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La Vie en Livre : Abderrahmane Berrouane Aux origines du Malg

«Un minimum de confiance, un maximum de sécurité»

Le titre dit tout. Il sonne comme un avertissement et même une menace. Il appartient à Abdelhafid Boussouf, le père des services algériens. C’était sa devise, que toute recrue devait adopter pour en faire une ligne de vie. Boussouf ? Boussouf, vous avez bien dit Boussouf. Rien qu’à l’énoncé de son nom, on tremblait de peur. C’était l’homme qui inspirait le plus de crainte à tous les militants qu’ils soient simples soldats ou officiers supérieurs. Vilipendé par les uns, sa mémoire jetée aux chiens par d’autres, coupable de tous les maux pour faire court pour tous, voilà que l’un de ses adjoints, Abderrahmane Berrouane apporte un autre éclairage sur cet homme secret, impitoyable assassin d’Abane Ramdane.

La fascination Boussouf

Le si critique Mokhtar Mokhtefi, ex-collègue de Berrouane, dont nous avons présenté le livre (J’étais français-musulman, éditions Barzakh) qui avait tiré sur la plupart des chefs de la Révolution, avait relativement épargné celui qu’on appelait Si Mabrouk, surnom de Boussouf. C’est que l’homme exerçait une fascination particulière sur ses éléments. Certains l’aimaient. C’est le cas de Berrouane, ex-directeur du Contre-renseignement. Et pourtant Berrouane n’est pas le genre à se laisser embobiner ou séduire par le premier venu. Etudiant en deuxième année à Sciences po à Toulouse, militant communiste-et on sait quelle -école de lucidité et d’analyse est le marxisme- Berrouane laisse tomber un avenir prometteur en France pour rejoindre dès 1956 l’Algérie combattante. Il voulait rejoindre les maquis, il se retrouva dans les transmissions. Il fut quelque peu déçu : « Lorsque, chacun, en son âme et conscience avait décidé de rejoindre les rangs de l’ALN, il s’imaginait rejoindre le front, et se retrouver impliqué dans le combat. Quand nous comprimes que la formation que nous suivions impliquerait, pour certains d’entre nous, de rester loin du terrain et du combat, nous fumes quelque peu déstabilisés, voire un peu déçus. Nous nous imaginions-de manière certes un peu romantique-nous retrouver directement aux prises avec l’ennemi, convaincus que notre rôle était de grossir les rangs des moudjahidine au maquis. » Ces mots résument l’état d’esprit de Berrouane et des 26 autres recrues. Ils voulaient la confrontation, le combat avec l’ennemi quitte à laisser leurs peaux. Admirable.
La première rencontre avec Boussouf le marqua. Il ne le connaissait pas, ne le craignait donc pas. Et le voilà dans une scène qui tient du film « Le parrain » de Coppola. Oujda. Dans une pièce à peine éclairée. Derrière une table, deux hommes, Boussouf et Boumediène, les visages fermés. Sur la table, un revolver posé à droite, une grenade à gauche. On imagine le gosse de 17 ans à peine. On imagine sa stupeur lui qui venait de Toulouse, la ville rose à la douceur de vivre proverbiale. A-t-il pensé qu’il s’est fourré dans un drôle de guêpier ? Pas une fois. Ecoutons-le : « J’ai trouvé l’homme aux lunettes (je ne savais pas qui il était évidemment) très dur au premier contact, très sévère, il avait le visage fermé, le regard perçant, comme s’il voulait nous scanner. » Brrr…Lui aussi scanna Boussouf : « Si Mabrouk portait une chemise à la Mao ; sanglé jusqu’au cou, il avait les cheveux très courts, portait des lunettes aux verres très épais et teintés. » En un mot, l’homme était inquiétant, inspirant plus la peur que la confiance. C’était lui qui fait du cloisonnement un système de gouvernance que Boumediene appliqua par la suite à merveille. Boumediene qui fut la créature de Boussouf avant que, tel Frankenstein, il se rebella contre son créateur. Le témoignage de première main de Berrouane vaut son pesant d’or. En fait, tout commença avec l’histoire de l’avion français abattu par l’ALN en Tunisie et dont le pilote fut capturé. Benkhedda, le président du GPRA, ordonna à Boumediène, hiérarchiquement son inférieur, de remettre le pilote aux autorités tunisiennes. Boumediene qui s’y connaissait en rapports de force, savait que le GPRA n’était qu’une coquille creuse devant la force des armes. De ses armes. Lui avait près de 50 000 hommes à sa solde. Benkhedda n’avait rien. Rien que la légitimité. Mais que pèse la légitimité politique devant celle des armes ? Rien. Trois fois rien. Boumediène envoya donc promener Benkhedda qui décida, après avoir eu l’aval de ses ministres, donc de Boussouf aussi, ministre des Liaisons générales et Communications, de démettre de ses fonctions Boumediène et ses adjoints, Ali Mendjeli et Kaïd Ahmed.

«Nous ne verserons pas le sang algérien pour un fauteuil»

Que fit Boumediène ? Il s’allia à Ben Bella pour constituer le groupe de Tlemcen avatar du groupe d’Oujda. Ces gens-là, messieurs, ne savaient marcher qu’en groupe. Alors que le GPRA restait figé de stupeur, Boumediene décida de faire main basse sur le Malg et ses archives. Il savait que ce service avec ses archives sera déterminant dans la prise de pouvoir de l’Algérie indépendante et sa confiscation durable. On ne peut qu’applaudir: chapeau l’artiste ! En matière de stratégie, il avait dépassé son maître Boussouf engoncé dans son costume de ministre.
Passons sur les luttes internes et la débandade des hommes de Boussouf, qui tels Tayebi Larbi et surtout Khelifa Laroussi, directeur de cabinet de Si Mabrouk, passèrent avec armes et bagages dans le camp du colonel Boumediene pour nous arrêter aux propos de Berrouane, fidèle parmi les fidèles : « Nous étions heureux de l’avènement de l’indépendance, mais inquiets quant à notre devenir, tiraillés dans nos loyautés. » Il voulait entrer en contact avec Si Mabrouk pour « savoir quelles mesures finales il convenait de prendre et avoir des consignes claires et précises de sa part ». Ne perdons pas de vue que Berrouane et les autres fidèles de Boussouf étaient de redoutables agents secrets capables de la plus grande subversion contre Boumediene et ses alliés. Boussouf, le redoutable Boussouf va-t-il demander qu’on mette le feu aux poudres ? Va-t-il se venger de ce famélique colonel qu’il a recruté alors qu’il revenait d’Egypte et qu’il a façonné de ses mains ? Va-t-il, fidèle à sa légende, se montrer impitoyable quitte à compter les victimes de son propre sang, en centaines ? Si stupéfiant que cela puisse paraître, Boussouf démentit en l’occurrence sa noire légende et montra qu’il était un homme d’Etat et non de clans. Lisons son message. « Nous avons fait sept ans et demi de guerre. Au GPRA, nous avons décidé de ne pas faire couler le sang des Algériens. Nous savons que c’est une course au pouvoir ; nous avons décidé de nous retirer plutôt que d’aller combattre pour gagner un fauteuil. » Et cette stupéfiante suite, cette lucidité, d’un homme tout aussi stupéfiant : « Cela ne vous concerne nullement, vous les
cadres, qui avez lutté pour l’indépendance de l’Algérie. Continuez à travailler, quel que soit celui qui prendra le pouvoir demain ; vous devez travailler pour l’Algérie. »

Ces phrases devront être lues par tous ceux qui insultent le gouvernement Djerad et les autres gouvernements qui ont été formés sous Bouteflika. Un ministre ne travaille ni pour un homme ni pour un clan, il travaille pour son pays. Et quand c’est dit par un patriote de la première heure, dépossédé du pouvoir par des ralliés à la cause bien après le déclenchement de la Révolution, ça n’a que plus de poids. Boussouf a accepté son destin pour éviter une guerre fratricide.

Boussouf meurt à 55 ans

Il quitta le pouvoir ou plutôt c’est le pouvoir qui le quitta et se lança dans les affaires. Berrouane poussa l’admiration jusqu’à publier l’avis de décès de Boussouf le 2 janvier 1981. Mort à Neuilly, en France, comme tant d’autres moudjahidine, dans cette France qu’il a tant combattue. Il avait 55 ans. Autre information importante, celle concernant les éléments du Malg dans les services de l’Algérie indépendante. Certains pensent qu’ils ont été enrôlés de force. Berrouane met les choses au clair : « …Personne n’a été contraint et forcé à rester en service, contrairement à ce que certains esprits aigris et auteurs contaminés par la propagande colonialiste tentent aujourd’hui de faire accroire. Quelques éléments de la DVCR et de la DDR ont choisi de rester et d’intégrer les services de sécurité de l’Algérie indépendante (par exemple Khalef Abdallah dit Kasdi Merbah, Zerhouni Nourredine dit Yazid, Zerhouni Ahmed dit Ferhat). Les hommes des transmissions, eux, ont été versés, soit dans les wilayas, soit aux Affaires étrangères pour servir dans le corps diplomatique. » Lui-même usé par les épreuves, comme il le précise, il a quitté les services pour travailler dans le civil. Il serait resté, eu égard à son grade de directeur du contre-renseignement, sans doute aurait-il été, un jour ou l’autre, le patron des services, mais il était dit dans l’histoire de l’Algérie indépendante que les plus instruits et les plus éclairés ont laissé le pouvoir aux plus déterminés et aux plus ambitieux. La culture du mérite avait cédé la place à la culture de la force. N’allez pas chercher plus loin les causes des malheurs que nous vivons depuis l’indépendance.

Abderrazak berrouane
Aux origines du MALG
Témoignage d’un compagnon de Boussouf
Editions Barzakh

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