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LE PROFESSEUR BELAÏD ABANE À L'EXPRESSION

"Le renouveau ne viendra pas du système"

Auteur de plusieurs livres sur l'histoire mouvementée de l'Algérie, Belaïd Abane, en analyste averti, décrypte dans cette interview la protestation du peuple algérien qui veut en découdre avec le système et soutient que c'est l'heure de la rupture. Belaïd Abane souhaite la fin rapide du cycle politique qui dure depuis l'émergence dans le mouvement national. Il estime que les Algériens ont atteint la maturité citoyenne nécessaire à l'instauration de la démocratie. Pour la gestion d'une éventuelle période de transition, Belaïd Abane propose les noms de Liamine Zeroual, Ahmed Taleb El Ibrahimi, Djamila Bouhired, le commandant Bouregaâ, Hocine Zehouane. Il exclut, par contre, des personnalités telles que Karim Tabbou, Mustapha Bouchachi, Soufiane Djilali, Zoubida Assoul, Abdelaziz Belaïd, qui manifestent pour la présidentielle, parce qu'on ne peut pas être juge pour devenir ensuite partie. D'un autre côté, Belaïd Abane croit en l'opposition et sans exclusion, tout en lançant l'idée d'une charte d'éthique que devront signer les formations politiques; il parle ensuite de ce qu'il appelle l'opposition militaire constituée des anciens responsables du DRS.

L'Expression: Peut-on faire un parallèle entre le «Hirak» actuel, cette formidable mise en mouvement de la nation algérienne et la déflagration du 5 octobre 1988?
Belaïd Abane: Non pas du tout. Octobre 88 était intervenu dans un contexte de dépolitisation générale de la société, mise à part une opposition souterraine et la fronde politique permanente de la Kabylie. En 88, il n'y avait pas de mots d'ordre politiques. Du reste on sait avec le recul que c'était une manoeuvre du système destinée à libéraliser l'économie. Ce qui fut fait. Le «Hirak» actuel est éminemment politique. Il demande que soit accélérée la fin de ce cycle qui dure depuis l'émergence dans le mouvement national de l'aile activiste révolutionnaire, celle qui a précisément précipité la fin du cycle de Messali arrivé en bout de course au début des années 1950. On assiste exactement au même phénomène: un Bouteflika devenu un totem adoré comme une icône divine, comparé même par ses flagorneurs à Sidna Brahim al Khalil. En plus simple, la légitimité historique pour prendre le pouvoir et le garder est maintenant périmée. Il faut passer à autre chose et c'est ce que demande le peuple en marche.

Après la mobilisation massive ayant gagné l'ensemble du territoire algérien, comment voyez-vous la suite des événements?
Bien évidemment, la rue n'abdiquera pas car elle a déjà engrangé des succès considérables en faisant rétropédaler le président Bouteflika et le système qui en sort ébranlé au point où l'on commence à enregistrer de nombreux reniements et défections dans ce que j'appelle le système Bouteflika. Dans l'opinion internationale, la protesta algérienne a suscité une très grande admiration et a même été citée en exemple à suivre, alors que le pays était la risée du monde il y a quelques semaines. Du côté des forces de sécurité l'exemplarité a été irréprochable. L'armée et la police de notre pays ont pris conscience que le premier qui tire sur une foule pacifique et désarmée est un «homme mort». Les revendications ont également évolué. Le refus du 5e mandat s'est mué en un rejet sans appel de tout le système. Ces immenses marées humaines de toutes les villes d'Algérie défilant toutes tendances confondues et soudées autour de mots d'ordre unitaires montrent également, que les Algériens ont atteint le stade de la maturité citoyenne, pré-requis à l'instauration d'une véritable démocratie citoyenne dans notre pays.

Si on comprend bien, d'après-vous, la réponse du pouvoir, notamment l'organisation d'une conférence nationale, n'apaisera pas la rue et l'opinion.
Bien sûr que non, car le système ne peut régler les problèmes qu'il a lui-même créés. Et puis ce qu'il propose c'est trop peu et trop tard. Bouteflika a eu 20 ans pour réformer, et il ne l'a pas fait. Le drame de notre système politique est l'absence totale de contre-pouvoirs. Un ego démesuré, l'absence d'intelligence prospective, un régime politique de république bananière, un chef comme un Dieu avant qu'il ne devienne diable...Voilà les maux qui nous ont mené dans l'impasse. Nous sommes dans une mauvaise monarchie républicaine. C'est Bouteflika qui nomme le président du Sénat, de l'Assemblée, de l'Ugta, du FCE... Il a un pouvoir sans limites au point de décider d'un caprice, de construire une mosquée qui coûtera plusieurs milliards de dollars et nécessitera un budget de fonctionnement de plusieurs millions de dollars alors que la nomenklatura ne dispose même pas d'un hôpital où elle peut se faire soigner même par des médecins étrangers puisque elle semble avoir perdu confiance dans la médecine algérienne. Et puis qui pilotera cette conférence nationale? Le renouveau ne viendra pas de Bouteflika et de son système anachronique parvenu au bout de sa course. La seule chose qui importe pour tous les caciques du système est de s'en sortir à bon compte.
La proposition de Bouteflika est une façon de gagner du temps pour partir avec la garantie d'un rideau de protection. C'eut été possible il y a quelques mois. Or, Bouteflika et toute l'oligarchie qui l'entoure ont joué de la ruse en entretenant le suspense jusqu'au 3 mars, date limite du dépôt de candidature. On ne joue pas le sort d'un pays à la roulette russe. Bouteflika a placé son destin personnel au-dessus du destin national. Ce n'est pas la façon de faire des grands hommes. Il s'est voulu comme un de Gaulle sauveur en arrivant au pouvoir. Comment partira-t-il? Certainement pas par la porte d'arrivée.

La révision de la constitution promise est-elle la solution à la crise algérienne actuelle?
Personnellement, je n'ai jamais cru à la «revendication historique du peuple», d'une constituante. Je ne crois pas non plus que l'élection d'une Assemblée constituante soit une priorité. Hocine Ait Ahmed lui-même qui a longtemps porté cette revendication a fini par la mettre au placard. Il avait compris qu'elle apporterait plus de problèmes que de solutions. Dans l'immédiat ce n'est pas en effet la solution, ce serait même une cause de discorde. Personnellement je pense que le préalable à toute élection dans notre pays (présidentielle, législative, constituante...) est l'acceptation par tous les acteurs de la vie politique nationale d'une charte d'éthique politique qui définira les règles du jeu, lesquelles doivent être acceptées par tous. Notamment le caractère républicain de l'Etat, l'intangibilité de toutes les libertés d'association, d'expression, de presse, de conscience, des droits fondamentaux de l'homme et de la femme, des engagements internationaux du pays... Et après cela, nul n'est légitime pour empêcher qui que ce soit d'intégrer le champ politique et d'entrer en compétition électorale. On peut détailler si vous voulez.

Vous avez proposé sur un plateau de télévision, une piste de sortie de crise: un comité des sages. Pouvez-vous préciser votre pensée?
Oui tout à fait. J'avais dit qu'actuellement il n'y a pas de solution constitutionnelle ni juridique à l'impasse politique engendrée par Bouteflika et son système. Il n'y a que des solutions politiques. J'avais proposé que le régime actuel remette ses pouvoirs au lendemain de l'échéance du mandat actuel de Bouteflika, à un comité des sages ou un Directoire auto-constitué, de patriotes consensuels se déclarant prêts à prendre en mains les destinées du pays pour la période transitoire. J'avais même proposé des noms tels que ceux de Liamine Zeroual, Ahmed Taleb El Ibrahimi. J'ajouterai ceux de Djamila Bouhired, du commandant Bouregaâ, de Hocine Zehouane. Ils seront la caution morale pour une transition sans tripatouillages et s'entoureront de compétences et d'experts. On me rétorque que j'ai oublié les Karim Tabbou, Bouchachi, Djilali, Assoul, Abdelaziz Bélaïd... Mais ceux-là ce sont les futurs candidats à la présidentielle. Ils ne peuvent pas être juges pour devenir ensuite partie.

L'absence des partis politiques d'opposition dans la conduite des événements, ne signifie-t-elle pas que la société demande aussi une rupture avec ses représentants traditionnels?
Non, je ne crois pas. Elle rejette sans appel les partis qui ont sans la moindre vergogne réclamé et soutenu un 5e mandat pour un président incapable de gouverner. Et cela dans le but de conserver leurs postes et leurs privilèges. Pensaient-ils, les Ouyahia, Benyounès, Ghoul et Bouchareb et tous les flagorneurs du système, pouvoir se repositionner après une élection présidentielle qu'ils avaient crue pliée d'avance? Voilà ceux que la rue et l'opinion abhorrent, rejettent et condamnent sans autre forme de procès. Quant aux autres partis d'opposition il est bien évident que c'est à eux maintenant de fabriquer l'avenir politique du pays. Voyez l'engouement qui déferle sur la personne de Karim Tabbou qui apparaît désormais comme une personnalité d'avenir incontournable. Mohcine Belabbas aussi qui doit juste prendre son envol avec assurance. Idem pour Zoubida Assoul, Soufiane Djilali, Abdelaziz Belaïd et tant d'autres y compris dans la mouvance traditionaliste que pour ma part je ne désignerais plus par islamiste dès lors qu'ils auront signé la charte d'éthique politique que j'ai évoquée plus haut si un jour elle venait à être élaborée et acceptée par tous.

La vox populi à travers les réseaux sociaux, désigne d'ores et déjà les futurs candidats à la présidentielle. Quelle lecture faites-vous de cette campagne inédite?
C'est une excellente chose. Internet et les réseaux sociaux, ce que j'appelle «le monde ouvert» pour paraphraser une célèbre formule de Karl Popper, est la chance de l'Algérie et de son peuple et aussi de la plupart des pays qui s'acheminent vers la fin de l'autocratie. Nul dictateur, nul système, ne peut martyriser impunément son peuple, car le monde observe. Pour ce qui est des prétendants à la magistrature suprême, avant les candidatures étaient concoctées dans les officines secrètes et les cercles restreints. On présentait alors un candidat de consensus sans que le peuple ait son mot à dire. On était alors sûr que l'élection était pliée d'avance, le tripatouillage électoral étant la seconde nature du système de pouvoir à l'algérienne. Il est temps que la souveraineté du peuple reprenne ses droits. Après bien sûr le mot revient aux urnes, des urnes transparentes gérées par une administration neutre échappant à toute pression de quelque nature que ce soit. Une administration neutre est d'ailleurs l'une des pierres angulaires d'un système réellement démocratique.

Selon vous, quel est l'avenir de ce «Hirak» qui exige pacifiquement un changement radical, alors qu'il n'a ni encadrement ni représentants?
Le «Hirak» comme je vous le disais n'abdiquera pas. Il a pris conscience de sa force et a également perçu que la conjoncture historique lui est favorable. Et que le soutien de l'opinion publique internationale lui est acquis à bon droit. Il y a également que ce mouvement est accompagné non seulement par la véritable opposition politique mais aussi par l'opposition militaire au système Bouteflika.

Que voulez-vous dire par opposition militaire?
Il s'agit de tous les retraités, de tous les congédiés de l'institution militaire et de son noyau dur le DRS qui rêvent de faire tomber le système Bouteflika. Ils ont choisi comme vitrine politique (ils auraient d'ailleurs pu trouver mieux) Ali Ghediri un général à la retraite totalement étranger à la chose politique. S'ils aident à précipiter le départ du système Bouteflika dans l'intérêt suprême du pays, c'est tout à leur honneur. S'ils rêvent de revenir au-devant de la scène pour faire la pluie et le beau temps, alors notre pays ne fera que retomber de Charybde en Scylla.

Peut-on imaginer en Algérie l'émergence d'un modèle de type turc? Y a-t-il risque de voir ressurgir l'aile radicale de l'islam politique dans notre pays?
Ce que je constate, c'est que les traditionnalistes algériens qui s'expriment (je ne parle pas des incultes obtus) ont en grande partie fait leur aggiornamento. Ils ont compris que si on veut prendre le pouvoir et le garder, il vaut mieux emprunter les voies du consensus. D'autre part, nous ne sommes plus dans la situation de 1991 et les 200 000 morts de la décennie noire ne sont pas, je l'espère passées en pure perte. D'autre part, l'expérience turque des islamistes au pouvoir dans un pays officiellement laïc est pour eux un modèle de réussite économique à suivre. Les exemples de la Tunisie, de la Jordanie, du Maroc vont également inciter à la prudence et aux approches consensuelles apaisées. Et si en plus nos traditionalistes s'engagent à signer une charte d'éthique politique pour l'alternance et le respect des droits fondamentaux, y compris la liberté de conscience, alors personne n'est fondé à exclure qui que ce soit de la compétition politique. Quant aux segments radicaux de l'islam politique, ils seront marginalisés et au besoin combattus idéologiquement par les tenants d'un islam traditionnaliste apaisé. Il sera sûrement difficile de s'en départir. Du reste, il n'y a pas une seule société au monde qui n'ait pas ses extrémistes, y compris les démocraties occidentales. Il faut faire avec. Et puis à chaque jour suffit sa peine.

De Quoi j'me Mêle

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