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HOCINE BELALLOUFI, AUTEUR, À L'EXPRESSION

"L'Occident préfère un régime soumis à ses intérêts"

Auteur de deux ouvrages: La démocratie en Algérie. Réforme ou révolution? (Apic et Lazhari-Labter, Alger, 2012) et Grand Moyen-Orient: guerres ou paix? (Lazhari-Labter, Alger, 2008), Hocine Belalloufi est également journaliste et ancien coordinateur de la rédaction d'Alger républicain de 2003 à 2008.

L'Expression: Le monde découvre avec une grande fascination ces Algériens qui investissement la rue par millions, non pour avancer des revendications sociales, mais pour leur dignité et la liberté...
Hocine Belalloufi: Je pense que c'est une lecture très idéologique, d'ordre néolibérale et purement factuelle, qui s'arrête à ce qui est observable à l'oeil nu sans se donner la peine d'aller au fond des choses et de comprendre les ressorts profonds de cette explosion populaire. La dignité et la liberté ont une base matérielle qui réside dans l'indépendance économique de l'individu. Les revendications économiques et sociales ne sont pas encore assez mises en avant dans le mouvement populaire et je le regrette. Il faut tout faire pour que cela change et que le mouvement syndical et des travailleurs devienne la colonne vertébrale du mouvement, car pendant que les travailleurs, les chômeurs, les retraités et les jeunes luttent, les partisans de l'économie de marché qui leur demandent d'être «au-dessus de toutes ces basses revendications sociales», luttent de leur côté pour préserver et accroître les immenses subventions que leur accorde le pouvoir depuis des décennies. Ils luttent même pour prendre le pouvoir et se partager ainsi directement le «gâteau Algérie» tout en imposant au peuple de «nécessaires sacrifices». Comprendre par-là l'austérité, le chômage, la fin du logement social, de la santé et de l'éducation gratuite, la remise en cause juridique du droit de grève et autres joyaux de l'économie de marché...

Ce Hirak algérien s'inscrit-il selon vous dans la dynamique des révolutions arabes de 2011?
Il y a ici deux questions. L'Algérie fait partie de plusieurs zones géostratégiques: le Monde arabe, le Grand Moyen-Orient, le Sahel et le Bassin méditerranéen. Ces zones géostratégiques ont en commun d'être dominées par les puissances impérialistes (G7, FMI, Otan...). De ce point de vue, ce qui se passe en Algérie a incontestablement à voir avec le processus qui s'est ouvert en 2011 dans le Monde arabe. Tous les peuples de cette région sont soumis à une domination politique et militaire des Etats-Unis et de leurs alliés européens, israéliens et arabes. Ils se révoltent donc naturellement contre cet ordre impérialiste.
Je ne pense pas pour autant que nous soyons, en Algérie aujourd'hui, dans un processus révolutionnaire. Nous sommes plutôt dans une situation prérévolutionnaire où le peuple exerce une pression sur le pouvoir afin de réaliser une réforme. La majorité des Algériens n'accepte plus l'ordre politique actuel, mais elle n'est pas, pour l'instant, à tout le moins, dans une stratégie d'affrontement direct visant à renverser le régime. Et ce dernier, qui a été sur la défensive depuis le 22 février, dispose encore de forces en réserve et tente de reprendre l'initiative avec l'application de l'article 102 et la mise en oeuvre d'une stratégie de la tension. Nous sommes encore dans une situation d'équilibre instable.

Le chef d'état-major accuse une «main étrangère», qu'il ne nomme pas, de vouloir déstabiliser le pays...
Cette vision complotiste est devenue une constante universelle des régimes autoritaires. Les «grandes démocraties» occidentales qui sont de plus en plus autoritaires (USA, France...) ne cessent d'accuser la Russie ou la Chine de vouloir les déstabiliser... Dans les pays du Monde arabe, c'est la main étrangère qui est mise en avant comme facteur explicatif par les régimes autoritaires, par des sycophantes ou par des penseurs et hommes politiques impérialistes en lutte contre des concurrents. Trois exemples récents sont particulièrement frappants.
Remarquons tout d'abord que ces textes peuvent s'appliquer à n'importe quelle situation de crise. Il s'agit davantage d'une fiche standard que d'une analyse concrète et un peu fouillée de la réalité algérienne présente.
Dans ces textes, les acteurs principaux ne sont ni le pouvoir ni le peuple ni les oligarques ni les travailleurs, les magistrats les médecins ou les étudiants ni même ces millions de personnes qui sont sorties dans les rues du pays chaque vendredi depuis le 22 février. Les multiples contradictions de la société algérienne ne sont absolument pas évoquées. Elles ne représentent visiblement pas le facteur principal de la crise. Les acteurs sont les services occidentaux.
Ces auteurs procèdent par analogies. Ils décontextualisent totalement la dynamique politique dont ils ne cherchent à aucun moment à faire ressortir les soubassements. Ils grossissent au microscope un élément de la conjoncture, celui des agissements de grandes puissances, agissements qui sont par ailleurs permanents et qu'aucun analyste ne peut ignorer et ils en font «Le» facteur principal, voire quasi unique d'explication de la crise. Comme si un mouvement de millions et de millions d'individus qui font le peuple, pouvait être actionné à distance ou par des relais locaux. Or, aucun mouvement de cette importance ne peut être chimiquement pur. Il contient forcément en son sein des forces contradictoires, nationales et étrangères. Mais orienter de manière aussi ostentatoire le regard sur cet unique aspect s'avère aussi caricatural que misérable.
Ces textes s'avèrent finalement d'une navrante pauvreté. On n'y trouve pas la moindre analyse historique, même la plus sommaire, de la formation sociale algérienne ni la moindre analyse de la séquence politique que nous vivons, de la crise économique, sociale, politique et idéologique du pays. L'Algérie réelle, dans la complexité de ses classes sociales et de leurs luttes, son régime politique, ses courants idéologiques..., n'existe apparemment pas. Notre peuple est présenté de la façon la plus méprisante qui soit comme un objet sans âme ni colonne vertébrale. Un peuple dépourvu de conscience, un objet réduit au nom de «rue».
Cette masse informe s'avère d'autant plus inconsistante, elle et son Etat d'ailleurs, que la lutte actuelle n'oppose pas principalement des forces sociales internes, mais des forces extérieures.
L'existence de pressions et d'ingérences plus ou moins brutales ou habiles des puissances étrangères occidentales, mais aussi de certaines monarchies du Golfe persique ne fait aucun doute. Le contraire nous aurait étonnés tant il s'agit là, en vérité, d'une lapalissade. Mais ces agissements extérieurs doivent impérativement être replacés dans le contexte général de la politique étrangère de ces puissances et leur rôle précis explicité par le biais des contradictions internes au pays. Est-on certain, à titre d'exemple, que les intérêts français ne sont pas déjà servis par le biais du partenariat d'exception signé entre le gouvernement algérien et Paris? Et que dire de«l'excellence des relations entre l'Algérie et les Etats-Unis» soulignée par l'ancien ministre des Affaires étrangères Abdelkader Messahel à quelques jours de la 4e session du Dialogue stratégique algéro-américain tenue début février 2019 à Washington? Il est évident que la France et les USA préfèreraient traiter avec un régime totalement soumis à leurs intérêts et desiderata. Sont-ils prêts pour autant à mettre l'Algérie à feu et à sang pour y arriver, sachant que la plupart du peuple et des opposants - à l'exception d'une poignée d'ultralibéraux défendant les intérêts de la fraction compradore de la bourgeoisie algérienne- sont viscéralement attachés à l'indépendance nationale du pays de la révolution du 1er Novembre? Cela est théoriquement possible, mais ni le général Delawarde ni Ahmed Saâda ni l'auteur de l'article libanais ne nous en ont apporté la preuve.

L'Algérie va enfin s'émanciper du régime instauré depuis 1962?
La réduction de l'histoire de l'Algérie indépendante à un régime de dictature me semble aussi réductrice que dangereuse. L'Algérie indépendante a certes vu l'instauration d'un régime de parti unique. Mais ce régime, durant les deux premières décennies, a travaillé à la construction d'un Etat et d'une économe indépendants de l'ancienne métropole et de toute autre puissance impérialiste. Il a incontestablement démocratisé l'éducation et la santé, ouvert les portes de l'université au peuple, amélioré substantiellement la condition des classes populaires urbaine et rurale, freiné le développement des inégalités sociales contrairement à ce que l'on a pu constater en Tunisie et, surtout, au Maroc. Il a empêché le développement d'une bourgeoisie compradore qui serve de relais au capitalisme international pour piller les ressources naturelles et humaines de notre pays. Il a industrialisé le pays et combattu la domination capitaliste et impérialiste internationale et s'est solidarisé avec les peuples du monde en lutte en Afrique, en Asie et en Amérique latine.
Lutter contre le régime autoritaire à façade démocratique oui, mais sans jeter le bébé avec l'eau du bain. Notre projet doit allier démocratie, justice sociale et souveraineté nationale donc lutte contre l'autoritarisme, le libéralisme économique et les ingérences et pillages impérialistes.

Il y a une multitude de propositions de sorties de crise. Comment les voyez-vous?
La première, celle du pouvoir, revient à conserver l'actuel régime libéral-autoritaire à façade démocratique. Elle est massivement rejetée par le peuple. La seconde est celle des ultralibéraux de l'opposition (démocrates, islamistes et nationalistes) qui utilisent la revendication démocratique pour arriver aux affaires et appliquer une politique économique encore plus antinationale et une politique sociale encore plus dure (les «nécessaires sacrifices»). Une telle issue implique l'élection, le plus rapidement possible, d'un Président qui pourra, fort du vote des citoyens, appliquer sa potion ultralibérale. La troisième est celle défendue par les forces de gauche qui proposent la mise en place d'une Constituante afin que le peuple décide non seulement d'élire ses représentants, mais aussi et surtout, préalablement de l'architecture institutionnelle du pays. A-t-on besoin d'un président de la République ou non, d'un Sénat ou non?
Combien de fois un député, un maire... peuvent-ils être réélus? Quel doit être le montant de leurs salaires? Peuvent-ils être révoqués par les citoyens s'ils trahissent leurs engagements?
Plus les citoyens participeront massivement à la définition du régime politique et plus ce dernier sera solide car reposant sur la confiance des mandants. L'argument de l'urgence ne tient pas face à la nécessité de donner au peuple les moyens réels, et non théoriques, d'exercer réellement sa souveraineté.

De Quoi j'me Mêle

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