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Mille milliards de dollars dépensés en 20 ans

Les ogres de La République

« Les arrestations ne suffisent pas sans qu’il y ait un véritable jugement des coupables et la récupération des biens volés et détournés. »

L’avènement du Hirak, un phénomène social de soulèvement pacifique inédit et unique dans son genre, fait, à ce jour et depuis le 22 février dernier, défiler des millions de manifestants chaque vendredi et embrouille toutes les cartes politiques. Même les arrestations des pontes du régime, deux ex-Premiers ministres, des ministres, des hommes d’affaires, des « Reb Edzzayer », comme le général Toufik ou Tartag, n’ont pas suffi à calmer la volonté de changement scandée haut et fort, chaque vendredi. La confiance est sérieusement rompue et le peuple ne croit plus en la justice de son pays. Comment est-ce possible ?
Les faits sont là, têtus, pour nous rappeler la réalité du système et de ses hommes qui ont pris en otage, tout un pays et l’avenir de plusieurs générations. C’est le même personnel que le système recycle au mépris de la raison et de la loi. Cette loi, au nom de laquelle le jeune Abdelaziz Bouteflika a été condamné dans les années 1980, et qu’il foulera aux pieds quelques années plus tard. Alors ministre des Affaires étrangères, Bouteflika est poursuivi par la Cour des comptes pour des accusations de détournement de deniers publics placés dans des comptes en Suisse.
« M. Abdelaziz Bouteflika a pratiqué à des fins frauduleuses une opération non conforme aux dispositions légales et réglementaires, commettant de ce fait des infractions prévues et punies par l’ordonnance n°66-10 du 21 juin 1966 et les articles 424 et 425 du Code pénal», écrivait le puissant quotidien gouvernemental El Moudjahid dans son édition du 9 août 1983

Il revient 20 ans après…
Aux yeux de l’instance judiciaire, Abdelaziz Bouteflika a donc bien détourné de grosses sommes d’argent entre 1965 et 1978. Il demeure, à ce jour, redevable à l’État algérien d’une somme de 58 868 679,85 dinars. L’argent en poche, il s’adonnera à une belle « traversée du désert », il foulera les salons de la haute société occidentale et les cours les plus convoitées des monarchies du Golfe. Il s’en servira à bon escient après avoir manqué de succéder à son mentor, le président Houari Boumediene, jusqu’à ce que l’armée le rappelle au début des années 90. Abdelaziz Bouteflika est devenu, 20 ans après sa condamnation, président de la République ! Installé par les généraux, à leur tête Khaled Nezzar, Bouteflika finira par prendre le dessus sur ceux-là même qui l’avaient intronisé. Pour son premier gouvernement, Bouteflika nommera comme Premier ministre, Ahmed Benbitour, un homme du système qui a accompagné Ouyahia et le général Toufik pendant toute la décennie noire, de 1990 à 2000. Durant la période allant de 1991 à 1992, Benbitour était chargé de mission à la présidence de la République. Il a été nommé successivement ministre délégué au Trésor en 1992, puis ministre de l’Energie en 1993, ensuite ministre des Finances sous le gouvernement de Ahmed Ouyahia en 1994, pour les négociations avec le FMI. C’est lui qui a signé avec cette institution financière l’accord « stand-by ». La période était très difficile au plan économique. C’était l’époque où l’on fermait les entreprises à tour de bras et faisait subir les plans d’austérité aux familles algériennes. C’était également l’époque de la libération de l’économie et la liquidation du secteur public. Arrivent ensuite les Ali Benflis, Abdelaziz Belkhadem, un homme de l’appareil du FLN, Ahmed Ouyahia, Sellal, Tebboune et, enfin, Bedoui. Il faut dire qu’aucun gouvernement de Bouteflika n’a connu de fonctionnement sans scandales à répétition.

Abdelaziz Bouteflika a généralisé la corruption
Le successeur du président Zeroual a utilisé, « à bon escient », l’argent de la rente pétrolière qui coulait à flots. Il en a fait une arme redoutable, aussi bien au plan national qu’international. La
règle : tout le monde a un prix ! Officieusement admise par les institutions, la corruption servait de marchepied pour Bouteflika. Cette arme de la corruption sera confiée à des cercles restreints, occultes, constitués de ses hommes de main, qui, à leur tour, forment leurs propres réseaux d’influence. La rente pétrolière est dilapidée et partagée entre les privilégiés de la mécanique du système de Bouteflika. On parle de 1 000 milliards de dollars dépensés en 20 ans ! Il y a eu les scandales Khalifa, Sonatrach 1, 2 et 3, l’autoroute Est-Ouest, des crédits bancaires faramineux non remboursés, des millions d’hectares de concessions agricoles cédées à des aventuriers de tout bord… Rien n’a été laissé au hasard, on dirait qu’il y a une volonté manifeste de brader massivement l’Algérie. Ghazi Hidouci, ancien ministre des Finances du gouvernement Hamrouche, relève : « Abdelaziz Bouteflika avait créé une véritable entreprise mafieuse à l’intérieur du pays et à l’étranger. Les entrepreneurs, les importateurs, les bureaux de consulting, les partenariats, etc. poussaient comme des champignons. L’argent provenant de la rente pétrolière à la suite de la flambée des prix semble inépuisable.» Et d’ajouter : « Bouteflika a planifié le bradage des richesses du pays et un hold-up de l’argent de l’Etat, en mettant la Sécurité nationale en danger. »
Abdelaziz Bouteflika a généralisé la corruption, s’est ingénié dans les procédés et s’est imposé en véritable parrain de cette entreprise mafieuse, avant qu’elle ne soit récupérée par son frère, Saïd. Des banques privées, des chaînes de transport aérien s’ouvrent et défient les sociétés publiques. Des golden boys dans le monde des affaires poussent comme des champignons. Ainsi, des pharmaciens sont devenus banquiers, des épouses, femmes d’affaires, des fils, jeunes entrepreneurs, des gendres promoteurs immobiliers… A ceux-là, il faut ajouter les ex-terroristes, les prête-noms, les hauts gradés de l’armée, les ministres, les pontes de la haute administration, les notables jouissant de la légitimité maquisarde, qui sont devenus les nouveaux monnayeurs du marché national et international, postés dans les grandes capitales. Ils sont dans la diplomatie, dans les agences et organismes nationaux, régionaux et internationaux. Ils sont dans le négoce des matières premières, les produits alimentaires, les produits informatiques et dans la distribution, souvent en situation de monopole. Ils sont devenus les nababs de l’Algérie de Bouteflika ! « La corruption en Algérie est pire que le terrorisme », juge Ghazi Hidouci. « J’ai évalué le stock d’évasion de capitaux à environ 200 milliards de dollars. Sur ce chiffre, j’estime à environ 140 milliards de dollars l’évasion au cours des 20 dernières années », analyse pour sa part Ali Benouari, ancien ministre du Trésor. L’évasion des capitaux se fait, soit par la prise des commissions sur les marchés publics (environ 40 milliards de dollars), soit par la surfacturation sur les importations privées (environ 70 milliards). Quant aux 20 milliards qui restent, selon l’expert financier, ils ont « disparu via le marché parallèle (environ 20 milliards). Ici les dinars ne sortent pas, mais ils sont compensés avec les devises qui auraient dû normalement entrer au pays au titre des transferts des émigrés, d’une partie des investissements directs étrangers, des frais de fonctionnement des bureaux étrangers, de la contrebande de marchandises, etc. ».

Des hommes organisés en mafia
Les experts des questions financières soutiennent que l’Algérie a engrangé 1 000 milliards de dollars US en 20 ans de règne de Abdelaziz Bouteflika. Que reste-t-il aujourd’hui de cette rente pétrolière ? Les caisses de l’Etat sont vides et la crise menace le pays. La justice arrivera-t-elle réellement à tirer au clair tout cet enchevêtrement de relations corrompues, cette toile d’araignée tissée par des hommes organisés en véritable mafia ? Ou c’est juste de la poudre aux yeux, du cinéma pour régaler la galerie et faire oublier qu’une véritable justice indépendante est une institution placée au-delà des hommes forts du moment ? Le cas Bouteflika, épinglé par la Cour des comptes, puis blanchi et intronisé président de la République, 20 ans durant, fonde légitimement le scepticisme des observateurs. Il faut dire aussi que beaucoup manquent à l’appel à la prison d’El Harrach : Chakib Khelil, Amar Ghoul, Amar Tou, Karim Djoudi, Saâdani, Tliba, Zellali, Bejaoui, Zerhouni, Louh, mais aussi les walis, les chefs de daïra… Ce sont toutes ces personnes, faisant partie du personnel politique et administratif, que le peuple veut voir jugées et incarcérées pour tout le mal qu’elles ont fait au pays.
Le peuple, longtemps trahi, a perdu confiance en ses dirigeants, en dépit de leur bonne volonté. De tels doutes sont légitimes. Les Algériens veulent une justice indépendante qui ne peut être garantie que par un Etat de droit où les élections sont libres, pluralistes et transparentes », explique le sociologue Addi Lahouari. Et de s’interroger :
« Pourquoi les protagonistes des affaires Khalifa, Chakib Khelil, Sonatrach I et II, l’autoroute Est-Ouest, et d’autres encore n’ont pas été arrêtés ? L’interrogation du professeur Addi est légitime et dit tout haut ce que le peuple pense tout bas. Il y a beaucoup à faire pour éradiquer la mafia institutionnelle et ce n’est pas une simple mission en dépit de la bonne volonté et de la détermination affichée par l’état-major de l’armée », explique Lakhdar Bouregaâ. Benyoucef Melouk rejoint l’ancien commandant de la Wilaya 4 historique et assure : « Etablir un pouvoir judiciaire indépendant, ce n’est pas un vain mot, c’est un sacrifice. »

Le rêve d’une justice libre
Lundi dernier, 17 juin, Gaïd Salah, chef d’état-major de l’ANP, a déclaré dans son discours : « (…) que quelles que soient les circonstances, de façon à faire comparaître devant la justice tous les corrompus, quels que soient leur fonction ou leur rang social ». Il faut dire que c’est louable comme mission, mais aussi difficile et périlleuse sans un soutien de tout le peuple. Car, il y a beaucoup d’intérêts en jeu et les parties seraient liées même à des influences étrangères. Bouregaâ ajoute que : « Selon les estimations de plusieurs experts nationaux, entre 300 et 350 milliards de dollars ont été transférés illicitement durant les vingt dernières années. » Lakhdar Bouregaâ assure : « Le chef d’état-major mène un grand travail dans le cadre des arrestations menées contre le terrorisme financier. C’est très osé de sa part! On a l’impression qu’il est en train de répondre aux revendications du Hirak qui exige l’arrestation des symboles de la tyrannie et de ceux qui ont vidé les caisses de l’Etat. Mais il faut dire que les arrestations ne suffisent pas sans qu’il y ait un véritable jugement des coupables et la récupération des biens volés et détournés. » Des personnes longtemps intouchables ont été incarcérées, comme par magie. Le vieux général fait des échos sur la scène internationale, le monde l’admire et s’interroge : ses déclarations relèvent-elles d’une véritable volonté d’en finir avec les habitudes d’un système et accompagner le mouvement du peuple, ou s’agit-il juste d’un coup d’épée dans l’eau ? Une chose est sûre : Gaïd Salah a fait de la prison militaire de Blida le nouveau lieu de résidence des tout-puissants de l’armée algérienne et du pénitencier d’El Harrach, celui des symboles du gouvernement algérien et de leurs relais politico-financiers. L’humour populaire en fait déjà des blagues. La prison d’El-Harrach est rebaptisée « nouveau siège du gouvernement et Blida le siège de la Présidence».

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