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La Vie en Livre : La rancune de Nadjib Stambouli

L’homme sans qualités

C’est un roman où nulle lumière ne pénètre, sinon celle du style. Il débute par l’enterrement d’un ami et se termine par la fin de ses illusions sur l’amour et l’amitié.

Dès les premières pages on se sent envahi par une douce mélancolie. C’est que Salim enterre son meilleur ami. Safir était à Salim ce que La Boétie était à Montaigne : un couple fusionnel que nulle explication ne pouvait décrypter comme le disait si joliment le grand moraliste français : «Parce que c’était lui, parce que c’était moi.» Cette amitié était d’un tel ciment que la propre mère de Safir a demandé à Salim de lui fermer les yeux. «Il avait quarante ans, l’âge des bilans. Mais pour lui, ce fut l’âge du solde de tout compte.» Belle phrase bien cambrée, vous ne trouvez pas ? Dans ce roman ici et là on trouve quelques pépites de cette eau. Et c’est normal. Faut-il rappeler à ceux qui l’ignorent que Nadjib Stambouli était l’une des plus grandes plumes de l’hebdomadaire Algérie actualité qui était l’un des fleurons de la presse avec l’autre hebdomadaire, Révolution africaine, dont le nom anachronique par les temps qui courent, cachait une partie de la crème des journalistes algériens ? La qualité principale de Stambouli, c’est que, contrairement à d’autres plumes, il n’a jamais frimé le lecteur ou les jeunes confrères. C’est de famille, il est le digne fils d’un grand maître de l’andalou Mahboub Stambouli qui conjuguait le talent à la modestie. C’est lui l’auteur-compositeur du fameux chant patriotique «Mindjibalina». Comme carte de visite il n’y a pas mieux. Mais descendons de cette montagne et tenons la bride courte à la digression pour revenir à La rancune.

Le dôme et le minaret

Ce «couple d’amis» était surnommé «Le dôme et le minaret» tant Salim était filiforme et Safir trapu. Mais ceux qui les aimaient moins les affublait de surnoms à coucher dehors : «Sloughi» et «Bambino». Passons.
Voilà Salim veuf d’amitié comme on peut l’être d’amour. Dans le cimetière, il laisse une partie de sa mémoire. Une partie de lui-même.
Lors de la veillée du troisième jour, le père de Safir s’approche de lui pour parler de l’amour qui liait Salim à sa fille Afifa. Ici on fronce les sourcils. Est-ce possible qu’un père aborde un sujet aussi intime que l’amour avec l’ex-fiancé de sa fille ? Dans les familles conservatrices algéroises on ne parle pas de ces choses-là, à moins que le chagrin fait perdre la tête et permet toutes les transgressions ? Après un long soliloque sur son fils, Moha, le père révèle à Salim que Safir n’a laissé pour tout héritage qu’une énigme. Salim brûle alors d’impatience. Il veut connaître cette énigme qui met du coup en bandoulière son chagrin. Le père se confie enfin. «A la fin du lavement de notre cher Safir, celui qui se chargeait de l’ultime purification m’a appelé après avoir recouvert en partie le corps. En silence il m’a montré l’objet : sous l’aisselle, se trouvait un pétale d’une rose des sables. Comment, pourquoi et depuis quand ce morceau était caché-là, rien ne l’indique. Une petite tache rouge sur la
peau montrait que l’objet n’était pas placé depuis très longtemps, par on ne sait qui, ou que Safir lui-même le remettait en place, chaque nuit.» Un soupir à fendre le cœur puis il lui tend la pétale de la rose des sables, l’objet de tous les mystères : «Le voici mon grand, prends en soin et surtout, trouve-nous une explication. Tu n’en as sûrement pas, les élans de confidence de Safir avec toi n’ont pas dépassé le seuil de cette histoire.
Et savoir si Safir savait…» Si nous avons longuement donné la parole au père du défunt c’est parce que cette séquence marque une rupture. Nous passons de Nadjib Stambouli et son héros amorphe et dégoûté à Dan Brown et ses mystères. Mais Salim n’est pas un héros aux supers pouvoirs à la Dan Brown. Il sait qu’il n’est pas outillé pour mener l’enquête. Mais il fait comme si, expression chère à Montherlant, que Salim a peut-être lu. Il fait donc comme si et promet au père de faire toute la lumière sur cette énigme.
Cette pétale d’une rose des sables qu’il emmène avec lui rouvre la blessure que lui a causée la rupture avec une autre rose, celle-là bien en chair et d’une très grande beauté : Afifa, la sœur de Safir. Ils étaient fous amoureux, ils rêvaient d’une vie de rêve à deux, ils étaient fiancés, ils étaient sur un nuage. Mais parce qu’il y a toujours un «mais» dans les histoires d’amour inachevées et c’est ce «mais» qui permet à cet amour de durer, car l’obstacle amplifie l’amour en lui donnant une force qui pulvérise tout sur son passage. Ce qui n’est pas le cas pour Salim et Afifa.
Cela tient essentiellement à la personnalité passive et soumise de Salim qui n’a pu s’opposer à son terrible père qui était contre le mariage. Il a construit à ses parents une très belle villa « offrant
un legs somptueux à ses parents, de leur vivant. » Après pareille cadeau, le père, Si Salah qui n’a rien d’un Gaïd, devrait en principe bénir toute action de son fils. C’est le contraire. Père irascible, violent et acariâtre, père dogmatique et vétilleux, père qui terrorise son fils.
Le voici peint dans toute son horreur : « Par la voie sournoise et pernicieuse, le versant le plus haïssable de la vieillesse s’est installé en lui, imposant un tempérament tenant plus du tyran que du grand-père aux cheveux blancs, jouant avec ses petits-enfants et les cajolant.
Désormais, véritable mégère en mode masculin, il n’arrête pas de maugréer et de critiquer tout ce qu’il voit et même ce qu’il ne voit pas. » Alors que la famille de Afifa et Safir au grand complet est venue pour féliciter les parents de Salim pour la nouvelle demeure, qu’elle ne fut leur surprise de l’accueil glacial du bougon patriarche qui invita Salim et Afifa à le rejoindre dans la cuisine.
Si Afifa s’attendait à des remerciements pour la construction de la villa, elle eut droit à un prêche du père qui exigea d’elle qu’elle porte le hidjab et une réponse claire dans la minute. Le fils suppliant demande au père de laisser à Afifa le temps de réfléchir. Si Salah ne veut rien entendre. Sans hidjab pas de mariage. Le fils s’écrase devant le père. Afifa est muette de stupeur. La rupture est consommée. Safir, à la fois déçu et en colère, ne comprend pas que son ami renonce à son amour aussi facilement : «Et tu acceptes qu’on brise ta vie et la sienne sans réagir ?» La réponse de Salim résume son caractère : «Mais c’est mon père…» Drôle de zigoto que cet homme qui laisse son père décider de son avenir à sa place alors qu’il a la quarantaine. Stambouli force le trait en rendant Salim proche d’une caricature ? Hélas, non. Des Salim, il en existe.

L’énigme de la pétale de la rose des sables

Trimbalant cet amour tué dans l’œuf par son père, le fils soumis se met à enquêter sur la signification de la pétale de la rose des sables. En dépit de sa rationalité moquée par Afifa, il se dit que la meilleure façon d’avoir une explication ou au moins une piste est d’aller voir un «raki» ou une voyante. Mais voilà, Khouka, la voyante le chasse quand elle apprend que c’est une histoire de mort et de sorcellerie. Que faire ? Il apprend que Aïn Nouar est la capitale de l’extraction et de la vente des roses des sables. Va alors pour Aïn Nouar. Il prend un court congé de son employeur. Et le voilà vivant des tribulations à Aïn Nouar, vaines tribulations sur lesquelles on ne s’attardera pas. Dépassant son congé, il est licencié. Son père l’apprend, devient fou de rage et le chasse de la villa, de sa villa à lui Salim. Evidemment il se soumet. Il part alors dans un village voisin où il a vécu un temps, Ouled Bayra (les enfants de la stérile). Ce nom lui ressemble puisque lui-même est une figure de la stérilité.
Il loge dans un petit hôtel. Il tombe malade. On l’hospitalise. Reçoit la visite de sa mère qui a été avertie. Et reçoit aussi la visite d’un ami intime, un certain Kerroum. Il découvrira plus tard en revenant dans sa ville que Kerroum, marié avec des enfants, était devenu l’amant de Afifa, Afifa la pure fornique comme une fille de joie et prend même son pied avec son amant. Amour ? Vengeance. Et l’énigme de la rose des sables ? On vous laisse le soin de la découvrir. De cette façon on vous garde l’appétit pour La rancune. Sans rancune.

Nadjib Stambouli
La rancune
Editions Casbah

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