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Doutes, inquiétude et peurs sur la transition politique

Les frissons d’une angoisse algérienne

Comme des lendemains de révolution, une ère s’achève et une autre commence.

La spectaculaire mobilisation populaire non-stop, depuis le vendredi 22 février 2019, aura abouti à l’émergence d’une situation jusque-là inédite et inimaginable dans le contexte politique algérien. En moins d’un trimestre, le régime dictatorial de Bouteflika et de sa famille commence à être démonté par décapitation symbolique. Le «dauphin» pressenti, Sad Bouteflika, et prématurément imposé ainsi que les ex-généraux Médiène et Tartag ont été arrêtés et présentés à un juge militaire avec le chef d’inculpation «d’atteinte à l’autorité militaire». La chute des acteurs chefs de file des «Janviéristes» est spectaculaire, filmée avec de subtiles précautions comme la montée des marches de Mohamed Mediène et Tartag qui apparaît comme un long roulement de tambour qui scandait autrefois la marche vers l’échafaud, des despotes voués à la guillotine par les révolutionnaires. Comme des lendemains de révolution, une ère s’achève et une autre commence. Notons aussi que ces mouvements turbulents de pouvoirs restent pour le moment tout aussi flous et opaques qu’ils l’étaient avant le 22 février 2019. A en croire l’énigmatique général Khaled Nezzar, «tout a été fin prêt pour que l’Algérie soit de nouveau mise à feu et à sang».
En effet, selon une confidence de cet ancien général, Saïd, le conseiller et frère de l’ex-président Abdelaziz Bouteflika, qui a mis en place une instance de direction de forces anticonstitutionnelles, pris de panique face au mouvement populaire, envisageait une réaction à chaud : «… ce sera l’état d’urgence ou l’état de siège !». Pour des observateurs avertis, cette décision de Saïd Bouteflika, que confirme Khaled Nezzar, porterait l’empreinte de Toufik. La confidence quant aux tentatives de saborder les aspirations du Hirak et d’enfoncer l’Algérie dans la spirale de la violence et du chaos est d’autant plus surprenante qu’elle vient d’un général responsable devant l’opinion nationale et internationale de la tragédie des années 1990. Maintenant que les maîtres du jeu et les acteurs principaux sont tombés et déjà remplacés, qu’en sera-t-il des règles du jeu ? Resteront-elles les mêmes ?

Nezzar clôt la tragédie janviériste
L’ancien général qui dirigea de fait le Haut Conseil d’Etat, parle, agit et assume. Ce n’est pas un inconnu, lui aussi, des tribunaux ! Il écrit, il parle et plaide à Alger, à Paris comme à Genève. «Je suis, selon ce qui se dit, çà et là, l’homme qui a ‘’refusé’’ le verdict des urnes en faisant ‘’avorter’’ l’éventuelle révolution démocratique et sociale en janvier 1992, (…. j’assume…).» Les avis sont fort partagés et celui de Hocine Ait Ahmed n’est pas des moindres quand il dit à son sujet qu’il restera toujours une balafre qui a vu couler «un fleuve de sang». L’annulation des élections législatives en 1991 a été largement soutenue par une grande partie du pouvoir militaire, même si cette position n’était pas déclarée par un porte-voix. «L’époque de la doctrine janviériste («si ce n’est pas nous c’est le chaos») est révolue. Les généraux qui l’ont portée ont d’abord été laminés par la machine infernale du système Bouteflika avant d’être rattrapés par l’âge et la mort, ou par la justice pour des raisons multiples et diverses. Il reste néanmoins vrai que l’armée est une institution contrainte au rajeunissement et à la modernisation accélérée. Aussi il y a fort à parier que le Haut Commandement actuel cédera sa place à une nouvelle génération dès que le climat redeviendra sain et que sera écartée toute menace sur l’unité et la cohésion de l’armée. C’est un impératif d’efficacité et de modernité et une garantie pour le renouveau démocratique», expliquera Belaïd Abane
Le balayage opéré par le chef d’état-major de l’Armée, Gaïd Salah répond-t-il à la fin d’un système et ouvrira-t-il les portes aux aspirations du peuple comme il ne cesse de le répéter à travers les multiples messages et discours? Le système politique algérien a toujours accordé une grande attention aux apparences et aux convenances, il fallait donc maquiller l’action afin qu’elle ne puisse être mal interprétée. Déjà en janvier 1992, pour apparaître comme le sauveur, l’armée, conduite par des généraux que l’on désignait de janviéristes, fera appel à des acteurs de la société civile, des personnalités et des acteurs politiques comme le RCD et le Pags et, ignorer à l’autre voix, conduite par feu Hocine Ait Ahmed qui plaidait pour la continuité du processus électoral. Mais Khaled Nezzar et compagnie, avaient alors leur feuille de route. Et nul n’aurait pu arrêter le processus enclenché. L’opération «Boudiaf», se fera grâce, même avec «un condamné à mort». Le peuple avait accepté la solution Boudiaf. Il avait même cru à l’espoir revenu. Mais les forces du mal en avaient décidé autrement. L’homme avait été écarté et tenu bien loin de tous les épisodes qu’a connus l’Algérie indépendante.

Gaïd Salah à l’épreuve de la transition
Voilà qu’en tant que «Rab des r’boubs» (Dieu des dieux), Khaled Nezzar se rappelle du coup d’Etat mené contre le gouvernement provisoire de la République algérienne (Gpra), de la prise du pouvoir par Ben Bella, du coup d’Etat de Boumediene, de la mort du Raïs, des ambitions présidentielles de Abdelaziz Bouteflika et de sa mise à l’écart lors de la désignation de Chadli Bendjedid au poste de président de la République et enfin de sa démission forcée. Mémoire vivante des crises successives post-indépendance, Khaled Nezzar se souvient aussi de l’ouverture politique d’octobre 88 et de la répression sanglante qui s’en est suivie. Il se souviendra également de son blocage qui donnera naissance à la déferlante islamiste dont les meneurs seront, eux aussi, désignés, manipulés puis diabolisés pour justifier, à la fois, l’arrêt du processus électoral, l’appel à Boudiaf et sa liquidation physique, dont la scène sera diffusée en direct à la télévision nationale, des dizaines de milliers de morts et de disparus ainsi que des dommages collatéraux se chiffrant en dizaines de milliards de dollars US.
Le général se rappelle également de la solution Zeroual, rappelé de son domicile à Batna puis remobilisé en urgence au nom de l’intérêt suprême de la nation : «La guerre totale contre le terrorisme.» A mi-mandat présidentiel, Zeroual contraint de quitter aussitôt sa mission au nom de la même raison ! Il sera remplacé une fois la mission accomplie ! S’ensuit alors la venue du «messie», Abdelaziz Bouteflika, qu’on a relooké avec des titres tapageurs : «Abdelkader El Mali, le ministre des Affaires étrangères de Boumediene et son dauphin, l’homme qui incarnera l’Algérie et qui ne se laissera pas prendre pour une bouchée par les généraux, qui sera le sauveur suprême, qui réalisera la Réconciliation nationale, qui fera table rase du passé !...etc …etc….
L’arrivée de Bouteflika, imposé par l’équipe des janviéristes ouvre un nouvel acte d’une nouvelle tragédie dans les annales de l’Histoire de notre pays. Après une «amnésie générale», pour reprendre les termes de maître Ali Yahia Abdenour, l’on assistera au bradage des richesses nationales et à la corruption organisée érigée en mode de gestion.
Du jour au lendemain, des milliardaires sont nés ! Des anciens terroristes sont reconvertis dans les «affaires» et font du commerce formel et informel, une deuxième religion ! Des généraux en retraite ou en fonction deviennent des caïds et des barons de l’import-import, et se disputent l’immobilier et le foncier national. Les hommes de paille, prête-noms, fils ou proches de tel grand bonnet deviennent les noms-de-marque de la République. Des imposteurs sont nommés à la tête des institutions dont ils se servent pour faire du Trésor public leur bien monopoliste. On assistera, trois décennies plus tard, aux mêmes scénarii, comme si l’histoire ne faisait que se répéter. Révolte populaire, risque d’effondrement des institutions et de délitement de l’Etat, des hommes tombent et d’autres les remplacent dans une atroce et implacable guerre des clans et des ombres sur fond de coups fourrés, stupéfiants …Une atmosphère d’enfer et d’apocalypse. Et comme toujours, en ultime recours le même scénario avec l’entrée en scène des militaires appelés à sauver la situation critique. Mais à quel prix ?! L’armée algérienne depuis l’indépendance et depuis la prise du pouvoir par l’état-major de l’armée s’est imbriquée dans le jeu politique comme une constante.

Messie ou cavalierde l’Apocalypse
Ses retours en force sur le devant de la scène s’assimileront à des retours cycliques sous les feux de la rampe, ainsi que «l’Eternel retour» de Nietzsche. Puisque l’histoire semble ne faire que se répéter et puisque le peuple algérien est éternellement condamné à se battre contre les mêmes démons qui hantent son histoire, ces forces obscures sont qualifiées de «forces extra constitutionnelles» tout particulièrement ces dernières.
Les représentants de ce système ombrageux et obscur, nous apparaissent en costume. Toutefois, dans le réel pouvoir de l’antichambre décisionnelle, ils portent une casquette. Les présidents successifs depuis l’indépendance ne disposent pas d’un pouvoir réel, leur marge de manœuvre a toujours été réduite. Leurs pouvoirs se limitent à ce que leur concède le pouvoir militaire dans l’arrière-cour. Rien ne se décide, rien ne s’exécute sans l’aval du pouvoir militaire. Cette mainmise restera toujours feutrée et discrète. Mais dès qu’elle sort de son mutisme lors des grandes crises, c’est pour imposer sa feuille de route. Le pouvoir militaire s’évertue à entretenir cette démocratie de façade.
Souvenons-nous du fameux discours de Chadli Bendjedid quand il annonça sa démission : «Au cours des derniers jours, des décisions ont été prises que je ne saurai approuver.» Quelle force autre que le commandement militaire pouvait imposer des décisions au président de la République ? Depuis, les choses ont changé. Voilà que maintenant c’est un président très affaibli et dont les pouvoirs sont confisqués par son frère, qui des années durant, fait «l’empereur» sur le peuple réduit à l’humiliation et transforme le pays en arène de spectacles à faire la risée du monde entier. Mais le peuple n’en pouvait plus de supporter cette sinistre comédie.

Les vœux de Abane Ramdane
Le voilà qui sort pour investir la rue et imposer une rupture radicale avec l’ordre traditionnel en brandissant une même revendication :« système dégage». L’Algérie en crise est arrivée à un tournant déterminant de son histoire vers un avenir pour des lendemains porteurs de dignité, d’espoir, de liberté et de vie meilleure. Outre l’institution militaire, il est triste de constater que la légitimité fait défaut dans toutes les autres institutions. Aujourd’hui, nous assistons à une autre manifestation de cet « Eternel retour », le but étant surtout de combler le vide constitutionnel et de ne pas lâcher prise après la démission de son ancien protégé « grabataire ». Le pouvoir insiste pour maintenir l’élection présidentielle du 4 Juillet prochain. La situation actuelle n’est que le résultat d’un système à bout de souffle. Les vœux de Abane Ramdane verront le jour peut-être quand le politique primera sur le militaire. Le peuple algérien essaie à l’heure actuelle de briser ces retours cycliques. Hier, sur la place de la Grande Poste, à Alger, un incident repris par les médias et forums sociaux, tous ces manifestants scandent « c’est notre pays et nous ferons ce que bon nous semble ». Trois hommes s’aventurent à monter sur un camion des forces de l’ordre tout en brandissant le drapeau algérien. Nombreux sont ceux qui ont signifié et crié à ces hommes de descendre du toit du camion. Cela n’est pas anodin. Aux yeux de beaucoup d’Algériens, le fait de monter sur un camion des forces de sécurité est empreint de toute une symbolique, au mieux une légère provocation face au pouvoir militaire, au pire le peuple qui arrache le pouvoir à l’institution militaire. Chacun en fera sa lecture personnelle. Mais l’instant ne peut rester ignoré. Ce sont toujours les militaires qui imposent leur solution à un peuple qui, pourtant, a fait preuve de maturité politique et de pacifisme qui a laissé coi le monde entier, au point que l’on suggère son mérite potentiel du prix Nobel de la paix ! La rhétorique de la «main étrangère», de la «violence islamiste», de la «dérive sécuritaire » ne convient plus à personne et tout coup de force des militaires ne fera que mettre la noble institution qu’est l’Armée nationale et populaire au banc des accusés de crime contre son propre peuple. Le peuple algérien apparaît désormais comme serein, conscient des manipulations et tout autant de sa souveraineté spoliée. Chaque vendredi depuis le 22 Février, le peuple algérien s’évertue à réclamer cette même souveraineté. Si on persiste encore une fois à imposer une feuille de route, le peuple algérien répondant par la force de la «sylmiya», le slogan «Khawa khawa» ne risque-t-il pas d’être vidé de son sens?

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