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L'Algérie de la caricature

Comme tous les voleurs, l'anglais tente-t-il d'entrer par effraction chez nous? La langue anglaise ne veut surtout pas emprunter la petite porte de service pour accéder dans la Maison Algérie. Y entrer par effraction? De telles moeurs ne relèvent pas de la culture british non plus. Ça ne fait pas gentleman. Et ce n'est pas pour rien que l'on a adopté le chapeau de forme dans un royaume où la mise vestimentaire n'est ni un ustensile de cuisine ni encore moins un instrument de conquête, mais bien pour se faire distinguer du bonnet. Cette coiffe des
pauvres. Aristocratie oblige. Depuis deux ans au moins, les inscriptions en anglais pullulent aux frontons de nos édifices publics. Le siège abritant les Archives nationales, l'université de Dély Brahim et tant d'autres hauts lieux du savoir ont troqué la langue de Molière contre celle de Shakespeare. Sans crier gare, à leur tour, des ministères ont cru bon de suivre cette tendance à la mode.
Du ministère de la Défense nationale à celui des Affaires étrangères en passant par bien d'autres, les Algériens découvrent avec stupéfaction que l'anglais a bien envahi leurs espaces de vie. Et cela ressemble bien à un viol... linguistique. Sans coup férir, la dernière démonstration de cette «infidélité» nous vient de la Haute Instance indépendante de surveillance des élections. Les écrans des Télévisions nationales ont relayé à merveille ce tour de passe-passe zoomant sur cette image de l'affiche officielle où seule la langue anglaise figure à côté de l'arabe. Good morning Sir!
Mais que vient donc faire cet intrus d'anglais chez nous? Par qui a-t-il été invité? Sans gêne, il a traversé le vestibule pour investir le salon familial en attendant d'aller tout droit vers la chambre à coucher et de soulever ses secrets d'alcôve! Des responsables algériens ont-ils donné à ce point leur feu vert pour une guerre non déclarée à la langue française dans un pays où elle est présente dans les trois quarts des foyers? Mais qui se cache derrière cette conspiration et à qui profite-t-elle? L'Algérie est le deuxième pays francophone dans le monde. Nos plus grands écrivains et penseurs, pour ne pas dire toute notre élite, représentent admirablement notre pays dans le monde en s'exprimant dans cette langue.
Nos écrivains, Mohamed Dib, Kateb Yacine, Mouloud Feraoun, Mouloud Mammeri, Assia Djebar, pressentie même plusieurs fois au prix Nobel de littérature, ont incarné avec talent l'âme de cette Algérie en s'exprimant en français!
Mais pourquoi ravaler chez nous cette langue de civilisation qui est d'un grand apport à la culture universelle, alors que tant d'autres pays nous l'envient? Notre administration, notre environnement quotidien ainsi que nos habitudes culinaires et vestimentaires en portent encore le sceau plus d'un demi-siècle depuis que le colonialisme a été bouté hors de ce pays. Tout notre humus se trouve ainsi mêlé, modelé et façonné par cette langue qui nous a fait prendre conscience de ce que nous sommes avec les valeurs humanistes que des écrivains comme Zola, le défenseur des pauvres ou Jean-Paul Sartre, ce chantre de la liberté, qui a soutenu l'indépendance de l'Algérie, ont érigées tout au long de leur vie en un combat juste et éternel.
Posons-nous alors la question qui tue: pourquoi toute cette haine de certains responsables contre une langue qui a été une irremplaçable arme de combat pour nous?
Disons-le tout net: nous nous sommes émancipés grâce au français. Le grand écrivain Kateb Yacine a su admirablement s'en accaparer pour créer son chef-d'oeuvre Nedjma tout en proclamant à la face du monde que pour les Algériens que nous étions et que nous sommes devenus «la langue française est un butin de guerre».
Nos écrivains Yasmina Khadra et Kamel Daoud ne suffisent-ils pas à eux seuls aujourd'hui à porter la réplique de leur génération à ces nouveaux combattants d'arrière-garde? A quoi donc rime toute cette hypocrisie alors que le gouvernement délibère dans ses réunions en langue française et que le Journal officiel reste toujours traduit dans un sens unique, du français vers l'arabe? S'obstiner à vouloir substituer dans ce pays l'anglais au français signifierait, ni plus ni moins, pour la majorité des Algériens, une déclaration de guerre. Nous connaissons bien les hommes qui inspirent cette cabale espérant ainsi renverser l'ordre des choses pour imposer leur diktat au peuple. Cette frange islamo-baâthiste qui ne rechigne pas à polluer, par vocation, tout une nation, ne nous veut pas de bien. Elle a une perception erronée de l'Algérie. Elle est figée à sa théorie selon laquelle l'anglais est une option incontournable car il est la seule langue qui vaille, parce qu'elle est celle de la modernité et du développement. Quant au français selon elle, il serait en...voie de disparition. Tout le drame de cet antagonisme franco-anglais se situe désormais à ce point de rupture pour eux. Un proverbe chinois ne dit-il pas que «les balais neufs balayent toujours très bien?». Les responsables de cette tromperie sont convaincus que le pays est à la ramasse. Ils veulent nous imposer un dogme que nous n'avons pas choisi. En vérité, ils sont convaincus qu'il leur est interdit de prendre l'ascenseur social tant que les francophones continuent de prédominer et tant que la langue arabe ne s'impose pas comme une langue hégémonique grâce à son statut de langue officielle. Dans cette bataille qu'ils s'apprêtent à livrer, ce n'est guère l'avenir de la langue arabe qui les empêche de dormir, mais bel et bien les moyens d'arriver à conquérir le pouvoir, fussent-ils malhonnêtes et délictueux. Aujourd'hui, on a fait bander leurs yeux aux Algériens non pour jouer à Colin- maillard, mais pour les amener dans la direction du plus proche abattoir de la récession culturelle. Ce sont des ministres qui ferment les yeux sur l'inacceptable! Derrière le prétexte d'une langue française que l'on voue au châtiment aujourd'hui, se cacheraient peut- être à en croire ces thuriféraires, des troupes d'occupation. Voilà l'impensable qui prend le relais de la bêtise. Cette histoire de vouloir remplacer la langue française par l'anglais est une tromperie. Et il est temps qu'elle prenne fin. L'Algérie d'aujourd'hui est décomplexée. Un gouvernement qui se respecte ne doit pas tolérer des atteintes à l'autorité de l'Etat, sinon comment expliquer l'existence de tous ces frontons qui ornent en anglais nos institutions. Pourquoi chez nos voisins marocain et tunisien, pays francophones par excellence, ce phénomène linguistique est-il inconnu de nos jours? N'est-il pas temps de finir avec ce crime par anticipation contre la langue française? Les Algériens sont heureux de vivre comme ils le désirent en lisant un quotidien en français, et il en existe une cinquantaine dans le pays ou en savourant pour leur petit-déjeuner, un café-crème au croissant. Enterrons donc ensemble cette Algérie de la caricature.

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