsabilités (recteurs et doyens).

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